cooltext1087604884

_____________________

Les images romanes n'entendaient pas être des représentations strictement réalistes, mais on peut penser qu'elles constituaient une sorte d'évocation des rapports sociaux médiévaux, des représentations du monde et de la culture religieuse de l'époque.
Si le sens réel du lexique roman nous échappe souvent largement, on peut tenter d'en saisir plus pleinement le sens profond en partant du présupposé que le cheminement vers la patrie céleste est empêché lorsque les actions humaines sont moins régies par le spirituel que par notre dimension animale qui nous tire vers le bas.
Les oiseaux sont, avec les lions, les animaux qui ont le plus inspiré les sculpteurs tant sur les frises des façades que sur les chapiteaux et les modillons.Les oiseaux, qu'ils soient diurnes ou nocturnes, évoquent toujours symboliquement la vie spirituelle de l'homme.


Le traité des oiseaux d'Hugues de Fouilloy : un bestiaire moralisé.

On sait que les bestiaires, appelés aussi "livres des natures des animaux", ont des significations symboliques. C'est ainsi que le De avibus de Hugues de Fouilloy (vers 1150), conservé à la Médiathèque de Troyes, donne une interprétation symbolique de nombreux oiseaux.

ois_135_2
Les colombes.
http://expositions.bnf.fr/bestiaire/feuilletoirs/oiseaux/ 01.htm

Rémy Cordonnier, Paris, Phénix Éditions, 2004.

Les transcriptions du texte sont extraites du fac-similé du manuscrit 177 de la Médiathèque de l’Agglomération troyenne, introduction et traduction

Ainsi de " La colombe dont les ailes sont argentées et le bas du dos couleur d'or pâle... Je veux non seulement dépeindre l'aspect de la colombe, ( écrit Hugues de Fouilloux,) mais aussi la décrire par des mots, afin que la peinture soit démontrée par le texte... Vois comme la colombe et l'autour sont posés sur la même perche".




L'ouvrage d'Hugues de Fouilloy est un petit opuscule sur la signification exégétique des oiseaux mentionnés dans la Bible ou dans les écrits patristiques. Ce projet religieux symbolisé par les oiseaux est constitué de soixante chapitres.
Les vingt-deux premiers portent sur la colombe et sur l'autour, qui représentent l'une le clerc et l'autre le chevalier, qui se sont tous les deux convertis à la vie claustrale
. Ce sont les vingt-trois derniers chapitres restreints aux oiseaux qui s'apparentent à ceux d'un bestiaire moralisé traditionnel. Une trentaine de figures annotées constituent le programme iconographique du traité. Sous les traits d'un Bestiaire, l'Avarium traite de la signification et des obligations de la vocation religieuse dans la tradition des règles monastiques.
C'est pourquoi
le spécialiste, Rémy Cordonnier, est amené à traiter le de Avibus d'ouvrage hybride, tenant à la fois du bestiaire moralisé et d'un opuscule sur la vie religieuse.
Chaque chapitre consacré à un oiseau spécifique, commence par une citation biblique ou patristique dans laquelle est évoqué un oiseau. Cette citation est suivie par la présentation des caractéristiques de l’oiseau en question : les « natures » dans les termes de l'auteur. L'étude exégétique de cette description s'ensuit. Par exemple le pélican est traditionnellement associé à la Passion, et l’aigle, est vu comme un symbole de la Résurrection.

B2_21
Le pélican.
http://expositions.bnf.fr/bestiaire/feuilletoirs/oiseaux/ 01.htm

N'oublions pas cependant que le symbolisme animal médiéval n'est pas exempt d'ambivalence polysémique. A l'époque l'animal véhicule fréquemment une pluralité de valeurs symboliques positives et négatives.
Le fait pour Hugues de Fouilloy d’avoir dédié son œuvre à l’enseignement des moins cultivés explique qu’il soit illustré de nombreuses miniatures. Ces images pouvaient également servir de support visuel à l’enseignement d’un maître.

