Poitou, pays d'art roman.
La richesse du Poitou roman est telle qu'elle peut difficilement - même au
modeste titre d'invitation à la découverte - être présentée en un seul site.
Un choix est donc indispensable même s'il est forcément arbitraire. C'est
pourquoi nous nous en tiendrons ici aux édifices romans de Poitiers et de sa
banlieue romane immédiate ( Béruges, Fontaine-le-Comte, Nouaillé-Maupertuis,
Saint-Benoît ... ) ainsi qu'à ceux de la partie Nord de la Vienne laissant à
d'autres travaux l'évocation de ceux du Sud du département.
Sur cette partie Nord du Poitou se côtoient de modestes édifices ruraux, plus ou
moins mutilés ou ruinés et la prestigieuse Notre-Dame-la-Grande. La précellence
d'un monument ne doit pas faire oublier un rare milieu monumental d'où émergent
les églises en grande partie romanes de Sainte-Radegonde ou de Saint-Jean
de Montierneuf et Saint-Hilaire-le-Grand. Les humbles monuments méritent
tout autant de retenir l'attention que les plus célèbres, soit parce qu'ils ont pu
ouvrir la route, soit à cause de la meilleure accessibilité de leur ornementation,
par rapport à des réalisations majeures dont la structure et la décoration sont parfois
difficilement perceptibles au regard humain du fait de leur position architectu-
rale très élevée, soit, simplement parce qu'ils sont également manifestation
d'une même ferveur créatrice. Les églises de Colombiers, d'Ingrandes, d'Oyré
méritent, ainsi, à plus d'un titre, de retenir l'attention. De même, les vestiges
des abbayes de l'Etoile et du Pin permettent une première évocation comparée de
l'art clunisien et de l'esprit cistercien.
Vue d'ensemble de Poitiers, la ville " aux cent clochers ", prise du plateau des Dunes.
A gauche, l'église Sainte-Radegonde, à droite, la cathédrale Saint-Pierre scandent
de leur volume la perspective des toits.
Cette galerie photos entend modestement préparer la route en présentant
les divers volets de l'art roman de la partie sud de la Vienne ; il est bien entendu
que c'est in situ que ces oeuvres doivent être vues.
Par commodité, un regroupement géographique - critiquable - sera effectué
en associant des édifices réputés mineurs à un édifice clé en raison de leur
relative proximité géographique.
Ce travail d'évocation renvoie la recherche érudite aux spécialistes
d'archéologie et historiens de l'art. Seule l'étude de leurs travaux peut
restituer totalement la saveur de la richesse du patrimoine roman poitevin.
C'est donc tout naturellement que nous déclarons notre dette aux auteurs
dont les oeuvres ont été notre guide.
( Les références sont en fin de site ).
POITIERS, ses ALENTOURS et la VIENNE ROMANE DU NORD.
Poitiers : Notre-Dame -la-Grande, Saint-Hilaire-le-Grand,
Sainte-Radegonde
Autres églises romanes de Poitiers : Saint-Germain, Saint-Jean de Montierneuf,
Cathédrale Saint-Pierre, Saint-Porchaire, Baptistère Saint-Jean
Abbaye de l'Etoile commune d'Archigny
Abbaye du Pin
Abbaye de Fontaine-le-Comte
Bonneuil-Matours
Colombiers : Colombiers, Saint-Léger-la-Pallu
Lencloître : Chouppes, Doussay
Autour de Loudun : Chalais, Mouterre-Silly, Saint-Léger-de-Montbrillais
Nouaillé-Maupertuis
Oyré
Saint-Benoît
Entre Vienne et Creuse : Chenevelles, Coussay-les-Bois, Ingrandes-sur-Vienne,
Leigné-les-Bois
Le message des pierres romanes :
des hommes ... et de Dieu.
Le patrimoine roman, interrogé dans son profond silence, constitue un riche
document d'histoire. En 2005, une exposition au Musée du Louvre ( 9 mars-
6 juin ) a ainsi entrepris de célébrer " la France romane ". Danielle Gaborit-
Chopin et Jean-René Gaborit, commissaires de l'exposition, mettent en avant
l'éclectisme des artistes de l'époque qui proposent des solutions différentes
pouvant " aboutir à un chef-d'oeuvre comme à une impasse ".
