II. CLE DE LECTURE 2 : DES IMAGES A CARACTERE SYMBOLIQUE.
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COMME UNE INVITATION A UN RETOUR
SUR QUELQUES CARACTERISTIQUES DES IMAGES ROMANES
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Il ressort de ces images que le réalisme n'est pas la caractéristique majeure des représentations romanes.
L'imaginaire médiéval est peuplé de monstres dont certains organes sont multipliés ou hypertrophiés. Les représentations monstrueuses proviennent d'un mélange des genres ( humain et végétal, par exemple ) ou s'obtiennent par hybridation, soit figurations animales ou monstrueuses à figure ou tronc humain ( corps d'oiseau à tête humaine ou corps de poisson et torse de femme, par exemple ), soit personnages à visage animal.
D'une façon générale, il semble qu'on ait désiré mettre en avant la crainte que doivent inspirer les forces du mal. Par son apparence monstrueuse le démon est susceptible d'inspirer l'effroi chez les populations.

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On trouve des réalisations par hybridation comme des figurations animales à masque humain.


Corps d' oiseau à tête humaine.
Eglise Saint-Jean-Baptiste, La Villedieu-du-Clain,
XIIe et remaniée aux XVII et XIXe siècles, ( 86 ).


De telles figurations se rencontrent souvent dans l'art roman.
Vestiges de l’église de Villiers-sous-Chizé ( 79 )

Sirène-oiseau à double corps. Le masque humain comporte curieusement une coiffure à deux cornes.
Eglise de CIVRAY, XIIe siècle ( Vienne )



Homme et femme à corps d’oiseaux.
Simple souci décoratif ou évocation de personnes se détachant de la matière et, par suite, devenus plus légers
,
il est compréhensible que l’artiste les ait représentés avec un corps d’oiseau.
Chapiteau intérieur de l’église Saint-Georges de Faye-la-Vineuse, XIIe siècle ( 37 )



Encore un exemple d’homme et de femme à corps d’oiseaux mais qui présentent en plus des feuillages à l’extrémité de leurs queues.
Le recours au symbolisme de l’oiseau est-il ici encore une manière d’évoquer la partie spirituelle des êtres humains
qui voudraient ne pas se préoccuper seulement de la dimension matérielle de l’existence ?
Les feuillages - qui reverdissent tous les ans - évoquent-ils le renouvellement ?
Ancienne collégiale Saint-Ours, XIIe siècle, Loches ( 37



Modillon : tête humaine sur un corps animalier dont la queue se termine en feuillage.
Eglise de CHATEAUNEUF-SUR-CHARENTE, XIIe siècle ( 16 ).


Néréide à cheval sur un poisson.
Frise sculptée de l'abbatiale d'ANDLAU, XIIe siècle ( Bas-Rhin ).

* * On trouve des réalisations par hybridation comme une figuration animale à main humaine.



Masque démoniaque au milieu de lions ailés.
Remarquer
la main ouverte terminant la queue de l'animal de droite, c'est-à-dire peut-être la prolongeant ?
Collégiale de Chauvigny, XIIe s., ( 86 )

* * On trouve des réalisations par mélange des genres humain, animal et végétal.


Un masque feuillu : un feuillage sort d’un masque humain et s’épanouit en fleur.
De plus, à gauche la queue des oiseaux affrontés se termine par une tête humaine.
Ancien prieuré de Villesalem, XIIe siècle ( 86 )


Version saintongeaise sur un chapiteau du chevet. La même évocation se trouve sur un chapiteau intérieur.
Eglise Saint-Etienne, Vaux-sur-Mer, XIIe siècle ( Charente-Maritime )



Lions une patte antérieure posée sur l’astragale pendant que l’autre est levée, rejettent leurs têtes sous les angles du tailloir,
leurs queues entrelacées se terminant par un élément feuillu.
Eglise de Saint-Jouin de Marnes ( 79 )


Remarquable masque feuillu.
Vestiges de l’église de Villiers-sous-Chizé ( 79 )



Jeune personnage agenouillé vomissant des feuillages.
Eglise de LICHERES, XIIe siècle ( 16 ).


