Corps, vertus et vices.
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Au Moyen Age le corps est contraint par les normes édictées par l’Eglise - institution en situation dominante - mais il résiste cependant à son refoulement total. Pour le dire avec les mots de Jacques LE GOFF « d’un côté, Carême s’abat sur la vie quotidienne de l’homme médiéval, de l’autre Carnaval s’ébat dans ses outrances ». Ces tensions entre ces deux dimensions opposées de la quotidienneté vécue des hommes de l’époque ont été bien représentées par Pieter BRUEGEL dans son fameux combat de Carnaval et de Carême de 1559.
D’une part, Carême c’est l’abstinence, le jeûne, en un mot le maigre. La personnification qu’en a faite l’artiste le montre à l’évidence : le corps de Carême est malingre en raison des privations alimentaires et des mortifications effectuées en vue de l’élévation de l’âme. Poissons et pain symbolisent les nourritures autorisées en temps de pénitence.
D’autre part, Carnaval c’est la bouffe, les plaisirs du ventre et de la chair, en un mot le gras, bombance, mascarade. Autrement dit tout ce que l’Eglise réprouve. Le corps de Carnaval assis sur un tonneau est d’un embonpoint significatif des plaisirs de la table et des excès de toutes sortes ; jambon et et viande à la broche témoignent de la bonne chair et symbolisent le temps de ripaille.
Cet affrontement dérisoire entre Carême et Carnaval rapporté ici a le mérite de faire saisir avec la force de l’image la tension qui traverse le corps médiéval.
Avant les périodes d’abstinence et de jeûne, le rire se faisait jour lors des fêtes populaires, carnavals, fêtes de l’âne et des fous... La danse est un fait social et semble être depuis toujours une composante intégrante de la vie. Dans la pensée médiévale la musique profane risque de mener à la luxure ( la danse de Salomé est à rappeler ).Toutefois la danse comme l’acrobatie et la jonglerie n’accéderont jamais à la dignité aux yeux de l’’Eglise médiévale qui condamne les contorsions et gesticulations corporelles dans lesquelles elle voit des manifestations de désordre, de trouble et de vanité. En bref, ces prouesses sont purement physiques et non spirituelles.
D’une façon générale, l’oisiveté - ce temps gaspillé aux dépens de préoccupations plus hautes d’ordre spirituel - n’est-elle pas mère de tous les vices ? Gourmandise et luxure s’opposent à abstinence et continence.
De même, les pratiques - tournois et combats singuliers - sont-elles l’objet d’interdits religieux. Les tournois sont des épreuves martiales pratiquées devant de nombreux spectateurs. Les assauts en mêlée ou les tournois individuels romanesques se déroulent en deux étapes d’abord à cheval et à la lance, puis à pied et à l’épée. Les tournois sont le moyen de mettre en avant les vertus traditionnelles de la chevalerie - bravoure, honneur, réputation - mais aussi l’occasion de réaliser des rançons et de confisquer des chevaux et des armes appartenant aux chevaliers défaits.
Enluminure présentant une joute équestre.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Combat_de_chevaliers_Codex_Manesse_Zurich_1305-40.jpg
Les conciles de 1130, 1179 et 1245 ont condamné la pratique des tournois. Ces combats de chevaliers dans lesquels la noblesse reconnaît d’autres valeurs que les normes ecclésiastiques prédominantes sont dénoncés par l’Eglise institutionnalisée au motif de violence, étalage d’orgueil et exhibition ostentatoire devant certaine gent féminine...
Traducteur : Dominique Henriot-Walzer. Editeur Jean Joannès.
http://tournoi.de.chauvency.free.fr/extraits.html
Le cheminement vers la patrie céleste est empêché lorsque les actions humaines ne sont pas régies par le spirituel mais par la dimension animale en nous qui nous tire vers le bas. S’ils sont trop matérialistes les croyants ne pourront approcher l’essence des choses.
L’existence humaine est un combat de tous les instants. Pour mener à bien sa course l’homme doit veiller et ne pas se laisser accaparer par les seules distractions profanes de surface ; en bref, il ne doit pas se laisser absorber par les seules préoccupations d’ordre matériel. Dans l’imagerie médiévale le pécheur est un être qui a perdu son aplomb. C’est pourquoi les représentations dites de « l’homme culbuté » sont fréquentes.
Sujet de la faute originelle et des vices le corps l’est aussi du salut et des vertus. Avec leur maillet et leur ciseau les sculpteurs romans ont traduit dans la pierre les rapports au corps vertueux et plus encore vicieux.