Plus généralement on a vu dans un site précédent ( Images et symboles romans : http://jalladeauj.fr/symboles/index.html ) que deux clefs interprétatives symboliques fondamentales peuvent aider au décryptage des images romanes :

quintanilla bb

Les impostes de l'arc triomphal de l'église Sainte-Marie de Quintanilla de las Viñas, Espagne offrent au regard de magnifiques oeuvres wisigothiques figurant des motifs décoratifs datant sans doute du VIIe siècle.
La frise comporte des motifs végétaux, des grappes de raisins, des oiseaux (pintades) qui s'inscrivent dans les cercles que dessinent les rinceaux stylisés.

1° Le symbolisme de l'arbre de vie manifeste l'aspiration de l'homme des temps romans à la spiritualisation. L'arbre symbolise la vie verticale à l'instar de l'homme sur la terre.
L'arbre qui s'élance vers le ciel constitue une sorte d'échelle fournie à l'homme par la nature qui lui a permis au cours des temps de donner une consistance à son espérance ascentionnelle. C'est pourquoi l'arbre, en tant que symbole de la verticalisation, évoque la vie spirituelle.
2° La dualité du spirituel et du corporel est représentée dans l'imagerie romane par le duo oiseaux/lions.

Stes S Eut 2 R 122
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritime.

Il est permis de penser que l'association de l'oiseau et du lion symbolisent dans l'art de la période romane la complexité fondamentale de l'homme à la fois corps et esprit.
Gérard de Champeaux et Sébastien Sterckx rappellent dans leur ouvrage fort documenté " Le monde des symboles " ( Zodiaque ) que les " deux archétypes fondamentaux du psychisme humain [sont]: l'oiseau - ou plus précisément l'aile, la plume - et l'animal terrestre ; tous deux étant combinés autour du schème de la verticalisation pour exprimer le mystérieux composé qu'est l'homme : corps et esprit. L'art roman a hérité cet hybride imaginaire que lui léguaient les plus anciennes civilisations et tout incline à croire qu'il l'a souvent utilisé à son tour pour symboliser l'éternel mystère de l'homme. Le thème est complexe. Les églises romanes l'ont reproduit à des milliers et des milliers d'exemplaires, surtout sous la variante du lion associé à l'aigle " ( p. 256 ).
..................................................
" Le mystère de l'homme, d'un corps uni à une âme, - survalorisé dans le christianisme par celui de l'Incarnation du Verbe de Dieu dans une authentique humanité est un de ces mystères [de vie qu'elles rendent perceptibles]. Mais ce n'est pas tout. Il s'y ajoute l'interférence angoissante des conséquences dévastatrices du péché... L'homme roman sait que toute sa vie sur terre, et son sort éternel, gravitent autour de ce drame. Il ne cesse de le scruter, de le retourner à la lumière de la révélation, de chercher les incidences de la grâce dans le lourd composé ; il réfléchit sur ses expériences de pécheur - que son péché entraîne irrésistiblement vers le bas, que la grâce soulève quand même vers le ciel. Le lion associé à l'aigle, c'est lui-même : le miroir où il se regarde. Ils lui servent à se dire, à s'expliquer ses meurtrissures, à fortifier ses espérances, à se délivrer de ses terreurs ; car toute angoisse objectivée est, en quelque sorte, désamorcée, pacifiée, ouverte à la lumière" ( p.265 ). Cette iconographie se traduit dans l'imagerie romane par ces deux créatures -oiseau et lion- posées l'une au-dessus de l'autre, réunies comme le corps et l'âme.

Stes S Eut 2 R 081_2
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritime.

La même inspiration peut être observée à Aulnay-de-Saintonge.

Aulnay 045
Eglise d'Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.
L'éclairage est encore plus symbolique lorsque l'être humain figure à côté de ses deux éléments constitutifs symboliques comme ci-dessous.
avy-pict0009
Eglise d'Avy, Charente-Maritime.

L'imagier utilise des oiseaux pour représenter la part spirituelle de l'homme et des lions ( ou quadrupèdes divers ) pour évoquer son animalité. C'est parce que l'homme est un être complexe que le sculpteur  évoque son caractère composite par cette intrication d'animaux symbolisant les tendances qui se partagent son être profond.

page1_13
Eglise de Secondigny, Deux-Sèvres.

