LES STAVKIRKER DU TELEMARK
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HEDDAL

A trois kilomètres à l'Ouest de Notoden, presque en bordure de la route, la plus grande des stavkirker qui existent encore, Sainte-Marie de Heddal dresse sa silhouette d'animal fabuleux à la riche fourure. Toitures et murs entièrement recouverts de bardeaux, elle présente une complexité extérieure dont les principes de construction permettent de comprendre la logique. C'est pourquoi nous donnerons à nouveau le dessin de la structure de base de cette église, déjà présenté en introduction. Le plan et la coupe longitudinale permettront également de réduire l'impression déroutante de la première et naïve vision de Sainte-Marie de Heddal.

Heddal 1


Quatre poteaux corniers et huit colonnes intermédiaires délimitent la nef. Ces éléments, réunis à l'étage par des étrésillons en croix de saint André surmontés d'arcatures, assurent la solidité du parallélépipède de base. La nef est prolongée par un choeur dont le toit est soutenu par six colonnes.

Tout autour de ces deux parties, court un bas-côté « en retour »: le « returned aisle », nommé ainsi par Kenneth John Conant, et qui, comme nous l'avons vu au début, est une caractéristique essentielle de la plupart des stavkirker. Ce bas-côté, fermé par des murs de planches verticales encastrées dans des sablières, s'arrondit en une abside au-delà du choeur.

Ces murs sont eux-mêmes protégés par une belle galerie formant des avancées au niveau de trois des quatre portails.

Nous comprenons à présent l'apparence « baroque » due à l'étagement des toitures sur plusieurs niveaux:



        En parcourant la galerie, nous rencontrons quatre portails sur l'originalité desquels il faut insister: au Nord, à l'Ouest et au Sud, les trois portails de la nef, et au Sud encore un portail qui ouvre sur le choeur. Nous ne saurions en dire plus et en parler mieux que ne le fait Peter Anker:

        « Les portails de Heddal se présentent comme un trait tout à fait original de cet important édifice, avec un style à eux qui se manifeste sur les quatre, y compris celui du choeur.
        En ce qui concerne les colonnes engagées flanquant la porte, les larges piédroits ornés de part et d'autre et une archivolte bien indiquée, chacun des portails suit le schéma ordinaire. Par contre la composition des pampres, des rinceaux et des animaux qui s'y trouvent entrelacés, est sans proches parallèles. L'artiste a traité le langage habituel de la sculpture de portail sans se soucier de la mode et des conventions stylistiques, et il a créé son propre monde, en suivant son imagination.
        Sur le portail Ouest, l'archivolte est marquée par un décor d'arabesques à échelle réduite, qui l'isole des éléments environnants. Quant aux chapiteaux, un lion est assis sur celui de gauche; sur l'autre se trouvent deux ours qui se battent ou s'agrippent étroitement. Sur les piédroits, des tiges végétales s'entrelacent avec des serpents et des dragons; cependant les tiges ne suivent pas un rythme uniforme d'ondulation mais changent continuellement de direction, formant des lobes irréguliers et exécutant des mouvements apparemment spontanés, ce qui donne quelque chose ressemblant davantage à une composition libre qu'à un ornement au sens strict du terme. Les tiges végétales et les rinceaux sont d'égale largeur tout du long, l'élégance de la sculpture primitive des portails fait complètement défaut. La surface des tiges végétales est marquée, sur le bord, d'un contour souvent remplacé par une suite de petites langues arrondies; c'est là un trait particulier du style ornemental de Heddal. Enfin on remarquera les grosses feuilles arrondies, ayant souvent l'apparence de feuilles de rhubarbe. Le motif du serpent domine (...)
        Au portail Sud de la nef, le sculpteur a fait un sérieux effort pour organiser la composition. Sur le jambage de gauche la tige végétale semblable à un ruban monte régulièrement et avec raideur depuis le bas jusqu'en haut, avec des spirales feuillues qui se détachent à intervalles réguliers, tandis que les serpents se tortillent au milieu des arabesques à leur manière toute simple, allongeant leur museau sur le fût des colonnes. Sur le jambage de droite, les pampres semblent disposés en deux séries d'arabesques circulaires l'une sur l'autre, chacune recoupant la suivante; et sur le couronnement une tige végétale décrit un vaste lobe circulaire dont le centre se trouve sur l'axe médian de la porte. Sur les chapiteaux deux personnages sinistres, dont la lourde tête est chargée de cheveux et d'une barbe épaisse, sont assis et dévisagent ceux qui entrent dans l'église.
        La sculpture du portail Nord est, elle aussi, ramenée à un ordre strict. Des pampres très épais et aplatis aux lourdes feuilles arrondies se déroulent le long des piédroits, sans animaux pour les interrompre. Le fût de la colonne de droite est décoré d'un double ruban tressé. Un curieux personnage est assis sur son chapiteau : un quadrupède
        Reste le portail du mur Sud du chœur, dont le motif principal est une vigne aux entrelacs réguliers sur la partie basse des piédroits; à la hauteur du chapiteau, cependant, l'artiste donne libre cours à sa fantaisie. Le chapiteau de gauche présente un autre de ces sombres personnages à la barbe épaisse; passant devant son corps un grand monstre attaque une autre figure curieuse, un quadrupède placé à l'envers sur le piédroit mais qui dresse vers le chapiteau sa tête ronde de démon au crâne pourvu de cornes ou d'oreilles pointues. Sur le chapiteau de droite un autre personnage masculin subit par derrière l'attaque d'un monstre semblable à un ours avec de dangereuses griffes. Un grand personnage masculin vient de droite à son secours; il a une grosse tête au curieux visage strié, traité presque à la façon d'un ornement par le sculpteur. Sur le portail encore, des serpents se mêlent au décor végétal » (Peter Anker, op. cit., pp. 338 et suiv.).

        Quant aux dates, il est possible que le choeur soit du XIIe siècle et la nef du XIIIe. Toutefois le style de l'ensemble est incontestablement roman.

        Dans le mobilier, signalons un très beau fauteuil de célébrant d'époque romane. Certains pensent que le dossier illustre une légende scandinave et proposent pour cet objet une date plus reculée.
        Heddal 161 r

        C'est avec regret qu'il faut quitter Sainte-Marie de Heddal. Les restaurations, l'afflux des touristes, n'en rompent pas le charme. Parfois, de sympathiques mariages en costumes traditionnels y sont célébrés, et la vieille stavkirke dont les boiseries revivent au son de la musique, sensible à cette fidélité, sourit en silence, comme une grand mère envahie par une bouffée de bonheur sous la caresse un peu maladroite de ses petits enfants.

        EIDSBORG

        En suivant la route nationale 11 en direction de Bergen, à la hauteur d'Ofte, une petite route mène vers le Sud à Eidsborg.

        Entirement recouverte de bardeaux et partiellement ceinte d'une galerie, la stavkirke semble bien simple lorsqu'on vient de voir Heddal, - modestie qu'elle compense par la beauté du paysage aux formes douces dans lequel elle est sertie.

        Eidsborg 1


        Dans la galerie ajourée d'arcatures et de colonnettes, on peut voir la base, en forme de demi tonneaux, des gros poteaux corniers.

        Au portail Ouest de cette galerie, deux colonnes engagées soutiennent des chapiteaux. Les surmontant, deux lions, corps de profil et tête de face, meurtris par les intempéries, gardent fièrement l'entrée, protégeant l'église contre les anciens dieux, dangereux rôdeurs dont les siècles d'exil n'ont pas atténué le ressentiment.

        Eidsborg 041r