Déplacements médiévaux

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La religion imprégnant profondément la société médiévale, nombreux sont les femmes et les hommes qui prennent leur besace et leur bâton de marche pour accomplir un pèlerinage. Tenir la distance, affronter les intempéries, mais aussi courir le risque de rencontrer des brigands témoignent d'une foi profonde.
Les déplacements peuvent répondre naturellement à des motifs plus ordinaires que les pèlerinages et les moyens de transport peuvent être d'une autre nature ( cheval, bateau ), mais les scènes sculptées semblent peu nombreuses.

Sur les chemins de terre, le regard tourné vers le ciel

Cloître Saint Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône.
Le Christ ressuscité apparaît aux pèlerins d'Emmaus portant comme eux une belle musette décorée.
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Crédit photo : Michel Claveyrolas )

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Cloître Saint Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône.
Un des pèlerins d'Emmaus portant gourde et musette. Il est coiffé d'un bonnet pointu sur lequel on peut remarquer une coquille Saint-Jacques.

A une époque où le souci du salut constitue une préoccupation majeure de tous les croyants, accomplir un pèlerinage pour se rendre à Jérusalem, à Saint-Jacques de Compostelle, à Rome sur le tombeau de l'apôtre Pierre ou à Saint-Martin de Tours, est faire acte de pénitence, d'humilité et de foi.
Marcher jusqu'à Jérusalem pour prier sur le tombeau du Christ ou aller vénérer un saint est un chemin d'évangélisation. Un pèlerinage constitue d'abord un défi physique : la route est longue. Nombre de lieux de prière jalonnent le chemin : à mesure que le temps passe la recherche d'un sens à la vie s'approfondit. Le pèlerinage constitue donc une démarche, à la fois physique et spirituelle, en vue de la transformation intérieure de celui qui l'accomplit. Comme on peut le voir ci-dessous les pèlerins représentés se distinguent fréquemment par certains de leurs attributs.

Tympan de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun, Saône-et-Loire.
Parmi les élus, au regard tourné vers la Jérusalem céleste, on observe un pèlerin de Jérusalem avec son sac orné d'une croix et un jacquet reconnaissable à la coquille.


Cathédrale Saint-Lazare d'Autun, Saône-et-Loire. Gros plan sur le jacquet - pèlerin - de Compostelle avec son sac orné de la célèbre coquille ; il ne lui manque que son bourdon ( bâton de marche ). " Marcher sur les chemins tout en regardant vers les cieux " est une formule ici tout à fait appropriée.
Cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire. Un pèlerin.

En marche vers Saint-Jacques de Compostelle
"- — Le pape Calixte dit qu'un, homme du diocèse de Modène, nommé Bernard, était captif et enchaîné au fond d'une tour ; constamment il invoquait saint Jacques. Le saint lui apparut : « Viens, lui dit-il, suis-moi en Galice » ; puis il brisa, ses chaînes et disparut; alors le prisonnier suspendit ses chaînes à son cou, monta au haut de la tour d'où il ne fit qu'un saut sans se blesser, bien que la tour eût soixante coudées de hauteur. — Un homme, dit Bède, avait commis à plusieurs reprises un péché énorme; or, l’évêque, peu rassuré en l’absolvant en confession, envoya cet homme à Saint-Jacques en lui donnant une cédule sur laquelle ce péché avait été écrit. Le pèlerin posa, le jour de la fête du saint, la cédule sur l’autel et pria saint Jacques de lui remettre le péché par ses mérites; après quoi il ouvrit la cédule et trouva tout effacé ; il rendit grâces à Dieu et à saint Jacques et raconta publiquement le fait à tout le monde. Extraits de La" légende dorée", Jacques de Voragine, XIIIème siècle

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Eglise de Saint-Romans-lès-Melle, Deux-Sèvres.

Blason à une croix flanquée de trois coquilles Saint-Jacques du linteau de la porte d'accès à la tourelle à vis.
La coquille, marque des jacquets en marche vers Compostelle, orne les points de passage et les lieux de séjour et de prière.


Ancienne abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.
Ici c'est sur le pignon de l'église qu'est figuré le flot des marcheurs de toutes conditions. C'est, dans la perspective chrétienne, l'accomplissement qui est représenté, autrement dit le terme possible de la marche des hommes.


Ancienne abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.
De part et d'autre de la vierge médiatrice est figuré le double cortège des pélerins, diversement vêtus, sans préséance, en marche vers le Christ via Notre-Dame.



Ancienne abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.
La Vierge médiatrice portant l'habit des grandes dames du XIIe siècle. A droite deux pélerins à genoux demandent l'intercession de Marie.


Ancienne abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.
Gros plan sur les deux pèlerins debout à gauche de la Vierge médiatrice : homme e vêtement court laissant voir les genoux, femme longuement vêtue ; tous deux tiennent leur bâton de marche.


Eglise Saint-Pierre, Melle, Deux-Sèvres.
Un pèlerin en route vers Saint-Jacques de Compostelle s'arrête au bord d'un chemin afin de se retirer une épine du pied. Le tireur d'épine dans l'art roman est le symbole de la libération de la démarche, non seulement physique mais intérieure ; le croyant cherche à extirper le péché de son âme.