Les édifices romans, s'ils ont tendance à devenir un domaine réservé aux
historiens de l'art, furent un jour l'expression d'une jaillissante manifestation
de vie. L'approche et la lecture des oeuvres romanes, telles qu'elles peuvent
être faites aujourd'hui, diffèrent totalement de ce que pouvaient en faire jadis
leurs maîtres d'oeuvre. Au-delà des strictes considérations techniques, c'est
dans la conception même de l'art que s'opposent les hommes du XXIe siècle
et ceux du Moyen Age. On sait que l'art est un type d'activité humaine faisant
appel à certaines facultés sensorielles, esthétiques et intellectuelles.
L'architecture, la sculpture, la peinture et la musique sont ainsi autant de
modes d'expression de la beauté. A la limite, l'art pour l'art porte en lui sa
propre justification. En ce cas l'art devient une sorte de langage en soi.
A l'époque romane, les ornements, par-delà leur valeur décorative, avaient-
ils aussi une dimension éducative ? Pour certaines formes décoratives,
tels les ornements géométriques, la réponse est sans doute assez simple ;
il ne convient pas de leur attribuer de sens caché. Il peut en être différemment
pour les masques humains ou les représentations animalières et mons-
trueuses. S'ils ont un rôle esthétique, ces décors ne sont-ils pas aussi parfois
chargés de symboles directs ou indirects ? Sur ce point, le débat entre
spécialistes est probablement loin d'être épuisé. Il semble, cependant,
qu'une double dimension ornementale et éducative puisse être largement
reconnue à certaines thématiques romanes. Ainsi, l'imaginaire médiéval est
peuplé de monstres dont certains organes sont multipliés ou hypertrophiés.
Les représentations monstrueuses proviennent d'un mélange des genres
( humain et végétal, par exemple ) ou s'obtiennent par hybridation, soit
figurations animales ou monstrueuses à figure ou tronc humain ( corps
d'oiseau à tête humaine ou corps de poisson et torse de femme, par exemple ),
soit personnages à visage animal. D'une façon générale, il semble qu'on ait
désiré mettre en avant la crainte que doivent inspirer les forces du mal.
Par son apparence monstrueuse le démon est susceptible d'inspirer l'effroi
chez les populations ; l'emprunt aux arts orientaux des formes matérielles
les plus horribles participe vraisemblablement de cette volonté. Bien
souvent, le sens général, s'il existe, demeure vague ou obscur. Il restera
toujours difficile de cerner en toute certitude la part qu'il faut attribuer à
l'ornementation ou au symbolisme. Il est sûr que des transferts de symboles
par copie ou par libre interprétation d'objets venus d'Orient vers l'art paléo-
chrétien, préroman et roman ont eu lieu. Mais, dans quelle mesure aussi
ces figurations étranges, une fois empruntées, étaient-elles considérées à
titre décoratif ? Le réalisme n'est pas la caractéristique majeure de ces
réalisations largement indifférentes à toute idée de proportionnalité.
La dimension des représentations animalières et humaines est à la mesure
de leur poids symbolique. C'est ce qui donne probablement la clé de lecture
de l'exagération constatée de certaines parties du corps comme les mains ou
le masque. C'est délibérément que ces éléments signifiants ont été accentués.
A l'époque romane, il est permis de penser que l'art était perçu plutôt comme
significatif de réalités célestes qu'il pouvait permettre d'atteindre. Avant de
s'ouvrir au profane, cet art avait une essence religieuse ; il est envisagé avant
tout en tant qu'oeuvre pour Dieu ; c'est une consécration de l'activité humaine
à la louange de Dieu et au culte divin. Afin de rendre grâce à Dieu, abbayes,
prieurés et églises paroissiales investissent dans la pierre ; l'époque bâtit,
sculpte et peint en vue du Ciel.
