1/ MESURE, COMPARAISON, FELICITE PUBLIQUE : l'arithmétique politique anglaise
à la fin du 17 è siècle réinterprétée.


 

Le fait que la Richesse des Nations d'Adam SMITH devienne le texte fondateur de l'économie politique classique a conduit à ignorer, bien souvent, l'histoire du savoir économique avant 1776. Le troisième centenaire de la formulation de ce qui a pu être appelée la loi King - Davenant ( 1699 ) est une bonne occasion pour revisiter les efforts pionniers des initiateurs de l'économie empirique quantitative .

Les auteurs dont nous allons présenter les contributions méthodologiques ont en commun un certain esprit qui incite à les ranger sous la même enseigne : celle d'arithmétique politique anglaise.
John Graunt ( 1620-1674 ), Gregory King (1648-1712 ), Charles Davenant ( 1656 -1714 ) sont les figures marquantes de cette première tentative d'économie positive initiée par William Petty ( 1623-1687 ) .

L'expression d'arithmétique politique fut forgée par Petty en 1671 mais, c'est un de ses disciples ,
Charles Davenant qui en donna la meilleure définition (1): " l'art de raisonner avec des chiffres sur les objets relatifs au Gouvernement "( 1711, 1 , p. 128 ) . L'analyse numérique esquissée par ce courant de pensée " devait rester pratiquement lettre morte pour la plupart des économistes pendant deux cent cinquante ans " ( Schumpeter, 1, p. 295); le célèbre auteur de l'Histoire de l'analyse économique fait probablement référence à la naissance de l'économétrie ( L' Econometric Society fut fondée en décembre 1930 ). A l'exception de Richard Cantillon dont le Supplément à l' Essai sur la nature du commerce en général a été perdu, le recours aux méthodes quantitatives disparaît du paysage intellectuel à la fin du 18 ème siècle pour revenir avec force sur le devant de la scène à l'époque contemporaine .

Au-delà du mercantilisme, les arithméticiens politiques anglais tentent de mettre en oeuvre une nouvelle formulation et de nouvelles modalités de traitement des questions économiques. La célèbre maxime de
Petty selon laquelle les chercheurs devraient s'exprimer " en termes de nombres , poids et mesures " ( 1905 , 1, p. 268) traduit bien l'idée que le dénombrement est la quête centrale de ce groupe d'auteurs anglais. Le langage courant constituant l'unique véhicule des pensées économiques antérieures, ils ont conscience de l'originalité de leur démarche; l'arithmétique politique est un art encore " peu communément pratiqué " et, par suite, " non encore poli et que le temps pourra porter à la perfection" (Davenant, 1771, 2, p. 170) lorsque les défauts et les insuffisances viendront à être rectifiés par " toutes les personnes ingénieuses et sincères" ( Petty , 1905 , 1 , p. 269 ) .

Fondamentalement , ce qui est en jeu n'est autre que le statut de cette ébauche d'économie positive apparue à la fin du 17 ème siècle. Pour les arithméticiens politiques, l'activité scientifique se caractérise par la mesure; la science repose sur l'articulation étroite entre les raisonnements, les données numériques et les représentations statistiques. Il s'agit ici de caractériser les buts et les méthodes de cette première économie quantitative tels qu'ils peuvent être mis en évidence à partir des travaux de
Petty , Graunt et Davenant .

 
I - L'OBJET DE L'ARITHMETIQUE POLITIQUE.

L'arithmétique politique n'est pas une étude économique désintéressée ; c'est , au contraire, une analyse conduite avant tout à des fins pratiques.
Davenant et Petty, à l'égal de Graunt, ne souhaitent pas s'engager dans des " spéculations oiseuses et inutiles" ( Graunt , 1909 , 2 ,p. 358 ). L'observation et le dénombrement ne peuvent être dissociés de l'usage auquel l'information quantitative est destinée. L'arithmétique politique sert avant tout à éclairer les pouvoirs publics afin que les décisions et mesures de politique économique soient les meilleures possibles dans l'intérêt du pays tout entier. C'est par le triple mérite que ses initiateurs lui reconnaissent que l'analyse nouvelle peut être la mieux appréhendée .

 
1 . C'est d'abord
un avantage national qui pourrait être retiré de l'emploi de l'arithmétique politique . C'est une préoccupation commune à tous les auteurs mercantilistes .

Au plan global , l'information quantitative a pour but premier l'instauration d'un" gouvernement bien sûr et facile " (
Graunt , 1905 , 2 , p. 440 ) visant à " l'établissement de la paix et de l'abondance " nationales ( Petty , 1905 ,1 , p. 150 ) . Il est à remarquer que cette dernière expression se retrouve de façon significative chez Graunt ( 1905, 2, p. 438). Dans les divers domaines de l'activité économique ( population, taxation, revenus publics, commerce national, échanges internationaux, états des richesses et des dépenses ) des questions en termes de nombres et de proportions, de taux d'augmentation et de durée d'accroissement doivent être posées. L'information quantitative obtenue à partir des réponses à ces questions permettrait, du point de vue de nos auteurs, un meilleur fonctionnement du jeu économique et de la vie sociale ainsi qu'une maîtrise, par le souverain et ses premiers ministres, de variables économiques clé. En prenant appui sur des études réalisées à partir d'une base économique quantitativement informée " commerce et gouvernement deviennent plus certains et plus réguliers " ( Graunt , 1905 , 2 , 439 ).

