Littérature et traversée de la vie

Eric Orsenna - Jean - Marie Rouart
de l’Académie française


" Les mots aiment le papier, comme nous le sable de la plage ou les draps du lit. Sitôt qu'ils touchent une page, ils s'apaisent, ils ronronnent, ils deviennent doux comme des agneaux, essaie, tu vas voir, il n'y a pas plus beau spectacle qu'une suite de mots sur un feuille. ( p. 109 )
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" Les vrais amis des phrases sont comme les fabricants de colliers. Ils enfilent des perles et de l'or. Mais les mots ne sont pas seulement beaux. Ils disent la vérité. ( p. 117 )...............

" Un écrivain a pour métier la vérité. Laquelle a pour meilleure amie la librerté. L'animal par nature étant plus libre que l'humain, nul ne prête plus attention à ses propos que l'écrivain. ( p. 129 )
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" - Qu'est-ce qu'un grand écrivain ?
- Quelqu'un qui construit des phrases, sans se soucier des modes, seulement pour aller explorer la vérité. " ( p. 130 )


Extrait d'Eric Orsenna " La grammaire est une chanson douce ", Paris, Stock, 2002.
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" ... Tout détourne l'écrivain, l'artiste de se consacrer à la création qui est l'activité la moins naturelle qui soit. Il existe des écrivains - Balzac en a évoqué un grand nombre dans ses romans - qui comme Rubempré, Lousteau, se sont perdus dans le journalisme, la paresse, les femmes. D'autres, rencontrent la drogue. Certains se suicident. D'autres encore se raccrochent à ce qu'ils peuvent, à l'Académie par exemple. Un écrivain, un artiste, c'est précisément celui qui a surmonté toutes ces tentations pour s'enfermer avec lui-même dans la solitude et se mettre au service de son oeuvre. Il n'y a pas d'art sans une part de sacrifice de la vie. Mais ce sacrifice serait incompréhensible - comme le retrait des moines dans leur monastère - si malgré des souffrances, des doutes, il n'était pas accompagné de fièvres et aussi de joies. Etre habité par l'ambition d'écrire, de peindre apporte des satisfactions ineffables. L'existence prend un sens... ( pp. 63-64 )
Ce qui me plaît dans la littérature, c'est de participer à une grande aventure sans me préoccuper outre mesure de la place que j'y occupe. C'est le paradoxe de la littérature : être une collection d'individualités fortes et en même temps une grande aventure collective. On insiste sur le culte de l'ego, on oublie un peu la chaîne de solidarités, les interpénétrations, les généalogies, les influences.

On dit les choses ou on ne les dit pas : la littérature, l'art, c'est l'expression d'une élite - que sont les génies sinon une élite ? -, mais ce terme n'est pas péjoratif. Au contraire. Les grands esprits, les grands créateurs font monter le niveau artistique et spirituel de l'humanité.... Il y a des créateurs mais auront-ils encore longtemps des lecteurs, et des guides pour les accompagner, des critiques qui puissent faire le lien entre eux ? De ce point de vue, sans se faire l'apôtre du déclin, nous sommes dans une période basse. Mais cela peut changer. J'espère de tout mon coeur que la littérature reprendra en France la place importante qu'elle mérite. Car elle possède une valeur non seulement esthétique mais éthique. Elle nous rappelle d'où nous venons. Elle peut donc aussi nous dire où nous allons et qui nous sommes. Ce qui ne serait pas superflu aujourd'hui. ( pp. 91-92 )

... l'écrivain n'est pas seulement un faiseur de vers, celui qui joue avec les mots de manière gratuite. Il a en charge une mission sacrée de créer de la beauté, de donner un sens au monde. Même lorsqu'il est athée, purement laïc, il se sent investi d'une tâche, d'une sorte de vocation qui le dépasse. D'où peut-être sa souffrance aussi, son chemin de croix particulier, son désir parfois de se retirer du monde...D'une certaine manière, son expérience se rapproche de celle des saints, par son excès même, mais à travers la sensibilité artistique. Néanmoins il ne s'agit pas d'une mission de la même nature... ( p. 176 )

Extrait de Jean - Marie Rouart " Libertin et chrétien ", Paris, Desclée de Brouwer, 2004.
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Les mots, compagnons les plus intimes de l'existence.
L'écriture : esthétisme de la mise en mots mais aussi quête de sens.