L'homme sur terre a les pieds englués dans la glèbe ; partant de la matière, de l'animalité il peine à s'élever vers une dimension spirituelle supérieure. L'artiste a choisi les ailes de l'oiseau sur un lourd quadrupède pour signifier la nécessaire évolution spirituelle de l'homme qui ne veut pas demeurer embourber dans la lourdeur de la matière.

Stes S Eut 2 R 088
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritime.
C'est probablement dans ce bel édifice saintongeais qu'est l'église Saint-Eutrope que la dépendance mutuelle des trois êtres - homme, lion, aigle - est manifestée de la façon la plus étroite. Ici le lion est placé au-dessus de l'homme et le quadrupède est lui-même surmonté à son tour par l'oiseau.

saintes-detail-
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritime.

Cette vue de détail montre peut-être mieux encore comment l'aigle est simplement posé sur le lion qu'il tient par le bout de l'oreille.
Les oiseaux grâce à leurs ailes s'élèvent au-dessus des vicissitudes strictement terrestres ; c'est pourquoi ils symbolisent le spirituel. L'oiseau illustre ainsi les phases particulières de l'évolution spirituelle de l'homme progressant de la lourdeur de la matière vers une spiritualité plus grande.

Les oiseaux, symboles de l'énergie spirituelle.

corme-ecluse-56
Eglise de Corme Ecluse, Charente-Maritime.

Dans la scène de l'homme présentant une coupe à deux oiseaux qui l'entourent on peut voir une évocation de la spiritualité.


9_9
Aigles aux ailes déployées. Chapelle funéraire de Chambon-sur-Lac, Puy-de-Dôme.


Les ailes des oiseaux, comme celles des représentations angéliques, symbolisent la légèreté de l'esprit en comparaison de la lourdeur de la matière.

avy-pict0005
Eglise d'Avy, Charente-Maritime.

L'importance du thème de l'oiseau-force spirituelle est telle dans l'imagerie romane qu'il se trouve abordé sur deux voussures d'une façade saintongeaise ( Eglise d'Avy ).

Le thème de l'arbre, de l'oiseau et du cheminement spirituel.

L'arbre reçoit les messagers du ciel que sont les oiseaux. Le tympan de l'abbatiale Sainte Richarde d'Andlau présente l'intérêt de montrer l'évolution spirituelle que le croyant doit essayer de réaliser.
andlau-arbre-2*andlau-arbre-1*andlau-eden Abbaye d'Andlau, Bas-Rhin.

* Un archer bande son arc vers un oiseau perché sur les branches supérieures d'un arbre. L'homme s'identifie à la flèche qu'il va décocher. Par son intermédiaire il anticipe en quelque sorte l'accès à la cité céleste à laquelle il entend parvenir. Le tireur symbolise la recherche du dépassement corporel afin d'atteindre un niveau spirituel plus grand en vue du salut éternel.
* Deux arbres, deux oiseaux. Un petit personnage nu grimpe vers le sommet d'un premier arbre sec, dépourvu de feuillages et de fruits dans lequel niche un oiseau triste et maigre : c'est l'illustration de l'homme déchu après le péché.
L'autre arbre, en comparaison, apparaît d'une luxuriance extrême, le feuillage est riche, les fruits abondants et magnifiques : c'est l'évocation de la cité paradisiaque dans laquelle l'oiseau aux belles proportions - l'âme qui y parvient -.se réjouit des fruits délicieux qu'il savoure manifestement.
On ne peut mieux suggérer, par le symbolisme de l'arbre et de l'oiseau, l'aspiration de l'homme médiéval à la béatitude céleste à conquérir par le dépassement de soi et une vie spirituelle adaptée pour celui qui ne veut pas se laisser accaparer par les seules préoccupations d'ordre matériel.

Le monde des oiseaux dans l'imagerie romane : entre ornementation et symbolisme.

- Les aigles
- Les chouettes et hiboux
- Les colombes
- Varia
- Compositions plurielles
- Galerie d'oiseaux d'ici et là en grand format

_____________________