Ce sont, aussi, des avantages plus spécifiques qui pourraient être obtenus. L'étude de la population, par exemple, permettrait non seulement de connaître la répartition des habitants selon l'âge, le sexe, la profession ou la catégorie sociale, mais rendrait également possible la connaissance de la consommation " de manière à ne pas espérer faire un commerce là où il est impossible " (
Graunt, 1905, 2, p. 439). De même, pourraient être connus la proportion des travailleurs productifs par rapport à ceux qui " ne font absolument rien sinon d'apprendre à dépenser ce que les autres gagnent " ou le nombre de ceux qui vivent de métiers relatifs au seul plaisir et au luxe ( Graunt , 1905 , 2 , pp. 439-440 ) .

Enfin, la dénonciation des idées fausses serait aussi une des vertus de l'arithmétique politique. A suivre
Petty, la substitution d'un critère d'évaluation de la richesse nationale en termes " de nombres , d'arts et d'industries " au critère erroné de la seule dimension géographique du territoire permettrait d'éviter de nombreux conflits entre nations.

 

2. Le recours à l'arithmétique politique permettrait, ensuite, de mieux atteindre un
objectif de puissance relative.

La grandeur comparative des Etats est une notion habituelle de la littérature de l'époque. Pour
Davenant, l'arithmétique politique loin d'être une pure affaire de " spéculation de cabinet " ( 1771 , 2 , p. 135 ) sert à informer un gouvernement de la richesse, de la puissance, du commerce et des revenus d'un pays relativement à l'état et à la condition de ses alliés et de ses ennemis. Dans la situation de crise que connaît l'Angleterre ( 2 ), Petty s'interroge avant tout sur l'avenir réservé au Royaume-Uni face aux menaces que font peser sur lui, la France et la Hollande. Son arithmétique politique aura pour objet de démontrer que " les obstacles à la grandeur de l'Angleterre ne sont que fortuits et peuvent être facilement écartés", que " les affaires du pays ne sont nullement dans un état critiquable " et qu'au contraire, la puissance et la richesse ont augmenté pendant les dernières décennies; en dernière analyse, les Anglais sont appelés " à mener le commerce du monde commercial tout entier". L'idée partagée par l'ensemble des arithméticiens est la recherche de voies et moyens permettant à une nation d'être bénéficiaire dans les échanges commerciaux internationaux. Pour eux , à n'en pas douter , " la plus grande entreprise du monde consiste à rendre l'Angleterre aussi importante dans le commerce que la Hollande, car il n'y a dans le monde, précise Graunt, qu'une proportion déterminée de commerce " ( 1905 ,2 , p. 383 ). Cette dernière remarque montre que nos auteurs, comme tous les mercantilistes, proposent la réalisation d'un idéal national dynamique mais que, simultanément, leur perspective analytique se combine à une conception entièrement " statique des ressources économiques globales du monde " (Heckscher , 2 , p. 25 ). Les échanges internationaux sont considérés comme un jeu à somme nulle dans lequel une économie ne peut croître qu'aux dépens des autres .

En dernière analyse, ce sont les événements qui incitent avant tout les pouvoirs publics à développer leur information. A une époque marquée par un rude affrontement entre pays, la richesse du royaume est le signe d'une indépendance économique face aux autres nations .

3. Au-delà de ses buts explicites , il semble que l'arithmétique politique puisse s'interpréter in fine en tant qu'
outil de rationalisation des pratiques sociales. C'est parce qu'elles apporteraient "une connaissance claire" que l'information et l'analyse quantitatives pourraient remplir plus largement cette fonction. Par l'établissement de proportions et de relations numériques, la quantification fournirait, par elle-même, une forme de savoir libre de tout biais. Les arithméticiens craignent les effets déformants d'une spéculation purement fondée sur des idées générales posées a priori .

L'essai de
Petty est, à cet égard, un véritable manifeste empiriste ( cf.,ci-dessous, p. 7s.). Parce que " l'ignorance du nombre de la population, de la valeur du commerce et de la richesse, constitue souvent la raison pour laquelle cette population est inquiétée inutilement, c'est-à-dire par les charges doubles et les vexations de deux ou plusieurs perceptions dont une seule aurait suffi " ( Petty ; 1905 , 1, p. 29 ) l'arithmétique serait par elle-même génératrice d'ordre ( 3 ). Les données relatives à la population dans toutes ses composantes permettraient, par exemple, de déterminer les besoins du royaume en universitaires et hommes de loi; l'adjonction de statistiques de mortalité et de morbidité permettrait de connaître les besoins en médecins. Les prélèvements publics pourraient, de la même façon, être limités à la couverture stricte des dépenses publiques. Des études relatives à la valeur des propriétés pourraient être réalisées et les impositions sur les terres judicieusement établies de telle sorte que serait supprimée une des causes de conflits s'élevant entre parties civiles et autorités administratives. Petty aborde même le problème de la répartition inégale des richesses. Face à cette question, source de violentes discussions sociales, il ne va pas, cependant, jusqu'à proposer la suppression complète des disparités sociales et politi-ques. Il considère que la distribution sera toujours inégale: " que quelques -uns soient plus pauvres que d'autres , cela a été et sera toujours " ( 1905 , 2 , p. 681 ). Affrontements et conflits lui paraissent inhérents à toutes les formes d'organisation sociale; on ne saurait trouver chez Petty, les catégories de"main invisible"et d'auto-régulation du siècle suivant. Il semblait à Petty comme à Graunt que l'arithmétique politique, par ses méthodes et ses potentialités, éviterait les divisions, écarterait les passions, en un mot préserverait " la paix publique " ( 1905 , 1, p. 94 ). A la limite , la connaissance de l'état véritable du pays et de la condition de ses habitants devrait même permettre l'établissement d'un consensus social indépendamment des désirs de chacun et des intérêts des groupes. La connaissance claire permettrait de " contrebalancer les partis et les factions à la fois dans l'Eglise et dans l'Etat ", n'hésite pas à écrire John Graunt ( 1905 , 2, p. 440 ). De même, Petty conclut que l'arithmétique politique favoriserait l'harmonie sociale en promouvant "l'unité, le travail et l'obéissance pour la sécurité commune et le bonheur particulier de chaque homme " ( 1905 , 1, p. 348 ) .

