OISEAUX, CALICE et BARQUE
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De tous temps, sa nature composite - corps et esprit - a toujours interpellé l'homme. L'imagerie romane à son tour s'est fréquemment emparée de la complexité du thème pour évoquer l'éternel mystère de l'homme.
Les sculpteurs romans et leurs commanditaires sont prompts à dénoncer tout ce qui peut mettre en danger le développement spirituel de l'humanité en général et de chacun en particulier.
La dimension ornementale/symbolique de la gent ailée se retrouve dans deux thèmes qui ont permis la réalisation de quelques -unes des plus originales créations sculpturales romanes : le thème des oiseaux près d'un calice et celui des oiseaux dans une barque.
✏ ✏ Oiseaux buvant dans une coupe.
Deux oiseaux de chaque côté d'une coupe constituent une représentation fréquemment rencontrée sous le ciseau de l'imagier. Si ce thème se rencontre fréquemment sur les façades, et chapiteaux de nombreuses régions romanes, les oiseaux figurés ( réels ou imaginaires, échassiers ou non, rapaces ou colombes ...) sont différents ainsi que le savoir-faire des maîtres tailleurs.
** Toujours est-il que ces compositions joliment décoratives sont perçues classiquement comme des évocations de l'Eucharistie, les oiseaux se désaltérant au sang contenu dans le calice.
** Des auteurs comme Anne et Robert Blanc proposent de voir dans cette composition une évocation du thème de l'équilibre entre tendances intérieures.
L'homme est un être complexe partagé entre des tendances le tirant dans un sens ou dans un autre. La nature composite -animale et spirituelle- de l'homme fait qu'il est souvent sujet à des tensions intérieures variées. En mettant en scène oiseaux,( mais aussi des griffons, lions ou monstres fabuleux divers), les imagiers romans ont, à leur manière, perçu le problème. Certaines figurations laissent à penser qu'ils ont été sensibles à l'existence de tensions qui se partagent le coeur de l'homme et qu'ils ont essayé de les traduire à leur manière dans la pierre avec les moyens dont ils disposaient.
Naturellement les artisans de l'époque n'ont pas élaboré explicitement des grilles de lecture comme celles que nous proposent Anne et Robert Blanc afin de mettre de l'ordre rétrospectivement dans l'exposé des diverses représentations rencontrées : les deux sujets se faisant face, s'accordant, s'affrontant ou se croisant mais qui évoquent une part du même homme.
La symétrie de la composition est à observer : cela signifie que chacun des deux protagonistes prend en considération l'existence de l'autre. Dans ce genre de représentation où chaque être est concerné par l'autre ce qui est évoqué, peut-on estimer, c'est la quête d'harmonie intérieure ou, au contraire, la manifestation d'une opposition plus ou moins dure.
Chacun des êtres constitue une évocation d'une tendance intérieure au même homme, tendances entre lesquelles il est partagé.
Magnifique élément de frise.
Cathédrale Saint-Pierre, Angoulême, Charente.
Deux groupes d'oiseaux s'abreuvant dans une même coupe.
Eglise d'Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.
Les célèbres oiseaux buvant dans une même coupe dans une des arccatures jumelles. Les complexités de l'homme sont en accord pour parvenir à un même but : se rapprocher de la la coupe - la bonne parole, l'eucharistie - et y boire afin d'y puiser des énergies spirituelles positives.
Ancien prieuré de Villesalem, Vienne.
Echassiers buvant dans une coupe.
Eglise de Civaux, Vienne.
Oiseaux buvant dans une coupe.
Chapiteau du porche, Eglise Saint-Porchaire, Poitiers, Vienne.
Mur sud : Oiseaux buvant dans une même coupe.
Eglise Saint-Hilaire, Melle, Deux-Sèvres.
Deux oiseaux grossiers buvant dans un calice
évoquent traditionnellement l'Eucharistie.
Eglise de Secondigny, Deux-Sèvres.
A gauche de la porte un beau chapiteau sculpté représente, comme souvent en Poitou, un oiseau buvant dans une coupe. En fait, il y a deux oiseaux ; on ne voit plus que le bec - endommagé - du second dont le corps
est dissimulé par la masse du contrefort.
Eglise de Bonnes, Vienne.
Sous le ciseau des imagiers le motif de la coupe entre deux oiseaux revient sans cesse. Toutefois, la coupe peut revêtir des formes diverses comme sur cette corbeille.
Eglise de Tavant, Indre-et-Loire.
L'oiseau est fréquemment représenté buvant dans une coupe.
Il peut alors être considéré comme le messager de la Bonne Nouvelle.
Eglise Notre-Dame de Corme-Ecluse, Charente-Maritime.
Oiseaux d'un chapiteau de la travée sous clocher ; ceux des angles s'abreuvent classiquement à une même coupe.
Eglise de Bonneuil-Matours, Vienne.
Deux oiseaux buvant dans une coupe et feuillages.
Ancienne abbaye de Saint-Benoît, Vienne.
Variante saintongeaise.
Eglise de Jarnac-Champagne, Charente-Maritime.
Deux oiseaux buvant dans une même coupe qui contient le breuvage d'immortalité.
C'est une version particulière de l'évocation classique du salut, de l'Eucharistie.
Eglise de Saint- Saturnin, Puy-de-Dôme.
Variante auvergnate. Eglise de Mailhat, ( commune de Lamontgie), Puy-de-Dôme.
Thème traditionnel d'aigles buvant dans une coupe.
Ancienne priorale, Volvic, Puy-de-Dôme.
Un des rares exemples de symbolique explicitement chrétienne dans le cloître roman de l'île Lipari, Italie : deux oiseaux buvant au calice.
Evocation classique du thème de l'équilibre par ces deux aigles buvant dans une coupe,
chacun des deux tenant compte de la présence de l'autre.
Toutefois un motif qui se répète au-dessus des deux oiseaux a été ajouté par le sculpteur à l'image traditionnelle : deux personnages
introduisent un " petit objet " dans le calice qui pourrait symboliser une part d'eux-mêmes, la meilleure ?
Eglise de Saint-Hilaire-la-Croix, Puy-de-Dôme.
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✏ ✏ Oiseaux dans une " barque " en forme de feuille aux extrémités relevées.
Ce sujet qui semble relativement peu traité offre de belles réalisations en terre saintongeaise. Est-on en présence d'un motif purement ornemental ou faut-il aller plus loin dans la recherche d'interprétation ?
Chapiteau de la quatrième pile nord de la nef : Deux oiseaux montés dans une barque - représentation classique de l'église - se détournent l'un de l'autre.
Les deux tendances évoquées ont de la difficulté à admettre le bien-fondé de ce que représente l'autre.Les deux oiseaux debout dans un canot, semblent symboliser la difficulté de réconciliation de sentiments divergents qui partagent le coeur de l'homme.
Ne serait-on pas en présence d'une image de ce que Anne et Robert Blanc proposent d'appeler la " réticence " (2000, p. 142 ).
Eglise Saint-Pierre, Melle, Deux-Sèvres.
Le même thème se retrouve, dans une très belle réalisation, à une trentaine de kilomètres, sur un chapiteau de l'église d'Aulnay- de- Saintonge, Charente-Maritime.
En retrouvant l'image de la barque, déjà rencontrée précédemment, ces deux oiseaux semblent se réconcilier...
Chapiteau de la façade de l'abbatiale de Nieul-sur-l'Autise, Vendée.
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