Courants au sein de l’Eglise et marche vers le Royaume
Timothy Radcliffe,
o.p. ancien maître de l’Ordre des frères prêcheurs



« Aujourd’hui, la tâche prophétique est sûrement de trouver une voie pour avancer malgré les divisions ; il faut nous appeler mutuellement à quitter notre exil, mais c’est une tâche dangereuse car les gens des deux bords dénonceront ce qu’ils voient comme un compromis et une trahison de la pureté de la cause.
Malgré mes hésitations, je parlerai donc des catholiques du Royaume et des catholiques de la Communion. Certains catholiques voient d’abord l’Eglise comme le Peuple de Dieu en marche vers le Royaume ; d’autres y voient d’abord l’institution, la communion des croyants. La plupart d’entre nous nous reconnaissons, dans une certaine mesure, dans les deux schémas, mais avons tendance à nous rapprocher plutôt de l’une ou de l’autre façon de comprendre l’Eglise. L’idée que je veux défendre est que, en tant que catholiques, nous avons besoin des deux identités et que la tension qui existe entre elles est dynamique et féconde. ( p. 235 )
« C’est plutôt la Croix qu’une des théories met au centre, pour l’autre, c’est plutôt l’Incarnation ; l’une voit la vérité comme cri de ralliement, l’autre, la libération?L’une insiste sur la doxologie et l’adoration, l’autre, sur la praxis et l’expérience. Pour l’une, le Christ est d’abord celui qui rassemble en une communauté, pour l’autre, celui qui abat les frontières. Une théologie proclame
Ubi ecclesia, ibi Christus, «  là où est l’Eglise, là est le Christ », l’autre a tendance à répondre Ubi Christus, ibi ecclesia, «  là où est le Christ, là devrait se trouver l’Eglise » ou, comme le dit John Mc Dade, «  là où souffrent les pauvres, c’est là que doit être l’Eglise ( et la théologie )». ( p. 237 )
« Les deux groupes ont donc subi un choc radical, ils se sont sentis aliénés et exilés. Chacun se considérait comme une contre-culture : les catholiques de la Communion avaient le sentiment de résister au libéralisme moderne et au relativisme - ces cultures destructrices auxquelles succombaient les catholiques de l’autre parti. Et les catholiques du Royaume avaient le sentiment de résister au fondamentalisme et à une certaine conformité vavec les moeurs de ce monde, auxquels, d’après eux, se soumettaient les catholiques de la Communion. Avec un peu plus d’imagination, ils auraient pu se regarder et discerner dans l’autre sa propre image inversée ; ce qui les aurait poussés à se témoigner un peu de compréhension et de sympathie.» (P. 243 )
« Il ne peut y avoir de victoire d’un parti sur l’autre, car ce serait la défaite de l’Eglise. Il nous faut maintenir une tension dynamique entre la coupe et le pain, entre le rassemblement entre une communauté et l’extension à toute l’humanité, entre une identité déjà donnée et une identité à découvrir. » ( p. 250 )


Extrait de Timothy Radcliffe " Pourquoi donc être chrétien ? ", Paris, Les Editions du Cerf, 2005.

Evoquer le besoin de réformes dans la vie de l’Eglise, cela signifie seulement que cette dernière est vivante. L’Eglise est aussi une institution humaine et, en tant que telle, elle doit relever les défis du XXIe siècle. Pour cela il faut certainement distinguer entre les questions fondamentales qui relèvent du Credo et celles qui sont d’un autre ordre et, par suite, ne sont pas cruciales malgré l’importance qu’elles peuvent avoir pour les personnes.
La capacité de témoignage du christianisme dans le monde moderne est gravement hypothéquée par les dissensions persistantes entre les différentes Eglises chrétiennes et au sein même de celles-ci. Pour n’évoquer ici que les divisions à l’intérieur de l’Eglise catholique l’auteur essaie de dépasser les polarisations entre droite et gauche, entre libéraux et conservateurs, entre progressistes et traditionalistes. Ces divisions ont davantage pour effet de bloquer les discussions que de les favoriser. Partant de l’hypothèse que la polarisation est contradictoire avec la nature de l’Eglise, qui est de de conduire le peuple de Dieu à l’unité afin d’être signe du Royaume, l’auteur propose de distinguer les tenants du Royaume et ceux de la Communion. C’est de ces deux regards, ou de ces deux poumons à l’image de la respiration, dont nous avons besoin. L’inspiration des catholiques de la Communion et l’expiration des catholiques du Royaume sont nécessaires au bon fonctionnement de l’Eglise.