A une époque d'expansion des systèmes d'information comme le nôtre, certains développements enthousiastes des arithméticiens paraissent naïfs; le nombre et la qualité des données n'évitent pas, par leur seule existence, les affrontements sociaux. Il ne fait aucun doute, cependant, que l'arithmétique politique leur est apparue comme un outil de la politique sociale à la disposition du " pouvoir souverain " (
Petty, 1905, , p. 269). Cette dernière expression montre, à n'en pas douter, certaines résonances hobbesiennes ( 4 ). Bien qu'on ne trouve pas chez Graunt de référence directe à l'oeuvre de Hobbes, la communauté de vues rencontrée chez les deux grands arithméticiens conduit à soutenir qu'ils partageaient certaines analyses de l'auteur du Leviathan quant à la politique et aux usages sociaux du savoir .

L'arithmétique politique n'a pas sa propre fin en elle-même. C'est une manière de créer de l'ordre dans la société, de favoriser l'harmonie sociale en éclairant le pouvoir souverain sur la base d'études économiques quantitatives. En bref, elle ambitionne d'établir la puissance collective d'une nation et cherche à promouvoir la félicité publique. L'ambition de l'analyse nouvelle étant ainsi d'apporter " une connaissance claire et véritable ", selon l'expression favorite de Graunt, il reste à en présenter les caractéristiques méthodologiques essentielles .

 
II- PROBLEMES ET METHODES DE L' ARITHMETIQUE POLITIQUE.

Précisons les fondements de cette approche nouvelle des phénomènes économiques que ces auteurs du 17 ème siècle tentent de mettre en oeuvre .

L'arithmétique politique c'est le raisonnement " sur les choses à l'aide des nombres " écrit
Davenant ( 1771 ,1, p.147 ) . L'introduction des méthodes quantitatives dans le champ économique s'inscrit dans les courants philosophiques de l'époque prônant une démarche de type empiriste. Sous cet éclairage, c'est Petty qui présente le mieux les caractéristiques de l'arithmétique politique, tout à fait conscient qu'il est de la nouveauté de son projet d'analyse . ""Au lieu de se servir seulement de termes au comparatif et au superlatif et d'arguments purement rationnels " la méthode consiste à se " servir uniquement d'arguments donnés par les sens et à ne considérer exclusivement que les causes qui ont des bases visibles dans la nature " et à " laisser à la considération des autres les arguments qui dépendent des idées, des opinions, des désirs, des passions variables des individus " ( 1905, 1, p. 268). Ces propos constituent une tentative d'application au domaine économique de la méthode expérimentale de Bacon. Récusant les "arguments intellectuels", il entend partir seulement des " arguments de sens "; par sensible, il faut entendre, chez Petty, empirique. Les catégories doivent avoir une signification empirique et doivent être susceptibles d'expression quantitative. Les arguments fondés sur les faits de nature sont présentés comme moyen d'atteinte de la vérité par opposition aux arguments de type purement a priori. Petty propose une méthode" peu usuelle " pour l'époque qui consiste à partir des chiffres et à les combiner entre eux selon des principes arithmétiques connus. Un empirisme quantitatif permet de traiter directement des affaires pratiques et du réel mieux que des considérations abstraites et imaginaires. Comme Foucault l'a montré dans Les mots et les choses , le 17 ème fût le siècle du classement; la séparation des éléments et leur comparaison sont à la base du savoir qui se met en place. L'établissement des comparaisons suppose la représentation des rapports entre les choses par un nombre. L'arithmétique politique c'est l'organisation du champ d'investigation économique sous l'angle privilégié de la mesure comme domaine nouveau du savoir .

Trois séries de préoccupations doivent être observées pour préciser ce point de vue: d'abord, la question du passage des données brutes à la constitution d'un appareil statistique; ensuite, le mode d'utilisation de cette information quantitative dans de premières études empiriques; enfin, il conviendra de souligner l'étroite imbrication des dimensions éthico-politiques et techniques de l'analyse qui se met en place .

 

1. Un système d'information.


La constitution d'un système de données est la condition de toute analyse numérique. Il s'agit de transformer des données brutes en grandeurs statistiques significatives. Les données primaires n'ont généralement pas été obtenues par l'analyste mais ont été recueillies par des individus ou des institutions selon des critères et des modalités qui leur sont propres. Par suite, les évaluations quantitatives sont largement dépendantes de l' offre de données brutes comme de leur inégale qualité. A cet égard, c'est
John Graunt qui montre le plus profond discernement méthodologique. Il est tout à fait conscient de ce que la validité de ses recherches démographiques dépend largement de la qualité de l'information de base. Aussi, le suivre sur son propre terrain est-il un cheminement tout à fait éclairant.

