III. UN DECOR SCULPTE INTEGRANT
LA QUOTIDIENNETE VECUE
ET LE CADRE NATUREL ET SOCIAL.

** DES SCENES FESTIVES.



Un joueur de cornemuse et un couple : l’homme porte un bonnet pointu et la femme a une large coiffe ainsi qu’une robe bien serrée à la taille.
Eglise de VOUVANT, XIIe siècle ( Vendée ).:


Scène de baladins : une danseuse, les pieds sur le tailloir et le buste à la renverse est accompagnée par un joueur de viole.
Eglise de SAINT-HILAIRE-LA-CROIX ( Puy-de-Dôme ).



Un être énigmatique présente le fruit de la tentation à un couple de danseurs. Dans la sculpture romane la danse est le plus souvent perçue de façon négative.
Abbatiale de Fleury, XI-XIIe siècles,
SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE ( Loiret ).



Joueur de trompe et jongleur.
Eglise d'ECHILLAIS, XIIe siècle, ( Charente-Maritime ).



Joueur de vièle à archet. La décoration est remarquable.
Eglise de MARNAY, XIIe siècle ( Vienne ).



Joueurs de rote-psaltérion.
Eglise saint-Hilaire, XIIe siècle,
MELLE ( Deux-Sèvres ).


Interprétation nivernaise de l'instrumentiste à cordes..
Eglise de SAINT-PIERRE-LE-MOUTIER, XIIe siècle ( Nièvre ).


Joueurs de cor, de viole et de syrinx.

Eglise de BOURBON-L'ARCHAMBAULT, XIIe siècle ( Allier ).


Danseurs les bras levés accompagnés de musiciens.
Eglise Saint-symphorien de Broue, XIIe siècle, ( Charente-Maritime ).



Une voussure de l'arcade supérieure gauche de la façade de l'église romane de Civray comporte d'intéressantes représentations d'instruments de musique de l'époque tenus par des anges musiciens ( Ci-dessous quelques exemples ).
Eglise Saint-Nicolas de CIVRAY, XIIe siècle ( Vienne ).


Vielle.
Eglise Saint-Nicolas de CIVRAY, XIIe siècle ( Vienne ).


Olifant.


Flûte à bec.


Frestel et clochette.


Viole à trois cordes.



Montreur d'ours.
Eglise de
SAINT-PIERRE-LE-MOUTIER, XIIe siècle ( Nièvre ).

** DES IMAGES AUTOUR DU COUPLE.


Chapiteau des âges de la vie : ici touchante tendresse d'un couple.
Eglise de SAINT-PIERRE-LE-MOUTIER, XIIe siècle ( Nièvre ).



Quelle tendresse émane de cet attachant couple photographié par Jacques Martin.
Modillon de l’ancien prieuré de PERSE près d’Espalion ( Aveyron ).



Touchante tendresse d'un couple.
Eglise Saint-Pierre, AULNAY-DE-SAINTONGE, XIIe siècle ( Charente-Maritime ).




Gros plan sur un couple très uni ; ou s'agit-il de deux hommes comme certains émettent l'hypothèse ?
Eglise de MARNAY, XIIe siècle ( Charente-Maritime ).



Couple enlacé de facture fruste mais sympathique.
Eglise de SAINT-MANDE-SUR-BREDOIRE, XIIe siècle ( Charente-Maritime ).


Couple enlacé.
Eglise Saint-Etienne, XIIe siècle, Vaux-sur-Mer ( Charente-Maritime).



Un couple à l'angle droit de la corbeille se livre à des attouchements sexuels ;
à gauche un homme d'église brandit d'une main une croix et de l'autre un attribut du pouvoir.
Eglise de FOUSSAIS-PAYRE, XIe siècle ( Vendée ).




Femme offrant son intimité ; elle entrouve son sexe à l'aide de ses mains. Trivialité, simple évocation réaliste, humour, dénonciation de la luxure ?
Eglise de CHALAIS ( Saint-Pierre-le-Vieux ), XIIe siècle ( Vendée ).



Bien doté par la nature...
Eglise de CHAMPAGNOLLES, XIIe siècle ( Charente-Maritime ).


Homme tout à ses préoccupations montrant sa virilité.
Modillon, église de PERIGNAC, XIIe siècle ( Charente ).



Ce qui est ordinairement caché est ici montré...
Eglise de LICHERES, XIIe siècle ( Charente ).




Etreinte physique : modillon à l'intérieur de la partie basse romane de la chapelle attenante ( XVIe ) à la nef.
Eglise Saint-Quentin, XIIe-XIIIe siècles, CHERMIGNAC ( Charente-Maritime ).

On dit souvent que les représentations obscènes sont toujours placées à l’extérieur de l’édifice dans les zones de passage moins fréquentées ; si cela est exact pour le modillon de Champagnoles, cela ne l’est pas pour d’autres représentations, l’une étant située en pleine façade et les autres à l’intérieur de l ’église ( ci-dessus ) ou de la cathédrale ci-dessous ( même si la lumière y est faible ...).