Eglise La Trnita-et-San-Giovanni-Battista d'Aregno, Corse.

La figure du tireur d'épine fréquemment rencontrée sur les églises romanes remonte en fait à la pensée antique.
Cette sculpture est directement inspirée du petit bronze du 1er siècle avant J.-C. qui se trouve actuellement au Palais des Conservateurs du Capitole.
Très connu dès le Moyen Age, il se trouvait devant le Palais du Latran.
Le jeune garçon fut d'abord identifié à Absalom, fils de David, célèbre pour sa beauté. Mais on a aussi pensé qu'il s'agissait d'un jeune berger, Cneius Martius, qui aurait couru pour porter une missive d'importance vitale au Sénat, et n'aurait retiré l'épine qu'il avait dans le pied qu'une fois sa mission accomplie. Et comme on a aussi associé Martius au mois de mars par rapprochement des deux mots, et mars étant le mois du carême, le Spinario est aisément devenu symbole de pénitence, arrachant le mal de son âme comme il arrache l'écharde de sa chair. ( Michel Claveyrolas ).

Frise sculptée de l'église abbatiale d'Andlau, Bas-Rhin.
Au cours d'une étape un pélerin avec son sac et son bâton de marche est trompé par un banquier. Le diable. juché sur les épaules du changeur tenant une balance symbolise à n'en point douter une tromperie.


Ancienne abbatiale, Airvault, Deux-Sèvres.
Pèlerin voyageant à côté de sa monture ; il porte une lance à l'extrémité de laquelle pend un baluchon ; cela rappelle que les routes étaient loin d'être toujours très sûres.

Cathédrale Notre-Dame, Fribourg-en-Brisgau, Allemagne.
Vestiges du transept roman tardif ( vers 1200 ) : Saint-Jacques couronne un pèlerin. Remarquer la main de Dieu au-dessus des têtes.

Autres buts, autres modes de déplacement
Différentes raisons expliquaient les déplacements ; de même, d'autres moyens de transport étaient utilisés au Moyen Age pour emmener les produits de la terre vers les les espaces urbains, mais les représentations n'étaient pas abondantes, du moins dans notre échantillon de données.


Elément de métope ; église Saint-Chartier, Javarzay, Deux-Sèvres.
Homme solitaire à pied portant son baluchon au bout d'un bâton.

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Eglise de Macqueville, Charente-Maritime.
Version saintongeaise du marcheur.


Eglise Saint-Savinien, Melle, Deux-Sèvres.
Relief de facture archaïque à droite du portail ; il remonte au XIe siècle.



Linteau du portail Nord ; abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
Translation des reliques de Saint-Benoît du Mont-Cassin à Fleury par un groupe de moines


Abbatiale Saint-Pierre d'Airvault, Deux-Sèvres.

Des cavaliers, aux grosses têtes marchent en file au pas lent de leur monture dont la crinière et l' harnachement sont bien soignés.
Qu'évoquent-ils dans l'esprit de l'imagier qui les a réalisés ?


Eglise de Saint Révérien, Nièvre.
Cavalier tenant une coupe. Ce serait, pour certains, le retour de Jacob chez ses parents ?

** La mémoire des pierres romanes - du moins dans celles qu'il nous a été donné de voir jusqu'ici- ne semble pas révéler non plus une profusion d'images relatives au commerce et au transport des produits du monde rural vers l'espace urbain déjà en expansion.


Cathédrale St-Just et St-Pasteur de Narbonne, Aude.
Décorant la chapelle axiale de la cathédrale le grand retable gothique bien que postérieur à notre période d'observation - il date entre 1354 et 1381 - nous renseigne sur un véhicule de transport à roues.
Il s'agit de la charrette des damnés menés aux enfers en poussant des cris d'effroi.


** De même,
les déplacements en bateau sont relativement rares ou tout au moins les unités représentées n'évoquent guère un type précis de construction. A part une représentation de type nef ( en pleine Auvergne ) et une image en terre poitevine d'une embarcation présentant une mâture les images recueillies lors de nos périples romans sont plutôt du genre simple canot.


Eglise de Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme.
Le passage du Tibre serait selon certains évoqué : sous le regard de l'ange le saint oblige Satan à lui faire franchir le fleuve. à bord d'une embarcation ayant à certains égards l'allure d'une nef .


Eglise Saint-Nicolas de Civray, Vienne.
Des barques sur un lac et Jésus marchant sur les flots. On peut entrevoir un mât portant une voile.


Cloître de l'ancienne abbaye, Moissac, Tarn-et-Garonne.
La pêche miraculeuse. ( Crédit photo :
Michel Claveyrolas )



Abbaye de Cunault, Maine-et-Loire.
Un pêcheur dans son embarcation attrape un poisson que lui tend une sirène.


Abbaye de Nieul-sur-l'Autise, Vendée.
Des oiseaux affrontés dans une barque. Le bateau symbolise la traversée de la vie, le passage d'un état à l'autre : évocation du voyage funéraire de l'âme.



Chapiteau de l'entrée de la salle capitulaire. Ancienne abbaye Saint-Michel-en-L'Herm, Vendée.
Un personnage rame dans un bateau et un énorme poisson passe devant sa proue.

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