Dans ses Observations sur les bulletins de mortalité , Graunt remarque les négligences apportées dans la rédaction des procès-verbaux; il souligne les différences de pratiques d'enregistrement locales et régionales; il relève les difficultés de codification de certaines causes de décès; en conséquence, il examine la pertinence des classements par cause de décès opérés par les " chercheuses " - anciennes matrones assermentées - auxquelles incombe la tâche de reconnaître le type de maladie ou d'accident qui a entraîné la disparition des individus. Graunt distingue parmi les causes de mortalité celles dont la détermination n'est qu'une question de bon sens et celles à propos desquelles il est aisé de faire des confusions et des erreurs. Dans le premier cas, il accorde crédit aux distinctions des chercheuses, dans le second il procède à des rectifications .

De la même façon, Graunt interroge le degré de confiance de certaines catégories; par exemple, que convient-il d'entendre par "enfants en bas âge "? S'agit-il d'enfants qui ne peuvent pas encore parler ou bien d'enfants au-dessous de deux ou trois ans? En d'autres termes, Graunt examine de façon critique les données primaires à sa disposition et n'hésite pas à apporter des corrections aux rapports des chercheuses parfois " ignorantes et insouciantes ". De la qualité du système d'information dépendra la validité des études quantitatives subséquentes. Avec
Graunt c'est d'observation déjà techniquement contrôlée dont il convient de parler .

Enfin, il souligne explicitement la nécessité de disposer d'informations en quantité suffisante pour pouvoir en tirer de justes inférences; il en est des données statistiques comme " des chênes et autres arbres bons pour les constructions durables " qui " doivent avoir un grand nombre d'années " ( 1905 , 2 , p. 441 ) .

Si la nécessité de déterminer le degré de confiance des données primaires s'est imposée à la conscience de Graunt, en revanche,
Petty paraît fort peu sensible aux imperfections et insuffisances des données qu'il est amené à utiliser. Il n'examine aucune des difficultés soulevées par son ami dans l'examen des statistiques primaires. Les catégories qu'il retient appartiennent au sens commun, ne relèvent d'aucune considération scientifique explicite. Alors que Davenant souligne que dans cet art qu'est l'arithmétique politique " le point le plus difficile est de trouver de bons matériaux " ( 1771 , 1 , p. 147 ), Petty donne des illustrations de sa démarche en prenant appui sur les données brutes à sa disposition indépendamment de leur origine, nature et qualité ( 5 ). Aussi, nombre de manipulations de données et d'estimations empiriques effectuées par Petty paraîtront à l'observateur manquer de rigueur. C'est pour cette raison qu' Adam Smith n'avait pas grande confiance en l'arithmétique politique (6 ). A cette absence de vigilance méthodologique Petty répond par avance que les assertions fondées sur le nombre, le poids et la mesure " ou bien sont vraies, ou bien ne sont pas apparemment fausses ... et si elles sont fausses, elles ne le sont pas assez pour détruire l'argument basé sur elles; en les mettant au pire, elles suffisent comme suppositions pour montrer le chemin vers cette connaissance que je vise " (1905 , 1 , p. 269 ). En bref, c'est dans le caractère illustratif de ses recherches que semble résider la justification du faible degré de rigueur méthodologique de l'auteur. Fondamentalement, ce qui est en jeu c'est l'intelligibilité des quantités chiffrées. Exprimées sous leur forme brute ou indépendamment de leur qualité, les données primaires n'apportent guère à l'entendement; une manière de leur faire acquérir du sens est à tout le moins de les rendre comparables. Ce qui conduit aussi plus largement à interroger le statut de l'information quantitative dans ces premières études d'économie positive .

 
2 . Information et premières recherches économiques quantitatives.


Ce n'est pas tout de dénombrer, de faire des calculs , encore faut-il le faire avec méthode sur une base conceptuelle claire. A cet égard, certaines estimations pionnières des arithméticiens anglais apparaissent bien grossières et peu dignes de confiance. C'est ainsi qu'
E. Le Roy Ladurie a pu critiquer les " chiffres hasardeux ", les " pseudo-statistiques", en bref, dénoncer le " caractère fantaisiste des données de King " à propos de la richesse nationale (1968,p. 1101 ) .

La distinction entre une donnée brute et une grandeur économique statistique n'est pas seulement d'ordre sémantique. Dans la recherche économique quantitative il n'y a pas de fait pur au sens de grandeur statistique indépendante du cadre conceptuel fourni par la théorie économique. Il n'y a donc pas de description de phénomènes économiques en termes de faits " simples ", pas plus qu'il ne peut y avoir simple accumulation de faits sans théorie. S'il n'y a pas de faits purs indépendamment de leur appréhension conceptuelle, il faut reconnaître que " celle-ci relève d'une théorie et produire cette théorie "( d
e Bernis , 1988, p. 801 ). A tout le moins, les hypothèses à la base de la recherche, si elles ne sont pas exposées explicitement, doivent être clairement implicites dans les grandeurs utilisées ( Kuznets, 1972, p. 26) .

