Réflexions sur la mort,
Jean d'Ormesson de l'Académie française
Un oiseau de passage : la vie
" Tu ne douteras pas que le monde ait été créé pour que la vie en surgisse et pour que les hommes y naissent. Mais tu ne croiras pas que les hommes soient le but de l'univers. Ils sont un état, qui ne pouvait pas ne pas être, du développement du tout. Ils passeront comme tout le reste. Ils ne sont rien ou presque rien parce que je suis tout et beaucoup plus que tout ❴ L'Eternel ❵. Mais ils sont inéluctables comme le Soleil et la Lune, comme l'espace et le temps, comme les arbres de la forêt. Ils sont la fleur de cette vie passagère qui est un mystère dans le mystère. ( p. 119 )
... Les générations successives s'imitent et se combattent. Les enfants sont les les surgeons inépuisables d'une vie qui n'en finit pas de se répéter et de changer et ils sont la mort des parents.
La mort. Les parents meurent. Et, pour être plus sûrs de mourir après - ou avant - les parents, les enfants se hâtent de devenir parents à leur tour. La vie est aussi la mort. Et peut-être est-elle d'abord la mort. Vivre, c'est commencer à mourir. Les vivants meurent parce qu'ils vivent et ils se reproduisent parce qu'ils vont mourir. Ils vivent pour mourir et ils meurent parce qu'ils se reproduisent. Entre le sexe et la mort, j'ai noué des liens si étroits qu'ils éclairent d'une lumière sombre tout ce qui se rapporte à la vie. La vie est faite pour mourir et, sous d'autres espèces au moins, pour renaître de la mort. Pour quelque temps encore, le triomphe de la vie ne cesse de de se combiner au triomphe de la mort.
Pour vous surtout, les hommes, qui aurez été si longtemps et l'espace d'un éclair à l'extrême pointe de la vie, deux mots suffiront à expliquer les quelques millions d'années que vous aurez passées dans le temps : aimer et mourir. Avec un troisième mot qui va nous occuper, toi et moi, avant de nous séparer : penser.
Toujours aimer, toujours mourir. Les hommes mangent, boivent, dorment, travaillent, ont des besoins naturels, se livrent à l'argent, au pouvoir, à la beauté, à la haine. Et ils pensent. A quoi ? A peu de choses et à tout. Ou à rien. A eux, bien sûr. Et aux autres. A leur vie et au monde. Et à moi. Contre moi, bien souvent. Et, pour toujours, en moi . "
Extrait de Jean d'Ormesson, " La création du monde ", Paris, Robert Laffont, 2006, pp. 130-131.