Corps glorieux versus corps tourmentés.
-------------------

L’horizon du chrétien c’est la contemplation de Dieu.
La parabole des vierges sages et des vierges folles rappelle aux croyants qu’il faut veiller pour accéder au céleste royaume.
Lors du Jugement dernier les élus ( les brebis ) et les réprouvés ( les boucs ) seront séparés. Les premiers jouissant dans leur corps glorieux de la béatitude céleste tandis que les seconds seront tourmentés dans leur corps et dans leur âme. A l’époque médiévale, hommes et femmes vivaient avec ce bruit de fond permanent. Jean Delumeau a pu écrire que « longtemps le surnaturel et le réel concret de la terre ont été imbriqués l’un dans l’autre : le surnaturel investissait le quotidien ; inversement, le mobilier terrestre trouvait une large place dans le monde céleste », ( Que reste-il du paradis ?, Fayard, 2000 p. 467 ). Les évocations gothiques du paradis et de l’enfer photographiées à la cathédrale de Narbonne en
témoignent.


L'ascension des justes vers le Paradis. Gravissant les marches d'un escalier les élus accèdent au Ciel.
Cathédrale de NARBONNE, XIII-XIVe siècles ( Aude ).


Le Léviathan : gueule béante d'un être monstrueux colossal avalant les âmes. Un démon domine des chaudrons bouillants ; un homme pendu peut également être observé.

Cathédrale de NARBONNE, XIII-XIVe siècles ( Aude ).

Ces figurations gothiques sont les descendantes directes des Jugements derniers romans dont les images les plus anciennes embellissent les tympans des portails d’Autun et de Conques.
Leviathan est représenté à Conques avec Satan trônant au milieu de ses victimes, près du chaudron de leur supplice. A chaque vice est associé un type de torture.

En Auvergne, Poitou, Saintonge...les chapiteaux représentent surtout l’enfer sous la forme de bêtes monstrueuses dévorant les damnés.
L’iconographie du Jugement dernier a plus retenu l’intérêt par ses scènes diaboliques que par les paisibles processions des élus accueillis par les anges. Il s’agissait avant tout d’inspirer l’effroi.
Par ailleurs, sachant que le corps, vecteur de la faute originelle et des vices est aussi le corps des vertus et du salut, les corps des justes et des réprouvés doivent-ils être représentés nus ou habillés ? Telle était la question que se posaient les théologiens médiévaux. Les divers ateliers de sculpture ont témoigné dans la pierre, à leur façon et avec leur style propre, de ces interrogations.
En utilisant des images de la quotidienneté vécue et de l’existence terrestre les pierres sculptées expriment la vision que l’Eglise a de l’ici-bas et du monde d’en haut. La présentation sculptée des choses de la terre, des styles de vie qu’il faut adopter pour être un bon croyant, de la lumière céleste qui est réservée aux justes et des peines qu’encourent ceux qui s’écartent du droit chemin sont les thèmes majeurs qui sont abordés sur les tympans et les chapiteaux romans.


L’opposition fondamentale entre le Bien et le Mal se lit avec force sur les TYMPANS que ce soit à Conques ou à Autun, par exemple. A l’ordre régnant dans l’évocation paradisiaque s’oppose le désordre dans les scènes infernales. Les justes jouissent de la contemplation béatifique pendant que les damnés sont soumis aux tourments spécifiquement associés à leurs péchés. D’un côté, les élus - nus ou vêtus - ont une expression sereine et joyeuse ; de l’autre, les damnés ont des corps déformés par les supplices auxquels ils sont soumis par d’horribles démons.
On retrouvera sur les CHAPITEAUX ces images visant à rendre visible ce qui relève du monde invisible à venir, toujours avec l’idée implicite du Jugement dernier.


Ces images de fin des temps sont réalisées en référence à des comportements de la vie courante. Ainsi la représentation des corps des justes se fait en recourant aux types du saint, du pèlerin...En opposition, le chatiment est évoqué par des scènes de dévoration ( des êtres fabuleux mangeant des petits personnages nus ), les corps tourmentés des réprouvés sont représentés d’après les mauvais exemples qui s’écartent du droit chemin : la femme adultère, le mauvais chevalier, l’avare, la colère, la tricherie...


Dans le cas des tympans comme dans celui des chapiteaux, les scènes sculptées qui résultent d’une volonté de marquer les esprits des croyants pouvaient être accompagnées d’inscriptions latines. Ainsi peut-on lire sur le linteau du tympan de la cathédrale d’Autun :

«  C’est ainsi que ressuscitera quiconque ne sera victime d’une vie de péché - pour lui brillera sans fin la lumière du jour »
et que «  Semblable terreur terrifie ceux que détient l’erreur terrestre - car l’horreur de ces images annonce ce qui les attend ».



Dalle funéraire du XIVe siècle évoquant la mort et les vanités de la vie.
Eglise de SAINT-REVERIEN, XIIe siècle ( Nièvre ).