Face à ces repères méthodologiques, comment la question des données se pose-t-elle dans ces premières tentatives d'économie positive au 17 ème siècle ?

Petty, dans une lettre à son ami intime Southwell, remarque que depuis Archimedes et Diaphantus, l'algèbre avait connu de nombreux perfec-tionnements grâce à des savants tels Vieta, Descartes, Roberval, Harriot, Pell, Oughtrea, Van schoten et Wallis. Par les Maures, cette science parvint en Espagne et de là, en Angleterre où William J. Petty l'appliqua à des objets autres que mathématiques, c'est-à-dire à la politique " en exprimant les phénomènes économiques en termes de nombres, poids et mesures afin de les traiter mathématiquement " ( Letwin, 1963 , p. 130). En fait d'algèbre les procédés qu'utilise Petty appartiennent à la plus simple arithmétique; les techniques statistiques les plus couramment utilisées sont la moyenne, notion connue depuis longtemps, et la présentation de quantités chiffrées sous forme de tables statistiques. On peut appliquer à l'arithmétique politique anglaise du 17 ème siècle les commentaires que J.C. Perrot consacre à l'économie politique du 18 ème siècle. Elle " maîtrise l'arithmétique élémentaire . Sa familiarité avec la langue des calculs s'arrête là " ( Perrot J.C. , 1993 , p. 135 ). A l'époque l'algèbre n'apparaît pas encore indispensable au développement de la connaissance économique. Ce n'est que plus tard - chez A.N. Isnard, 1781, et Condorcet, 1786- que la formulation algébrique apparaîtra afin de donner à la pensée un supplément de concision et une dimension plus générale.

Au-delà d'un manque certain de modestie, c'est un essai de systématisation de la mesure que nous propose Petty. Les manipulations numériques de nos auteurs revêtent la forme soit d'expressions quantitatives simples ou complexes , soit de comparaisons entre deux séries de faits mesurables.

a) Le système de collecte des bulletins de mortalité ne pouvait prétendre à la précision. Aussi,
Graunt est-il conduit à procéder à des rectifications des données brutes pour disposer de statistiques sur la base desquelles il peut obtenir un certain nombre de caractéristiques démographiques significatives: la mortalité différentielle par régions et selon les périodes de l'année, la mortalité élevée dans les premiers âges de la vie, la supériorité du nombre des naissances masculines sur celui des naissances féminines .

Graunt va plus loin que ces ratios tirés directement de l'analyse empirique; il tente une évaluation de la population londonienne. A cette fin, il procède à une véritable analyse quantitative sur la base d'hypothèses sur la taille moyenne des familles, la fécondité, la mortalité et la morbidité différentielles ( chapitre VI , Du nombre des habitants ) .

Petty, de même, montre une certaine ingéniosité dans l'art de se forger des instruments d'analyse notamment en ce qui concerne l'évaluation globale des richesses.

Le savoir nouveau, pour Petty, suppose classement et comparaison. Pour pouvoir être estimés et ordonnés, les différents éléments constituant les richesses d'une nation doivent être réduits les uns aux autres. Le processus de réduction rendra alors possible la représentation des richesses nationales par un nombre unique, condition de leur comparaison avec le revenu national des pays voisins. Toute la question consiste à découvrir une commune mesure à la terre, au travail ainsi qu'à leurs produits. Pour
Petty " tout devrait être évalué d'après deux dénominations naturelles qui sont la terre et le travail ..." ( 1905 , 1 , p. 431 ). Partageant les idées de la période, notre auteur a une conception duale de l'origine de la richesse; " le travail est le père et le principe actif de la richesse de même que la terre en est la mère " ( 1905 , 1 , p. 77 ). Comparer ces deux éléments hétérogènes n'est pas une tâche aisée; il faudrait trouver une parité naturelle entre la terre et le travail de manière à pouvoir exprimer la valeur de chaque bien par un seul de ces deux termes. Petty suppose que la valeur des produits peut être réduite à une quantité de travail entrant dans la production. Ce recours au travail comme outil de mesure des richesses a parfois fait classer cet arithméticien politique parmi les initiateurs de la théorie de la valeur- travail; cependant, il n'y a pas chez lui, exclusivité de l'origine de la valeur dans le travail de l'homme. En se fondant sur de nombreuses conjectures et sur la base de statistiques fragmentaires Petty tente, avec des moyens arithmétiques simples, une évaluation du revenu national dont il a su reconnaître l'importance en tant que catégorie économique ( 7).

b ) De façon plus spécifique, la méthode arithméticienne est utilisée dans un souci de comparaison entre deux séries de grandeurs observables. Les manipulations quantitatives de Davenant et de Petty sont révélatrices d'un tel objectif.

Ainsi, l'effet King (
Guitton, 1938 ) ou la loi King-Davenant, puisque c'est sous cette formulation que la loi de King allait s'imposer historiquement ( Evans, 1967 ), se présente sous la forme d'un tableau statistique montrant la proportion de hausse du prix du blé qui résulte d'une insuffisance de la récolte .