Masque feuillu à l’angle de la corbeille.
Eglise de CHATEAUNEUF-SUR-CHARENTE, XIIe siècle ( 16 ).





Les jambes du personnage se muent en oiseaux qui ouvrent leurs ailes.
En fait, les oreilles de l’individu sont remplacées par des oisillons auxquels les oiseaux donnent la becquée.
En adoptant l’hypothèse conceptuelle de
A. et R. Blanc, les énergies spirituelles signifiées par les oiseaux
viennent alimenter et dynamiser les jeunes et potentielles énergies de l’homme.
Eglise de Colombiers, XIIe siècle ( 86 )

** Les réalisations romanes sont largement indifférentes à toute idée de proportionnalité. La dimension des représentations animalières et humaines est à la mesure de leur poids symbolique ( par exemple un geste de bénédiction ). C'est ce qui donne probablement la clé de lecture de l'exagération constatée de certaines parties du corps comme les mains ou le masque. C'est délibérément que ces éléments signifiants ont été accentués.



Les bras constituent ici un bel exemple de démesure !
Dans ce linteau en batière le Christ en majesté bénissant est représenté dans une mandorle
que tiennent les deux archanges Michel et Gabriel dont
les
bras démesurément longs peuvent être remarqués.
Ancienne priorale de Thuret, XI-XIIe siècles ( 63 )


Comme chez nombre d’imagiers d’autres provinces cette démesure se retrouve dans les sculptures dues au ciseau du fameux «  maître de Cabestany. »
La longueur des mains des personnages est remarquable !
Chapiteau extérieur de l’ancienne abbaye de Saint-Papoul ( 11 )

** Bien souvent, le sens général, s'il existe, demeure vague ou obscur. Il restera toujours difficile de cerner en toute certitude la part qu'il faut attribuer à l'ornementation ou au symbolisme.
Le chapiteau ci-dessous le montre à l’évidence. Il a donné lieu à bien des hypothèses. Qu'en dites-vous vous-mêmes ?



- Certains ont pu voir un acrobate suspendu par les mains à une barre, les jambes relevées sur l'arrière, encadré, à gauche, par un joueur de rote et, à droite, par un joueur de tambourin lui-même tenu par un quatrième personnage.
- Des détails à droite de la corbeille font penser à une scène de sodomie.
- On pourrait être en face d'une représentation démoniaque. L'homme de droite, sous le coup du charme produit par la musique joueur de rote pourrait être tenté par le rouleau détenu par l'acrobate/diable. Un compère essaierait de le tirer de son envoûtement et de l'en empêcher ( mais pourquoi serait-il nu ? ).
Que voulez réellement exprimer l'imagier ?

Eglise Saint-Nicolas, XIe siècle, La Chaize-le-Vicomte ( 85 )

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A l'époque romane, les ornements, par-delà leur valeur décorative, avaient-ils aussi une dimension éducative ?
Pour certaines formes ornementales, tels les ornements géométriques, la réponse est sans doute assez simple ; il ne convient pas de leur attribuer de sens caché.
Il peut en être différemment pour les masques humains ou les représentations animalières et monstrueuses. S'ils ont un rôle esthétique, ces décors ne sont-ils pas aussi parfois chargés de symboles directs ou indirects ? Sur ces questions d’interprétation le débat entre spécialistes est probablement loin d'être épuisé.
Ce qu’il est possible de dire est qu’à l'époque romane, l'église, havre de paix et de salut, était largement considérée comme environnée par des forces menaçantes ; il n'est donc pas surprenant qu’à la dimension décorative puisse s’ajouter indirectement les thèmes du Péché, du Mal ou du châtiment. Il semble qu'on ait souvent désiré mettre en avant la crainte que doive inspirer l'effroi chez les populations.
Toutefois, si les forces du mal et leur chatiment sont partie intégrante de la culture de l'époque, il restera souvent difficile de cerner en toute certitude la part qu'il convient d'attribuer à l'ornementation ou au symbolisme tout comme restera souvent incertain tout essai d’interprétation.