Sans doute a-t-on pu avancer des hypothèses très différentes pour expliquer
le mouvement religieux médiéval : pour les uns, la crainte de l'avenir, la peur
de l'an mille qui n'est pas encore éloignée, les luttes féodales, la recherche
de la sécurité matérielle, le poids institutionnel de l'Eglise, mais aussi,
pour d'autres, le désir de servir Dieu. C'est dans cette dernière perspective
que l'on a pu dire qu'un " élan de foi " animait les hommes de métier à l'origine
de ces édifices romans les plus grandioses comme les plus humbles. Georges
Duby, dans Le temps des cathédrales écrit qu'à l'époque romane l'art n'a
" d'autre fonction que d'offrir à Dieu les richesses du monde visible ". La main
de ces anonymes - habités d'une fervente énergie créatrice - disposait du
pouvoir d'insuffler l'esprit à la matière brute et de la transfigurer. A ce titre,
les monuments romans témoignent encore de la prégnance du sacré, bref,
de l'idéal qui présida à leur réalisation.Finalement, c'est à deux niveaux de
lecture que l'art roman doit être perçu ( Danielle Gaborit-Chopin, in
Le Monde, Emmanuel de Roux, 17 mars 2005 ) : " un accès immédiat pour le
plus grand nombre et un message caché qui s'adresse aux élites ", c'est-à-
dire à la fois leçon donnée au peuple chrétien et message destiné au petit
nombre d'hommes et de femmes cultivés à la recherche de la pureté. Aussi,
on ne peut pas quitter ce patrimoine qui a traversé la nuit des temps sans
une certaine émotion. Ces pierres qui furent le témoin de tant de ferveur et
de joies, mais aussi de tant d'épreuves et de souffrances, portent encore
les stigmates de l'histoire ; n'ont-elles pas été laissées à l'abandon par
ceux-là mêmes à qui elles étaient destinées : les hommes ?
De nos jours, seule demeure la beauté de la pierre métamorphosée par
la main de l'homme. Architecture, sculpture, peinture - qui ont plus ou
moins bien résisté à l'épreuve du temps - s'offrent alors en elles-mêmes
et pour elles-mêmes au regard des hommes sensibles à une certaine forme
de beauté. Ceux d'aujourd'hui, admirateurs des vieilles pierres, pensent
les sortir de la chape de silence qui pèse sur elles en les réhabilitant pour
le plus grand plaisir du visiteur qui sait être attentif à ce qui l'entoure.
Cependant, au-delà de cette pure recherche esthétique, huit siècles
après, des oeuvres romanes peuvent encore toucher plus profondément
la sensibilité de l'homme contemporain qui accepterait de prendre toute
la mesure pleine et entière du message des pierres romanes.
La mémoire des pierres exprime comment une partie de l'humanité
s'est un temps définie avec ses problèmes, sa façon de voir et ses
tentatives de se perfectionner elle-même ainsi que le monde dans lequel
elle se situait. Ce qu'elle relate de l'homme, recevable ou critiquable dans
un autre contexte spatio-temporel, reste une manière de dire l'homme à
l'homme. L'art dévoile, par là-même le tréfonds de l'être humain. Dans
cette perspective, la mémoire des pierres permet ainsi de saisir le passé
sans souci de prosélytisme.
Mais si l'art s'efforce d'exprimer la condition de l'homme, ne peut-il pas aussi,
à sa manière, être invitation, pour certains, à quête et recherche de sens ?
En cela il pourrait être chemin vers l'Absolu. On rejoint ici la finalité
d'associations comme arts, culture et foi ou patrimoine, culture et foi qui
entendent exprimer le lien existant entre beauté, humanité et spiritualité.
Selon cette approche et cette lecture, la création artistique de l'époque
romane, à l'instar d'autres manifestations artistiques, pourrait être
invitation à la production de sens.
Dans cette perspective, il n'est pas exclu que certains puissent tirer
parti de la valeur spirituelle d'un édifice de pierre rencontré au détour
d'un chemin ou au coeur de la cité.
Au-delà de la seule dimension artistique de ces voûtes séculaires,
de ces portails et chapiteaux historiés, la sérénité qui se dégage de ces
édifices ne pourrait-elle pas aiguillonner encore la sensibilité de
l'homme contemporain qui saurait s'arrêter de courir et faire silence
en soi-même ? Ainsi, le contact avec les pierres romanes,
transfigurées par le ciseau ou le pinceau, pourrait favoriser un bénéfique
retour sur soi et impulser un regard nouveau sur l'aventure de vivre.
Bien sûr, et c'est une différence fondamentale avec le Moyen Age, il n'est
reconnu, dans les sociétés contemporaines, à aucune conception
philosophiqque ou religieuse le monopole du sens. L'homme occidental
actuel mène sa vie dans une société sans lien institutionnel avec le monde
d'en haut ; il lui reste, cependant, à construire sa vie en choisissant son
itinéraire. Et si une leçon des pierres romanes, par l'alliance de la beauté
et de la sérénité, était aussi de stimuler le regard qui cherche ?
Quoi qu'il en soit, ce patrimoine roman restera le fruit d'hommes de
métier, en même temps qu'oeuvre de toute une population anonyme dont
la mémoire des pierres rendra toujours présente à nos modernes esprits
son âme collective.