" Quand le prix du blé est le triple du prix habituel, on peut présumer qu'il manque plus d'un tiers à la récolte commune, et si nous manquons de la moitié de la récolte, le prix s'accroîtrait à près de cinq fois le prix commun " commente
Davenant ( 1771, 2, p. 225 ). Sans doute peut-on voir qu'une modification de l'offre de blé entraîne une variation inverse de son prix plus que proportionnelle, le changement étant d'autant plus grand que la réduction de la quantité est plus forte. Cependant, une telle relation fonctionnelle entre prix et quantité exprimée pour elle-même ne saurait être réellement trouvée chez Davenant (le second restructurant probablement des estimations fragmentaires du premier ). A travers ce tableau statistique c'est une question pratique qui est avant tout abordée. Loin d'avoir affaire à une relation abstraite formulée pour son intérêt strictement scientifique, c'est la signification vitale de l'insuffisance de l'offre pour la population qui est essentiellement envisagée. Ce n'est que de façon incidente que les variations de prix sont prises en considération; elles ne sont retenues qu'en liaison avec le renchérissement des importations nécessaires à la satisfaction des besoins des populations et avec les risques subséquents de dégradation de la balance commerciale du pays. Il ne faut pas oublier que l'essai de Davenant porte sur les méthodes permettant de rendre une nation bénéficiaire dans les échanges commerciaux. Dans le système de pensée arithméticien, les catégories de " bénéficiaires des échanges " ainsi que de " richesse " et de " bien-être " nationaux jouent le rôle de clés de lecture dans le traitement et l'interprétation des données. Ceci transparaît clairement dans le commentaire statistique que donne l'auteur: une des tâches d'un bon gouvernement est de constituer des stocks de précaution en quantité suffisante dans des grenier publics pour faire face à des pénuries intérieures accidentelles.

La manière dont
Davenant rend compte d'un problème sous forme de proportions et d'écarts par rapport à la normale présente un vif intérêt. Cependant, de telles assertions, sans les développements qui leur donnent leur valeur ne peuvent passer pour de premières formulations théoriques de la demande. Si l'interprétation donnée est acceptable, elle ne contient cependant, aucune discussion de l'ensemble des déterminants nécessaires à l'appréhension complète du phénomène ( 8 ) . Cependant, une étude récente ( 9 ) a le mérite de montrer que la contribution initiale de Gregory King faisait apparaître un comportement de demande alors que le schéma de Davenant ne contenait effectivement rien en terme de loi de demande ( J.P. Simonin, 1996 ). L'époque est aux pressentiments non à la théorisation pure d'un problème. Repérer une origine c'est identifier un problème et les premiers rudiments d'un système conceptuel. Il y a commencement lorsque les éléments constitutifs de la problématique nouvelle sont véritablement articulés .

A l'égal de
Davenant, Petty cherche à établir des proportions pour éclairer un problème. Il organise les données économiques à l'aide d'un corps d'hypothèses structurantes sous-jacentes. Ces suppositions restent le plus souvent implicites; il en est ainsi dans l'évaluation de la population de Londres que Petty réalise dans un essai de 1687 à partir du nombre de maisons.

En revanche, c'est un jeu d'hypothèses explicites qui est introduit dans un autre essai datant de 1681.
Petty étudie l'accroissement de Londres en se référant à la surface de la ville, au nombre et au volume cubique des habitations, à la valeur des maisons ... et , enfin, au nombre des habitants. Il arrive alors à la conclusion qu'en 1800, la population londonienne serait huit fois plus importante qu'en 1680. C'est à " certains bénéfices et avantages naturels et spontanés que les hommes trouvent à vivre dans des sociétés plus nombreuses que petites " que Petty attribue les causes d'un tel accroissement. Pour rendre plus aisé son raisonnement - et c'est ce qui est intéressant pour nous - il recourt à " deux suppositions contraires extravagantes " pour " en tirer quelques conclusions solides et consistantes " ( Petty, 1905 , 2 , p. 516 ). Dans un premier cas de figure, la population de Londres est sept fois plus nombreuse qu'elle ne l'est à l'époque, soit 4 690 000 habitants alors que le reste de l'Angleterre n'en aurait que 2 710 000. Dans l'autre hypothèse, la cité londonienne serait sept fois moins peuplée avec 96000 habitants et le reste de la population serait d'un montant de 7 304 000. Après s'être attaché à établir que ces " deux états imaginaires " peuvent être viables, Petty reconnaît que ni l'une ni l'autre de ses deux suppositions n'ont aucune chance de se réaliser, mais la véritable question est " de savoir lequel des deux états est le plus réalisable et le plus naturel " ou plus précisément " vers lequel ou jusqu'auquel de ces états extravagants ... il vaut mieux diminuer ou agrandir la présente cité " ( 1905 , 2 , pp. 518-519 ). Pour un auteur porté davantage vers les réalités concrètes que vers la spéculations fondée sur des idées a priori Petty ne répugne pas à fonder ses recherches quantitatives sur des " propositions fausses " pour en " tirer la vérité " ( Ibid. p. 516 ).

Les manipulations statistiques rencontrées chez
Graunt, Davenant et surtout chez Petty, montrent que les arithméticiens peuvent dépasser lasimple mise en évidence de ratios pour poser des problèmes suivant des méthodes impliquant non seulement recours à des techniques de calcul mais aussi détermination d'une base de données, choix d'hypothèses implicites ou explicites, élaboration conceptuelle en fonction de la nature du problème abordé. Considérer les oeuvres de Petty, Graunt et Davenant comme traitant de " faits sans théorie ", comme on le fait trop souvent est une simplification qui peut, dans certains cas, s'avérer abusive. Toutefois, dans la mesure où les hypothèses sous-jacentes à l'analyse ne sont généralement pas véritablement explorées, les pratiques de ces auteurs ne peuvent pas passer pour de premières recherches économiques quantitatives au sens moderne. La théorisation succède à la mesure alors que la mesure devrait procéder de la théorie; dans ce cas là, c'est encore d'empirisme naïf dont il convient de parler à la suite de Mark Blaug ( 10 ).

