Le corps dans l’art roman.
L’ornementation symbolique de la baie absidiale de l’église d’Aulnay-de-Saintonge ( Charente-Maritime ) peut fournir le fil conducteur de notre étude.
Chaque côté de la fenêtre est décoré d’entrelacs végétaux dans lesquels sont inscrits de petits personnages vus de profil. Ces hommes semblent chercher à s’extraire des rinceaux de feuillages au sein desquels ils se débattent afin de progresser toujours plus haut. Dans la mesure où ces rinceaux peuvent être considérés comme des chemins de vie semés d’épreuves et d’embûches et parcourus de tensions c’est une symbolisation de l’existence humaine médiévale en quête d’elle-même et du divin qui nous est proposée par cette « échelle du salut ». Il s’agit pour le commanditaire et l’imagier d’exalter les vertus de la vie spirituelle afin de progresser vers la cité céleste. Les dimensions sensibles retenues doivent être susceptibles de suggérer de la pensée et de conduire vers le spirituel.
En d’autres termes, en reprenant l’analyse menée par Jacques Le Goff, il peut être soutenu que « la dynamique de la société et de la civilisation médiévales résulte de tensions : tension entre Dieu et l’homme, tension entre l’homme et la femme, tension entre la ville et la campagne, tension entre le haut et le bas, tension entre la richesse et la pauvreté, tension entre la raison et la foi, tension entre la violence et la paix. Mais l’une des principales tensions est celle entre le corps et l’âme. Et plus encore à l’intérieur du corps même ». ( Jacques Le Goff, Nicolas Truong, Une histoire du corps au Moyen Age, éditions Liana Levi, 2003, p.11 ). Je déclare ma dette envers cet ouvrage. Ce sera l’objet de ce site d’ essayer de présenter, de façon imagée, les rapports au corps dans la vision romane du monde tels que les livres de pierre nous les font apparaître.
A l’époque romane le corps en tant que tel n’existe pas. L’âme lui est toujours étroitement associée et le souci de l’au-delà est largement partagé. Les pierres romanes traduisent naturellement les valeurs religieuses, l’emprise du monde d’en haut et la quête du salut, mais elles dénotent aussi d’une non moins certaine ouverture au monde. C’est ainsi qu’elles révèlent aussi un vif intérêt pour les choses de la terre, les rêves et les peurs des hommes, la quotidienneté et la violence, l’imaginaire prédominant du temps et le corps dans tous ses états...
Au Moyen Age le corps chrétien est l’objet d’une tension entre l’exaltation et le refoulement. D’un côté, le christianisme glorifie le corps. Du fait de l’incarnation de Jésus l’humanité a été rachetée.
De l’autre, le christianisme institutionnalisé réprime le corps. Le salut passe par une pénitence corporelle. Il faut garder présent à l’esprit le projet moralisateur d’exhortation du chrétien au respect des prescriptions de l’Eglise et à l’attente du Jugement.
Les tensions entre le monde d’en haut et le monde d’en bas, entre l’âme et le corps laissent entrevoir les tensions propres au corps. Sur le bruit de fond continuel du combat entre les choses de la terre et les préoccupations d’ordre spirituel, entre Carême et Carnaval, le corps chrétien médiéval est partagé entre exaltation et refoulement.
La mémoire des pierres romane révèle cette oscillation permanente entre le profane et le sacré autant que ce balancement du corps entre vénération et répression.
** Le patrimoine roman français est extrêmement riche ; nous n’avons pu en apprécier à ce jour qu’une faible partie. Aussi, les illustrations des thématiques ici abordées seront réalisées seulement à partir de clichés pris dans les églises romanes des départements suivants : Allier ( 03 ), Aude ( 11 ), Charente ( 16 ), Charente-Maritime ( 17 ), Indre ( 36 ), Indre-et-Loire ( 37 ), Haute-Loire ( 42 ), Loiret ( 45 ), Maine-et-Loire ( 49 ), Nièvre ( 58 ), Puy-de-Dôme ( 63 ), Deux-Sèvres ( 79 ), Vendée ( 85 ), Vienne ( 86 ), Yonne (89 ).
A titre complémentaire ou comparatif nous emprunterons également quelques clichés à des sites web consacrés au patrimoine roman relatifs aux départements suivants : Aveyron ( 12 ), Bas-Rhin ( 67 ), Saône-et-Loire ( 71 ).
** Ce cheminement dans les déclinaisons régionales thématiques de figures romanes entend constituer un espace ludique où plaisir rime avec questionnement et culture.