Plus qu’un retour, une transformation du religieux

Jean-Claude GUILLEBAUD


«  On comprendra que ces glissements souterrains, ces brouillages et ces recompositions géographiques du religieux entraînent - et entraîneront - des modifications dans la façon de croire. Ces modifications concernent d’abord l’organisation et le mode de fonctionnement des institutions religieuses. Dans un monde où prévalent le nomadisme, la mobilité, les diasporas et les « cultures voyageuses », la rigidité pyramidale des Eglises - paroisses, diocèses, califats, conseils évangéliques - devra sans doute céder la place à des « communions humaines » ( la formule est de Régis Debray ) plus fluides. La métamorphose est déjà en cours. Elle ne va va pas sans querelles ni désarrois puisqu’elle ébranle des habitudes bien établies, bouleverse des paysages familiers, menace des pouvoirs et des hiérarchies. Tout porte à croire qu’elle ira pourtant son chemin, et nul ne peut savoir jusqu’où.
Pour ce qui concerne le christianisme, il n’est pas absurde d’imaginer une réapparition de « communautés » de croyants, moins cléricales et plus mobiles. Elles s’apparenteront probablement à celles des premiers siècles décrites par l’universitaire américain Peter Brown. Qu’ils fussent judéo-chrétiens ou chrétiens, ces groupes minoritaires de l’Antiquité tardive étaient porteurs, face à l’autorité impériale romaine, d’une contre-culture inventive. Ils étaient animés par un souci de « quête spirituelle » et non pas enfermés dans des certitudes dogmatiques, que la routine temporelle avait calcifiées. Or les idées de quête, de recherche, d’interrogation conviennent mieux au « commencement d’un monde » contemporain que l’enfermement dans une « vérité » établie.
... Par la force des choses, les rassemblements de « croyants » vivront dans l’interrogation créatrice plus que dans la certitude. Ajoutons que ces nouveaux agrégats humains incluront les innombrables « communautés virtuelles », auxquelles l’accès quotidien au cyberespace nous habitue peu à peu. »

Extrait de Jean-Claude Guillebaud, " Le commencement d’un monde ", Paris, Seuil, 2008, pp. 227-229.

Compte tenu des bouleversements qui remodèlent le monde il n’est pas étonnant que le religieux fasse l’objet d’une transformation multiforme sur l’ensemble de la planète ( liens rattachant une confession à une « civilisation » donnée, redistribution géographique des grandes spiritualités, phénomènes de déterritorialisation et d’influences croisées, pratiques vécues d’une religion ...) Pour le dire avec les termes de J.C. Guillebaud, les grandes spiritualités « - qu’elles soient chrétienne, juive, bouddhiste ou musulmane - s’identifient de moins en moins à une « civilisation » particulière, à un espace géographique donné. Elles s’évadent du territoire. Elles n’ont plus ni identité ni enracinement véritable. Le religieux se mondialise lui aussi. Il devient hors sol, il se fait voyageur, il est diasporique. C’est d’abord le cas du christianisme qui a cessé d’être « occidental » au vrai sens du terme.... » Au-delà des actions faisant la une des « fous de Dieu » prêts à tuer, l’auteur veut attirer l’attention sur l’essentiel, les métamorphoses planétaires du religieux. « La mondialisation pacifique du religieux et la tentative de retrouver le « feu » spirituel semblent devoir l’emporter à terme.» Le principe laïc dominant dans nos sociétés n’est pas incompatible avec la quête spirituelle et religieuse. En revanche, les institutions religieuses doivent s’adapter. D’autres rapports humains au religieux devraient-ils s’établir?