3. Une imbrication technico-éthico-poltique.


Pour les arithméticiens politiques, le dénombrement et l'observation sont essentiels à une connaissance véritable mais aussi, on le sait, à l'orientation générale de la société. Les dimensions techniques et éthico-politiques de cette première économie quantitative sont étroitement mêlées.

Petty, par exemple, suggère la levée d'un impôt proportionnel ou encore l'établissement de droits de douane différenciés selon la nature des produits importés ( matières premières ou produits ouvrés). Il utilise aussi l'analyse quantitative pour jeter un coup de projecteur sur les causes et les implications de certaines pratiques sociales. Dans cette perspective, l'analyse statistique comparée des décès en milieux hospitaliers londoniens et parisiens est utilisée pour justifier la thèse de la plus grande qualité de l'air dans la capitale anglaise ainsi que la supériorité des médecins et chirurgiens de Londres ( 1905 , 2 , p. 562 ).

De la même façon, il ressort de la manière dont
Davenant articule son discours que certaines classes sociales sont une charge pour la nation et que d'autres tirent profit de la richesse nationale ( 1771 , 2 , pp. 193-203 ) .

De l'égalité approximative des populations féminine et masculine - contrairement à une idée reçue de l'époque -
Graunt tire une justification de la loi morale contre les fornications et adultères ( 1905 , 2 , p. 416 ). Il envisage, par ailleurs, de faire des bulletins de mortalité - base première de son étude scientifique - "non seulement des têtes de mort pour rappeler aux hommes qu'ils sont mortels, mais aussi des statues d' Hermès pour indiquer les voies dangereuses qui nous mènent à la misère et à la mort " ( 1905 , 2 , p. 386 ).

Les positions des arithméticiens politiques anglais s'adaptent assez mal à la ligne de démarcation fondamentale moderne séparant analyse positive et normative. L'objet d'un savoir positif se rapporte à ce qui est; il s'agit de rechercher des régularités et des uniformités dans le monde réel. Un savoir normatif parle de ce qui doit être; en bref, un idéal peut être posé. Pour rendre pleinement compte de la pensée arithméticienne anglaise il faudrait aussi ajouter une troisième catégorie à la distinction précédente: celle de l'art que John Neville Keynes définissait à la fin du 19 ème siècle " comme un système de règles pour atteindre une fin donnée " ; dans ce cas des préceptes peuvent être formulés ( 1986 ,pp. 34-35 ). Si par cette triade
J.N. Keynes entendait avant tout délimiter des champs de connaissance différents pouvant coexister, la pratique contemporaine, en revanche, privilégie l'économie positive.La valorisation aujourd'hui du savoir économique positif apparaît comme la résultante d'un double impératif. Une exigence relative à l'objet d'étude qui implique la testabilité empirique des propositions théoriques; une exigence d'objectivité relative au sujet élaborant la théorie qui implique la neutralité par rapport aux valeurs ( J. Lallement, 1997, pp. 6-7 ). Compte tenu de ces repères méthodologiques quelle est la nature du rapport que les arithméticiens entretiennent avec la triade ?

Positif / normatif / art sont étroitement imbriqués dans leurs réflexions. Leurs travaux peuvent être perçus, d'abord, comme savoir positif dans la mesure où ils s'efforcent de rendre compte de phénomènes économiques et sociaux systématiquement sous forme quantitative. Mais, allant au-delà de la mesure systématique, nos auteurs n'hésitent pas à avancer leurs propres propositions de politique économique et à y associer des recommandations morales; par suite, leurs analyses sont incontestablement marquées de connotations normatives. Cet enchevêtrement de positivité et de normativité se retrouve, de la même façon, lors d'une lecture plus spécifique de l'oeuvre de
Petty tendant à dégager une dimension plus particulièrement théorique de sa pensée. Ainsi, pour Véronique Parel, la réflexion de William Petty apparaît positive dans la mesure où elle essaie de rendre compte des lois naturelles qui régissent la production. Elle est, aussi, normative dans la mesure où l'observation de ces lois naturelles s'inscrit dans une perspective d'accroissement de la richesse nationale et donc de la puissance politique de l'autorité souveraine ( 1997 ). En ce sens , l'arithmétique politique anglaise de la fin du 17 ème siècle peut être caractérisée comme l'art de l'économie politique par la mesure systématique et la comparaison en vue de la félicité publique .

En dernière analyse, par delà la diversité des Ïuvres, une certaine communauté d'idées se laisse, cependant, dégager. L'arithmétique politique est une nouvelle façon de nouer les choses à la fois comme mode d'appréhension et comme technique de traitement. C'est un essai de systématisation de la quantification fondé, dans le meilleur des cas , sur la conjonction d'une information relativement contrôlée et de proportions données à des problèmes afin de démontrer le caractère souhaitable de propositions de réformes estimées appropriées à la nation .

REMARQUES FINALES.


Observation et comparaison sont les caractéristiques majeures de l'arithmétique politique .

