Figurations masculines
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Toute une gradation peut être effectuée dans les représentations masculines, de la facture la plus fruste au plus haut degré de la sculpture. Quelles en sont les raisons ? Changement de ligne avec le temps, différences de localisation et type d'édifice abritant les sculptures, nature du matériau ( la roche dure ne se travaillant pas comme le calcaire ), et surtout degré d'habilité des artistes ?
A l'égal des figurations féminines les images masculines se veulent moins réalistes que porteuses de connotations sous-jacentes. Un visage masculin barbu ou glabre est ainsi un moyen de caractériser l'âge des individus et donc de différencier des groupes sociaux.


Evolution des masques
Aux formes simples, aux esquisses grossières succède une ligne plus sophistiquée, plus humaine.

** Des ébauches assurément pleines de verve mais d'une rusticité totale
à l'exemple de ces modillons peuplant les toitures d' églises rurales.


Eglise Saint-Chartier, Javarzay, Deux-Sèvres.
Modillon bien naïf .


Eglise Notre-Dame de l'Assomption, Payroux, Vienne. Pittoresque visage de lune..." benaise " oserions-nous dire (en patois poitevin).

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Eglise Notre-Dame de l'Assomption, Payroux, Vienne. Des masques frustes mais saisissants.


Ancienne abbatiale des Fontenelles, La Roche-sur-Yon, Vendée.
Sculpté dans une pierre granitique ce modillon aux traits simples est déjà d'une facture plus élaborée qui le fait se dégager de ses compagnons de corniche.


Eglise de Saint-Romans-lès-Melle, Deux-Sèvres.
Visage bien en chair, yeux gonflés sans dessin de pupille, au regard écarquillé.


** Après les esquisses grossières on trouve des formes plus achevées ; les visages deviennent plus sophistiqués, en bref, la figuration devient plus humaine.


Eglise de Gultinières, Charente-Maritime.
Le souci du détail se renforce même si les traits sont encore quelque peu stylisés : une petite bouche sur un visage glabre et une chevelure bien peignée.


Eglise de Marnay, Vienne,
Les traits s'affinent et s'affirment, le visage gagne en expression.


Réemploi roman de la tourelle d'escalier du XIIIe siècle. Cathédrale de Luçon, Vendée.
Le penseur : simplicité de facture mais l'attitude d'ensemble exprime bien une des potentialités humaines.


Eglise Saint-Pierre de Mozac, Puy-de-Dôme.

Enfin l'harmonie totale des formes : un des quatre hommes nus, à genoux dont les pieds et les mains essaient de se rejoindre au milieu de fleurs, de fruits et de feuillages. Détail du chapiteau dit des " atlantes " : le plus haut degré de la sculpture.


Type de chevelure et port de la barbe
Il semble également que dans la sculpture romane les figurations sculptées de l'homme soient souvent plus différenciées par le port de la barbe et de la moustache que par le vêtement.
La barbe évoque dans l'art roman la virilité. Un adulte ou un vieillard portent souvent la barbe, un homme jeune non.


Eglise de Jazeneuil, Vienne.
Le style de la barbe allonge encore plus le visage.


Eglise Saint-Pierre, Parthenay-le-Vieux, Deux-Sèvres.
Quel système pileux envahissant pour ce modillon de modeste facture.


Eglise de Jarnac-Champagne, Charente-Maritime.
Chevelure, pattes, moustaches, barbes : tout le système pileux est exploité.



Eglise de Saint-Génard, Deux-Sèvres.
Une autre version de pilosité généralisée.


Chevet de l'abbatiale de Saint-Papoul, Aude.
Le coup de ciseau du maître de Cabestany. transparaît dans l'exécution de ce modillon.


Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritime.
Magnifique tête humaine barbue retrouvée au cours de fouilles en 1937 et présentée sur un pilier intérieur de la nef.


Prieuré de Trizais, Charente-Maritime.
Homme sur une console de la salle du chapitre : un regard bien restitué.



Prieuré de Trizais, Charente-Maritime.
Homme sur une console de la salle du chapitre : élégance de la moustache, beauté du drapé, en bref une certaine allure.



Eglise de Varaize, Charente-Maritime.
Figure chevelue, barbue et moustachue couronnant un chapiteau extérieur.

Le critère de l'âge
Dans les représentations masculines un visage glabre indiquera un homme plutôt jeune ; un homme d'âge mur aura plutôt un visage barbu. Des traits marqués par l'âge associés au port de la barbe symboliseront fréquemment, non seulement la vieillesse mais aussi la sagesse acquise par celui qui a beaucoup vécu.


Eglise de Parçay-sur-Vienne, Indre-et-Loire.
Fragment de la frise aux trente-trois barbus. La différenciation des attributs pileux et des traits du visage contribue à n'en pas douter à caractériser l'âge de ces fameux barbus.


Voussure du portail nord de l'ancien prieuré de Villesalem, Vienne.
Belle série de portraits montrant des hommes de tous âges portant différemment barbe et moustache. A côté d'une tête couronnée les autres têtes ont des coiffures plutôt surprenantes !



Abbatiale Saint-Pierre d'Airvault, Deux-sèvres.
Chapiteau dit de l'école du savoir.
Sous un tailloir en damiers, de jeunes masques humains, sans barbe, aux oreilles ouvertes accentuées sont à l'écoute d'un homme surplombant, d'âge plus mûr, qui leur dispense son enseignement.



Eglise de Saint-Hilaire-la-Croix, Puy-de-Dôme.
Cul-de-lampe à quatre têtes. La juxtaposition de masques de dimension et d'attributs différents peut contribuer à faire passer un message.
Deux petits masques humains encadrent la colonne engagée sur laquelle sont représentés deux autres personnages d'une taille plus proche de la normale.
Simple effet ornemental ou évocation symbolique de la parabole du semeur ?

A gauche, le petit masque tire la langue. Il a sa propre vérité et n'a que faire de la parole divine.
A droite, le masque reste de faible dimension car la parole divine reçue s'est vite étiolée n'ayant pas été cultivée.
Au niveau inférieur, la tête est somme toute normale, les soucis du monde ont empêché la parole divine de fructifier.
Au niveau supérieur c'est un personnage complet qui est représenté dans une position arc-boutée " d'atlante " .
Il soutient la parole divine et l'église comme il " soutient " la colonne engagée. C'est dire que la parole n'est pas tombée dans une terre ingrate et qu'elle produit du fruit.
D'autres hypothèses interprétatives sont tout aussi admissibles !

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