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Une découverte par l’image
« Le corps fournit à la société médiévale ses principaux moyens d’expression...
La civilisation médiévale est une civilisation du geste »
Jacques Le Goff « La civilisation de l’Occident médiéval », Champs histoire, Flammarion, 2008, p. 329.
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De tout temps le geste fait langage. Comme les traits du visage, les manifestations du corps, plus ou moins discrètes ou explicites, que sont les gestes traduisent une vie intense ; ils permettent un regard plus riche que celui du premier abord. C’est pourquoi ces gestes engendrent des systèmes d’expression communs. Une attitude, une posture, un geste peuvent être posséder une dimension symbolique et par là même évoquer autre chose que ce qu’ils semblent être a priori.
Des auteurs comme Jacques Le Goff et Nicolas Truong rappellent que la civilisation des moeurs au Moyen Âge est une civilisation des gestes. « Dans ce monde idéalement tourné vers la spiritualité, le renoncement à la chair et les temples de pierre, la gestuelle n’a rien de naturel. Dans cette société fortement ritualisée, les gestes... les mouvements et les attitudes du corps sont au coeur de la vie sociale » ( 2003, pp.152-153 ). Le genre littéraire de l’époque par excellence est la chanson de geste.
Dans le système de la symbolique corporelle, la main prend au Moyen Âge une place exceptionnelle, représentative des tensions idéologiques et sociales de la période. Contrats oraux, promesses et serments majeurs dans la société médiévale sont associés à des gestes.
☛ Une forme essentielle de gestualité corporelle signifie protection et commandement. A cet égard le rite de l’hommage vassalique est significatif.
Rituel de l’entrée en vasselage © ivn
La cérémonie de l’hommage, composée de trois parties, se déroule au château du suzerain. Le vassal, tête nue et à genoux, jure fidélité à son suzerain ; il place ses mains dans celles de son seigneur. Le vassal et le suzerain échangent alors un baiser sur la bouche en signe de fidélité. On disait que les vassaux faisaient en quelque sorte partie de la famille du suzerain « de bouche et de main »; ainsi est scellée l’entente symbolique du suzerain et du vassal. Le suzerain remet ensuite à son vassal une poignée de terre ou un gant symbolisant la concession du fief.
☛ A côté du geste évoqué ci-dessus exprimant la fidélité, il existe d’autres formes de gestualités de nature ludique, par exemple avec la jonglerie. De château en château, de place publique en place publique des hommes font des tours, chantent ou récitent des épopées.
Modillon représentant un joueur de trompe et jongleur. Eglise d’Echillais, Charente-Maritime.
Dans une société normalisée sur l’ordre chrétien les jeux sont largement considérés comme perturbateurs de l’ordre social. D’un côté, le geste est codifié et valorisé par la société médiévale, de l’autre la gesticulation - contorsions, déformations- est assimilée au désordre et au péché. La danse n’accédera jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise institutionnalisée ; la gesticulation évoquant la malignité, rire et jongleurs ne sont pas plus acceptés par les clercs soupçonnés qu’ils sont d’être inspirés par le diable.
☛ Mais c’est dans le domaine liturgique que le geste revêt une importance essentielle. En effet, les manifestations artistiques comme les écrits des temps médiévaux sont fortement imprégnées d’affirmation de foi. L’expression extérieure des hommes et des femmes représentés manifestent les mouvements et débats intérieurs des personnages.
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C’est avant tout le cas de la représentation médiévale de la main de Dieu sortant des nuages pour guider les hommes.
La main est aussi l’opératrice de la prière dont la plus ancienne figure a été celle de l’orant.
Elle est tout autant l’instrument des gestes simples d’indicateurs ( l’index pointé ) que des gestes majeurs de bénédiction, de foi, d’acceptation, de pénitence. Mais des créatures appartenant à l’univers du mal - les sirènes notamment - peuvent être représentées également les mains ouvertes et les doigts étendus, ce qui n’est pas sans mettre en question, dans un premier temps, le type d’interprétation.
Enfin les imagiers ont pu représenter discrètement des gestes simples qui méritent d’être relevés alors qu’ils échappent au premier regard.
Ces divers gestes accomplis par les différents personnages sculptés dans les scènes variées des tympans, chapiteaux et modillons comportent une dimension notoirement symbolique même s’il faut nécessairement rappeler qu’une univocité de signification ne soit pas la caractéristique majeure des figures romanes.
Les mains sont l’expression d’une activité ou d’un travail intérieur. Pour reprendre les termes de Pierre-Yves Le Prisé, qui a étudié le langage des sculpteurs romans dans les images de pierre, « la main fonctionne comme une sorte d’outil parabolique qui émet de l’intérieur de l’être et perçoit ce qui lui est transmis du dehors » (2010, p.200 ). Autrement dit une texture commune peut être dégagée de la diversité des gestes : celle d’une relation entre le domaine de l’intime et l’environnement matériel et spirituel.