Observer, c'est voir ce qui peut être reconnu par tous, c'est appréhender les faits de façon quantitative, c'est faire apparaître les structures et les proportions d'un domaine d'empiricité .

Comparer, c'est mettre en balance des résultats obtenus sur la base d'hypothèses sous-jacentes aux différentes méthodes d'évaluation utilisées .

Ainsi, l'arithmétique politique anglaise constitue comme descriptible, quantifiable et ordonnable à la fois, tout un champ d'investigation empirique. C'est probablement faute de moyens statistiques à sa disposition, que ce premier essai d'économie positive échouera. Toutefois, s'il ne peut être avancé que l'arithmétique politique fût dominante au siècle suivant, il peut être raisonnablement soutenu, à suivre J. Hobbit, qu'elle n'a pas totalement disparu avec les quatre pionniers, comme cela a été souvent proclamé. En dépit de ses limites le recours à l'information quantitative peut être établi tant pour les affaires publiques que dans la sphère privée (
J. Hobbit, 1996) dans l'Angleterre du 18 ème siècle et spécialement dans sa seconde moitié ( 11 ).

Malgré ses mérites pour l'époque il ne s'agit pas de faire remonter la fondation de l'économétrie aux premières tentatives d'arithmétique politique de la fin du 17 ème siècle. On est en présence d'une ébauche d'économie "positive"; l'exigence de testabilité d'énoncés théoriques n'est pas encore clairement présente.

Le siècle est à entrevoir les problèmes, il n'est pas à découvrir leur solution. Ce qui importe c'est le message qui a été transmis aux générations futures: à savoir que les méthodes quantitatives constituent un des piliers de l'activité scientifique.

NOTES

( 1 ) Afin de simplifier les notations nous nous référerons dans cette contribution à l'édition des Ïuvres de DAVENANT proposée par C. WHITWORTH ( 1771 ) .

Une définition plus ambitieuse de l'arithmétique politique pourrait être donnée .En se référant à une lecture plus large de l'Ïuvre de PETTY tendant à faire de l'initiateur de cette nouvelle façon de penser le premier auteur de la théorie économique à élaborer une théorie du surplus Tony ASPROMOURGOS définit l'arithmétique politique comme un essai de détermination des ordres de grandeur des facteurs que PETTY considère comme déterminants de la richesse nationale et de la puissance collective ( 1996 , p. 48 ) .Toutefois , ni KING , ni DAVENANT ne semblent avoir fait un emploi significatif de la théorie du surplus .

( 2 ) Lutte de Charles 1er et du Parlement , guerre civile en Ecosse, révolte en Irlande, complots et persécutions divers , peste et incendie ravageant Londres .

( 3 ) Pour une étude des interactions entre statistiques et problèmes socio-politiques dans le contexte de l' Angleterre du 17 ème siècle , il faut se référer à BUCK ( 1977 ).

( 4 ) Cette influence a aujourd'hui été bien mise en évidence par les recherches qu' ASPROMOURGOS a consacrées à PETTY ( 1996 b ) . On peut se reporter spécialement au chapitre IV , Methodological and political bases of PETTY ' s economics .

( 5 ) En s'appuyant sur Some unpublished writings of Sir William PETTY édités par le marquis de Lansdowne en 1927 , A.M. ENDRES montre que PETTY suggérait la création d'un Office National des Statistiques afin d'établir " un état réel de la nation à toutes les époques" , ( 1985 , p. 252 ) .

( 6 ) Adam SMITH ( 1843 ) Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations , Paris , Guillaumin , vol. 2 , Livre IV , ch. V , p. 140 .

( 7 ) Pour évaluer la richesse de l'Angleterre, PETTY va joindre la valeur des terres à celle des hommes ( celle-ci étant estimée par capitalisation de leur travail ). Le souhait d'établir une parité qui soit naturelle entre la terre et le travail devient pour PETTY " la question constitutive de l'économie politique " comme le souligne avec force Paul VIDONNE in La formation de la pensée économique , Paris , Economica , 1986 , p. 17 .

( 8 ) C'est à partir du 19 è siècle , avec des auteurs comme COURNOT, DUPUIT et MARSHALL qu'on trouvera une compréhension totale du phénomène de demande dans ses dimensions théoriques et empiriques . Pour une étude de la demande dans l'économie classique on peut se référer à ENDRES ( 1987 ) .

( 9 ) Pour une discussion très approfondie il faut se référer à J.P. SIMONIN ( 1996 ) qui compare les premiers énoncés de la loi de KING par DAVENANT , KING et BOISGUILBERT, ainsi que sa remise en cause par QUESNAY , du triple point de vue de la qualité des mesures du phénomène étudié , de la compréhension des structures du marché des grains et de la validité du schéma théorique . L'auteur conclut qu'aucune approche n'est satisfaisante sur le plan empirique et seules celles de BOISGUILBERT et de KING font vraiment référence à un facteur explicatif : la loi de demande pour l'un et les comportements de spéculation et de panique pour l'autre .

( 10 ) Mark BLAUG La méthodologie économique , Paris , Economica , 1982 , p. 185 .

( 11 ) Sur les arithméticiens français ( VAUBAN , BOULAINVILLIERS , notamment ) et les rapports de la statistique et de la physiocratie il faut se référer à l'analyse que donne J.C. PERROT dans son Histoire intellectuelle , 1992 .

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