Pour une philosophie de l'intime
ou comment parler avec simplicité mais en profondeur de ce qui est privé et dont on ne parle généralement pas.

Jacques Schlanger

" La philosophie de chambre est à la philosophie symphonique ce qu'est la musique de chambre à la musique symphonique : une manière privée, personnelle, intime, de philosopher, une philosophie de petite envergure, de petit format, face à une autre manière de philosopher publique, impersonnelle, une philosophie de grande envergure et de grand format....

Une fois qu'il s'est imprégné de tous les savoirs de la philosophie, une fois qu'il s'est engagé dans tous les jeux de la philosophie, une fois qu'il s'est dégagé de toutes les batailles de la philosophie, le philosophe de chambre s'aperçoit qu'il subsiste en lui une petite plage où il se trouve seul avec lui-même, où il joue pour lui-même sur son petit pipeau l'air qui lui convient le mieux, des notes fluettes, claires et parfois même profondes. Attentif au son de sa propre voix, il s'y laisse aller, car il lui semble qu'il a quelque chose à ( se ) dire avant de prendre congé. Il se parle à voix mi-basse, et cette voix mi-basse porte souvent plus loin qu'on ne le pense, et il arrive même qu'on l'écoute avec beaucoup d'attention.

En effet, une philosophie de petit format n'est pas nécessairement une philosophie de petite portée. Au contraire, une voix qui ne force pas pour s'imposer, un ton retenu, une expression intime pénètrent souvent mieux, à cause justement de leur moindre assurance et de leur plus grande ouverture ; ils vont souvent plus au fond des choses, et plus encore au fond des personnes. Le lecteur critique, celui qui n'est pas à la recherche d'un maître à penser à suivre aveuglément mais d'un interlocuteur qui puisse lui ouvrir de nouveaux horizons d'idées, se reconnaît mieux dans ce genre de philosophie, qui ne lui dicte pas ce qu'il doit penser mais le laisse décider par lui-même."

Extrait de Jacques Schlanger " Apologie de mon âme basse", Paris, Editions Métaillié, 2003, pp. 9 - 11.

Le philosophe en chambre est un philosophe de l'intime. En se reconnaissant et en se plaisant dans son corps, Jacques Schlanger nous livre d'abord une apologie de ce qu'il propose d'appeler son âme basse par opposition à l'âme haute qui a été l'objet principal de l'attention des philosophes. Dans son deuxième essai il fait ensuite l'éloge de sa mort, façon de ne pas oublier que cette dernière étant inéluctable il faut apprendre à " bien vivre " avec elle.
Ces deux essais consacrés à ce qu'il y a de plus intérieur à une personne - d'ordinaire caché et passé sous silence - ne peuvent pas laisser indifférent le lecteur, même s'il ne partage pas l'ensemble des thèses de l'auteur.