Extrait de la corniche à métopes et modillons de la façade : métope représentant une scène érotique.
Eglise Saint-Savinien, XIe siècle, MELLE ( Deux-Sèvres ).



Un homme saisit le haut de la cuisse d’une femme qui elle-même empoigne l’énorme sexe de son compagnon. Parallèlement, la femme a le dos frappé du pied par un animal à deux corps à la langue-serpent...
Chapiteau de l’église de
PASSIRAC, XIIe siècle ( Charente ).



Même scène que précédemment mais l’homme est montré simultanément harcelé par un animal.
Chapiteau de l’église de PASSIRAC, XIIe siècle ( Charente ).

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Ce qui frappe dans ce voyage à travers cette sélection d’images romanes c'est la créativité des sculpteurs et la richesse des thèmes qu'ils abordent. La naïveté et la gaucherie du style
des uns frappe tout autant que l'habileté des autres. Par de-là les t
hèmes religieux, éducatifs, moraux précis, exécutés à la demande des commanditaires, la verve des imagiers s'est souvent donnée libre cours, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ces havres de paix et de salut consacrés à la célébration du Tout Puissant. Une certaine liberté d'inspiration semble exister puisque des représentations animalières ou monstrueuses, des évocations de la quotidienneté vécue peuvent être trouvées à côté des ornementations florales ou géométriques.

D'autres types d’images soulèvent encore davantage d'interrogations que les catégories précédemment étudiées n'en ont posées. Il s'agit de
scènes représentant des personnages masculins et féminins qui n'hésitent pas à offrir au regard ce qui est d'ordinaire caché.
Quel pouvait être le sens de ces sculptures évoquant de façon très apparente des sexes masculins ou féminins, des étreintes physiques que l'on trouve non seulement dans les petits édifices ruraux mais parfois aussi dans les cathédrales, sous les corniches extérieures mais aussi parfois sous certaines corniches intérieures, dans un coin discret mais également parfois offerts à la vue de tous ?
Avec ces parties intimes de l'être humain explicitement dévoilées, on peut sembler très loin de la béatitude. Or, un édifice roman n'est-il pas d'abord un édifice chrétien et devons-nous pas nous attendre à y trouver des représentations sculptées exprimant une perspective chrétienne du monde ?
Comme nous le rappelions ci-dessus on peut penser que les thèmes des sculptures sont d'ordinaire prescrits expressément par le commanditaire. Peut-être en est-il moins ainsi pour le
petit peuple des modillons que pour les programmes iconographiques ou les motifs symboliques des façades et des chapiteaux.
Moins soumis au contrôle strict du maître d'ouvrage le sculpteur de modillons peut laisser davantage libre cours à son imagination, à ses préoccupations courantes, à la quotidienneté vécue ( activités laborieuses mais aussi festives, amour, objets...), au cadre de vie, animaux et végétaux. Ce qui nous vaut des scènes réalistes ou fabuleuses, pittoresques ou grotesques, terre à terre ou parfois à message, archaïques et naïves ou remarquables et d'une grande habileté selon le talent du tailleur de pierre. Ainsi, le monde savoureux des modillons est-il pleinement le reflet d'une société et d'une époque.
C'est dans cette perspective générale qu'il convient sans doute d'appréhender les représentations réalistes des parties sexuelles des êtres humains qui peuvent paraître osées, crues, grivoises, érotiques, obscènes ; dans quelle mesure et à quel point l'étaient-elles pour les imagiers du Moyen Age ? Comme
Anthony Weir a pu le rappeler dans ses recherches sur les représentations obscènes " ce qui nous apparaît aujourd’hui obscène ne l’est pas forcément pour l’époque médiévale " **.
Un auteur comme Claudio Lange propose une autre interprétation : les représentations obscènes trouvées dans les églises romanes pourraient s'expliquer en tant que forme de propagande anti-islamique développée par l’Eglise catholique pour justifier les croisades.

Entre manifestation de la grossièreté et l'amour de la gaudriole dans le menu peuple, d'une part, et expression de symboles, d'autre part, plusieurs niveaux de lecture de ces images sculptées modillonnaires demeurent possibles. Un aimable correspondant, tailleur de pierre de son état, m'a suggéré l'hypothèse interprétative suivante qui a cours dans son son milieu : le caractère irrévérencieux, irrespectueux, " choquant " de certains modillons sur des édifices qui étaient des havres de paix et de salut pourrait s'interpréter comme une réaction des tailleurs de pierre face à des commanditaires tenant mal leurs obligations financières à leur égard... A défaut de document laissant entendre le sens exact qu'il convient de leur donner, les interprétations de certaines sculptures et de cet art populaire que constituent les modillons resteront toujours délicates.

** On peut voir le site très riche Satan in the Groin
http://www.beyond-the-pale.org.uk