Ce sont différents cas de figure que nous tenterons de découvrir par une sélection d’images romanes empruntées à des édifices de différentes régions.
☛Avant de parcourir en images les scènes se rapportant à notre thème il n’est pas sans intérêt de rappeler à propos des mains comment les sculpteurs de l’âge roman ont souvent négligé de façon délibérée toute idée de proportionnalité dans leurs réalisations. Sans doute faut-il voir dans la représentation démesurée des mains une intention symbolique.
Le thème de la Vierge à l’Enfant nous en donne un bon exemple. Hiératique, assise sur une cathèdre, en majesté, la tête droite, le regard lointain, fixant un Ailleurs, elle tient sur son genou gauche l'Enfant à tête d'homme qui bénit et tient le Livre. Marie présente son Fils ; ouvrant ses mains elle l’offre à l’humanité pour son salut. L’Enfant paumes ouvertes accueille les fidèles. Tenant le Livre, Verbe incarné, il l’enseigne.
Ces vierges en majesté auvergnates figurent le mystère de l'Incarnation et tendent à dépasser les seules réalités terrestres. Elles ont la position de Sedes Sapientiae, c’est-à-dire qu’elles siègent en « Trônes de la Sagesse. »
Pour l'homme roman ces statues veulent exprimer l'indicible même si, pour l'homme contemporain, sensible à une certaine forme d'esthétisme, seule demeure, le plus souvent, la seule beauté du matériau métamorphosé par la main de l'artiste.
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* Eglise Saint-Trojan, Rétaud, Charente-Maritime.
** Eglise d'Echillais, Charente-Maritime.
Eglise de Candes-Saint-Martin, Indre-et-Loire.
A défaut de document laissant entendre le sens exact qu'il convient de leur donner, les interprétations de ces sculptures resteront toujours délicates. Sans doute, faut-il éviter deux écueils dans la lecture de certaines sculptures romanes qui ne parlent pas directement d’elles-mêmes : voir trop ou trop peu.
La recherche louable et nécessaire de relations indissociables et signifiantes entre images sculptées doit s’accompagner de mesure : cas d'espèce, emplacement et contexte sont sont des voies d'approche pour le non spécialiste qui veut voyager à travers le temps des pierres.
Tout essai de décryptage d'une figure de pierre ne peut être véritablement tenté qu’en replaçant l'image dans son ensemble contextuel général. Compte tenu qu'on ne sait pas, la plupart du temps, ce qu'ont voulu exprimer exactement les imagiers romans il est difficile de donner une signification univoque à des figures médiévales qui resteront par définition ambivalentes, polysémiques.
Au final, il se pourrait que nombre d’images, non directement explicites, ne puissent être véritablement appréhendées qu'à des niveaux de lecture différents...
De nos jours, la force expressive de l’image demeure même si son sens plénier n'est pas parfaitement retrouvé. Nos contemporains peuvent au moins se retrouver à ce niveau, même si la mémoire des pierres exprime plus profondément comment une partie de l'humanité s'est un temps définie avec ses problèmes, sa façon de voir et ses tentatives de se perfectionner elle-même ainsi que le monde dans lequel elle se situait.
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Les gestes comme langage : thèmes et types d’images
* Gestes se suffisant à eux-mêmes
L’index pointé qui désigne quelqu’un en le montrant ou la main tendue les doigts joints vers un personnage.
* Puissance divine et ouverture aux hommes
L’Être divin représenté par une main sortant des nuées. Attitudes d’autorité, de puissance, de majesté, de jugement du Christ et simultanément d’ouverture vers la multitude humaine.
* Gestes de prière
Les mains sont jointes classiquement en position d’oraison. Des gestuelles particulières peuvent être associées exprimant l’absence de crainte, la force intérieure, la confiance dans la Bonne Nouvelle...: Daniel dans la fosse aux lions, la lapidation d’Etienne, les trois Hébreux dans la fournaise...
* Gestes de foi
Des personnages lèvent la main en signe de profession de foi. La main peut se tourner vers le monde d’en haut pour supplier d’une manière humble et touchante, adorer et peut-être aussi accueillir.
* Gestes de consentement, d'acceptation, de soumission mais aussi de refus : mains ouvertes versus mains repliées sur elles-mêmes.
L’Annonciation peut être considérée comme l’exemple-type d’un geste d’agrément. Mais lorsque des êtres malfaisants peuvent aussi avoir leurs mains ouvertes il s'agit alors d'un registre de valeurs tout différent ; on peut parler de soumission à leur sort. Et que dire, à l’opposé, des quelques postures gestuelles adoptées par des personnages les mains fermées ? Est-on en présence d’évocations du monde du Mal, d’une possession par les vices, d’un rejet du bien ?
* Gestuelle corporelle
Parfois c’est le corps tout entier qui fait geste : attitudes d'ensemble, postures, jeux de mains....
* Petits gestes discrets et pourtant non dénués de sens
Certains gros plans révèlent des détails, des expressions, des gestes simples mais signifiants que la seule vue globale de la scène aurait conduit à négliger.
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