LES STAVKIRKER DE NORVEGE
Eglises romanes en bois
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LES DEBUTS DU CHRISTIANISME EN NORVEGE


Très ouverts au commerce, extrêmement curieux des autres cultures, les peuples scandinaves n'ont pas toujours laissé le souvenir d'un grand respect d'autrui. Disons que les relations entre les Vikings et le monde chrétien ont plutôt mal commencé... et se sont plutôt mal poursuivies. Si l'on excepte les incursions dans les îles Shetland vers 700, on a coutume de dater le départ de ces « relations » par le pillage du monastère de Lindisfarne (sur une île anglaise proche de la frontière écossaise) en juin 793.

Les expéditions se multiplient ensuite, et les Vikings colonisent l'Ecosse, l'Angleterre, l'Irlande, l'Islande, la Normandie, la Sicile. Les Varègues (surtout Danois et Suédois) colonisent l'Ukraine et, appelés par les Slaves pour mettre fin à leurs querelles, fondent la Russie.

Dans le royaume de France, Charles III le Simple, pour calmer ce touriste remuant, remet au Viking Rollon le comté de Rouen (l'actuelle Haute Normandie) en 911. Ce fut le traité de Saint-Clair-sur-Epte, aux termes duquel Rollon devait se faire baptiser et protéger l'estuaire de la Seine contre les autres bandes scandinaves. Le comté deviendra ensuite duché en s'étendant jusqu'au Mont-Saint-Michel compris.

Un des descendants de Rollon, Guillaume le Conquérant, s'y sentit un peu à l'étroit et s'en alla envahir l'Angleterre en 1066 (bataille de Hastings)... ce qui n'était dans le fond qu'une affaire entre Vikings, Harold Godwinson étant le descendant de Godwin qu'un roi danois avait fait comte de Wessex.

Les textes médiévaux traduisent la terreur que pouvaient inspirer les raids vikings. Il faut cependant apporter une nuance. Les textes étaient écrits par les seuls lettrés de l'époque, les clercs, qui étaient aussi les principales victimes des pillages. Comme tous les soudards, les Vikings recherchaient les objets précieux, l'or, les joyaux des reliques, et ils allaient s'en emparer là où ils trouvaient le moins de résistance: dans les abbayes ou les églises des villes mal défendues. Ils ne perdaient pas leur temps à exterminer systématiquement les populations et à brûler inutilement les récoltes.

D'un autre côté, les missionnaires chrétiens ne se laissaient pas décourager par les exactions des hommes du nord, et le Christianisme est introduit en Scandinavie dès le début du IXe siècle, notamment par saint Anschaire (801-865). Mais la christianisation proprement dite ne devient effective qu'avec la conversion des princes.

Olaf (964-1000) attaque Londres en 994, puis est baptisé. Son parrain, peu rancunier, est Ethelred II d'Angleterre. Olaf renonce à la piraterie... du moins à l'égard des peuples chrétiens. En 995 il s'empare de la Norvège où il procède à la christianisation forcée des habitants. Attitude peu évangélique, aussi ne sera-ce pas lui qui deviendra saint Olaf. Mais ceci compensant cela, il devient Olaf Ier de Norvège.

A sa mort, les frères Hakonsson assurent une double tutelle sur la Norvège: Eric gouverne au nom de Sven Ier de Danemark et Svein au nom d'Olof de Suède.

En 1015 ou 1016, Olaf Haraldson, qui a succédé à Svein Hakonsson, soustrait la Norvège de la tutelle du Danemark. Il se fait élire roi de Norvège et s'installe à Nidaros (Trondheim) où seront sacrés tous les rois de Norvège. Très intéressé par le Christianisme, Olaf II se serait fait baptiser en 998 en Norvège, ou bien en 1010 à Rouen par l'archevêque Robert. Législateur de l'Eglise en Norvège, il fait bâtir des églises sur les anciens lieux de culte et fait venir évêques et prêtres d'Angleterre.

Olaf II soumet le Groenland. Exilé à la suite d'un coup de main des Danois, il conquiert l'Islande et meurt en 1030 au cours de la bataille de Stiklestad (vers Trondheim). Il est canonisé un an après. C'est donc sous son règne que les Norvégiens ont commencé à utiliser les techniques du travail du bois, acquises depuis plus d'un millénaire, pour édifier et décorer les stavirker.

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GENERALITES SUR LA STAVKIRKE NORVEGIENNE

Couverte de forêts et disposant d'artisans ayant acquis une maîtrise précoce et inégalée dans l'art d'utiliser le bois, la Norvège a naturellement été dotée d'églises en bois. Beaucoup ont disparu, mais le fait qu'il en demeure encore 31 en dit long sur la solidité de ces édifices.

Il y en avait au moins 1200 avant la Réforme luthérienne. Il en restait environ 95 au début du XIXe siècle, et seulement 63 vers 1850. Malheureusement, 32 ont été démolies entre 1850 et 1885. Quelques portails ont été sauvés.

On a construit des églises de pierre dans les régions plus riches, plus peuplées. Dans les villes, les églises en bois étaient des églises secondaires, ou annexes d'une église en pierre. Mais d'une façon générale, elles étaient les églises paroissiales des zones plus reculées, plus pauvres. Elles constituaient surtout la solution la plus efficace, la plus rapide, la moins coûteuse, pour construire dans un pays de forêts où l'habitat était très dispersé. En effet, vers 1150, il n'existait que cinq villes dignes de ce nom dans un pays qui comptait moins de 400 000 habitants: Bergen, Trondheim, Oslo, Tønsberg et Borg.

