Le regard d’un analyste hors les murs de l’Eglise institutionnelle
Jean-Claude Guillebaud
« L’histoire du christianisme n’est-elle pas marquée par cette opposition, difficile mais féconde, entre la pesanteur de l’institution et la fulgurance du message ? De siècle en siècle, les vrais porteurs de la parole évangélique ont souvent fait figure de dissidents, de trublions dont l’Eglise se méfiait et qu’elle reléguait dans ses marges, voire condamnait au silence. Pensons à ces grandes figures que furent Origène, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila, François d’Assise, Maître Eckhart ou même Thomas d’Aquin lui-même, qui ne fut pas le dernier, au XIIIe siècle, à contester l’immobilisme des appareils de la chrétienté, c’est-à-dire l’Eglise elle-même. Tous ces chrétiens furent d’abord considérés comme des novateurs embarrassants, voire des provocateurs, avant d’être tardivement compris, reconnus, célébrés et, pour quelques-uns, béatifiés.
Cette défiance initiale de l’institution à l’égard de l’audace spirituelle existe encore aujourd’hui...
Ainsi va l’histoire du christianisme. La parole vive, celle qui entretient le « feu » évangélique, circule et s’énonce le plus souvent dans les marges de l’Eglise, quand ce n’est pas en réaction contre cette dernière. Elle est proscrite avant d’être entendue et transmise. Ce fut le sort de la plupart des mystiques. Leur prophétisme incandescent risquait, il est vrai, d’incendier le bel ordonnancement clérical. Et pourtant ! Ces témoins essentiels auraient-ils pu exister sans l’institution ? Bien sûr que non. C’est à la table commune qu’ils s’étaient d’abord nourris. C’est au sein de l’Eglise, et par elle, qu’ils avaient accédé à la parole évangélique. Les deux mille ans d’histoire chrétienne sont la résultante d’une contradiction créatrice qui ne fut ni voulue ni organisée. La longévité du christianisme trouve là son origine. Sans la subversion venue des marges, le message se serait affadi ou même éteint. Mais, sans l’Eglise, il n’aurait pas été transmis. Dissidence et institution sont comme l’avers et le revers d’une même vérité en mouvement. »
Extrait de Jean-Claude Guillebaud " Comment je suis redevenu chrétien ", Paris, Albin Michel, 2007, pp.147-148.
Du fait du processus de sécularisation l’Eglise n’ordonne plus l’ensemble social ; de par son statut minoritaire le monde catholique ne pourrait-il pas retrouver le caractère protestataire qu’il avait dans les premiers siècles de son existence ? Dans la mesure où les institutions ecclésiales, en ralliant historiquement le pouvoir temporel, ont affadi le message évangélique, les chrétiens en redevenant minoritaires ne pourraient-ils pas retrouver la dimension subversive de la Bonne Nouvelle ? Alors que l’air du temps laisse entendre que la tradition chrétienne peut être considérée comme un archaïsme résiduel, la réflexion de l’auteur le conduit à penser que le message évangélique conserve une valeur fondatrice à l’époque contemporaine y compris pour les incroyants. C’est pour cela qu’il n’hésite pas à intituler un chapitre de son ouvrage « subversion évangélique. »