Borgund 131 r


Comment ces édifices en bois, si l'on ne tient pas compte des destructions volontaires, ont-ils pu franchir tant de siècles pour parvenir jusqu'à nous, et parfois dans un état de conservation remarquable?

Le bois, selon les essences et les sections choisies, utilisé comme matériau de construction, peut travailler à la traction, à la flexion et à la compression. Son faible poids spécifique permet un acheminement aisé, notamment par flottage. Facile à travailler, il ne réclame pas une importante main d'oeuvre.

Même face au feu, l'architecture de bois présente des avantages. « Si l'incendie reste bien sûr le facteur de destruction le plus redoutable, il faut cependant tempérer cette affirmation par l'étonnante stabilité au feu des structures de bois, qui subissent sans perte importante de leur résistance mécanique une lente calcination de la surface: celle-ci forme alors un écran carboné, bon isolant du matériau en profondeur. Les structures métalliques et de béton sont paradoxalement beaucoup plus fragiles au feu » (Yves Lescroart, « Bois (architecture) », Encyclopaedia Universalis, Paris, 1996).

Il convient de nuancer aussi la question du danger potentiel de l'eau. Beaucoup d'essences supportent bien l'immersion. Les principaux ennemis du bois sont les intempéries et les insectes xylophages. Mais si l'on utilise des traitements fongicides et insecticides appropriés, la longévité des constructions en bois est étonnante.

Il y a bien des façons de construire un édifice en bois, comme par exemple les fermes anciennes en troncs d'arbres placés horizontalement les uns au-dessus des autres et assemblés aux angles.

L'originalité de la stavkirke tient à sa structure interne qui impose son aspect extérieur, ainsi que sa hauteur puisqu'on ne peut pas superposer des troncs debout.

Stav signifie poteau et kirke église. La stavkirke est un bâtiment fait de quatre poteaux corniers délimitant l'espace de la nef et entre lesquels peuvent prendre place d'autres poteaux colonnes. Ainsi est édifié un parallélépipède renforcé par des étrésillons et des arcatures dans les niveaux supérieurs. Nous pouvons le voir sur le dessin de l'église de Gol. Gol 11

Le bas-côté est séparé de l'extérieur par des murs de planches emboités dans des poteaux corniers plus bas que ceux de la nef et dans des sablières basses (grosses poutres horizontales). Une galerie peut entourer l'édifice et protéger les murs des intempéries.

Le tout repose sur un chassis de solives de fondement posées sur un lit de pierres sèches.

Parfois l'église est protégée par des bardeaux qui couvrent murs et toits (comme à Eidsborg), ou les toits seulement (comme à Hopperstad). Signalons à ce propos une intelligente utilisation du bois dans la restauration d'un édifice roman en France. Il s'agit de l'abbatiale Notre-Dame de Bernay. zz Bernay 010 rLe chevet ayant été détruit, et toute restauration devant être réversible, les architectes ont pris le parti de reconstituer l'abside et les deux absidioles en bois. A l'intérieur, même à faible distance et pour un oeil averti, l'illusion est parfaite: on croit être devant des murs de la même pierre que celle de la nef. A l'extérieur, le chevet est entièrement couvert de bardeaux. Et dans le fond il n'y a pas de honte pour une église de l'ancien du duché de Normandie à présenter une certaine familiarité avec une stavkirke du pays de ses anciens maîtres.

Connaissant les principes de la structure intérieure, on comprend mieux l'aspect extérieur étrange des églises les plus complexes. Les églises de Gol et de Borgund, par exemple, présentent un étagement de trois toits principaux – galerie, bas-côté, nef –, auquel s'ajoutent les trois étages du clocher et des clochetons.

La stavkirke peut donc être définie comme un bâtiment de bois, construit à l'aide de solives et de poteaux assemblés pour former des cadres « cubiques ». Les panneaux muraux sont insérés dans des cadres extérieurs. Ainsi Peter Anker (qui fut conservateur du musée de Bergen) caractérise-t-il les églises en bois debout.Stavkirke 11

Stavkirke 21

Stavkirke 31


Kenneth John Conant, dans son ouvrage fondamental sur l'art roman, Carolingian and Romanesque Architecture 800-1200 (Penguin Books Ltd, 1959), propose, comme modèle de la stavkirke, l'église de Borgund. Son dessin, complété par Peter Anker, permet de comprendre l'aspect que devaient avoir, à l'origine, presque toutes les stavirker. Ce dessin se trouve plus bas, dans le chapitre de ce site consacré à l'église de Borgund. Il est recommandé de s'y reporter.

Les poteaux corniers, essentiels à la structure si particulière de la stavkirke, ont une signification religieuse: c'est leur existence qui rend valide la consécration. L'église est considérée comme détruite lorsque les poteaux corniers sont tombés.
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L'ouvrage de référence que nous citerons abondamment et dont nous utiliserons les dessins et schémas est celui de Peter Anker, L'Art scandinave volume I, Editions Monastiques de la Pierre-qui-Vire, 1969. Il sera ainsi mentionné: Peter Anker, op. cit. avec la pagination.

En suivant l'édition française de cet ouvrage, nous utiliserons le pluriel norvégien
stavkirker
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stav1022
Plan de situation des stavkirker


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