IMAGE ROMANE DE L'HOMME : repères de base
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Les images romanes n'entendaient pas, en effet, être des représentations strictement réalistes, mais on peut penser qu’elles constituaient une sorte d'évocation des rapports sociaux médiévaux, des représentations du monde, et de la culture religieuse de l'époque. Le sens réel du lexique roman nous échappe largement. Pour tenter d'en saisir plus pleinement le sens profond il semble que l'on puisse partir du présupposé que le cheminement vers la patrie céleste est empêché lorsque les actions humaines sont moins régies par le spirituel que par notre dimension animale qui nous tire vers le bas. |
Eglise de Fontaine-d'Ozillac, Charente-Maritime.
1° La complexité fondamentale de l'homme - corps et esprit - est symbolisée dans l'art roman par l'association de l'oiseau et du lion.
Gérard de Champeaux et Sébastien Sterckx rappellent dans leur ouvrage fort documenté " Le monde des symboles " ( Zodiaque ) que les " deux archétypes fondamentaux du psychisme humain [sont]: l'oiseau - ou plus précisément l'aile, la plume - et l'animal terrestre ; tous deux étant combinés autour du schème de la verticalisation pour exprimer le mystérieux composé qu'est l'homme : corps et esprit.
L'art roman a hérité cet hybride imaginaire que lui léguaient les plus anciennes civilisations et tout incline à croire qu'il l'a souvent utilisé à son tour pour symboliser l'éternel mystère de l'homme.
Le thème est complexe. Les églises romanes l'ont reproduit à des milliers et des milliers d'exemplaires, surtout sous la variante du lion associé à l'aigle " ( p. 256 ).
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" Le mystère de l'homme, d'un corps uni à une âme, - survalorisé dans le christianisme par celui de l'Incarnation du Verbe de Dieu dans une authentique humanité est un de ces mystères [de vie qu'elles rendent perceptibles]. Mais ce n'est pas tout. Il s'y ajoute l'interférence angoissante des conséquences dévastatrices du péché... L'homme roman sait que toute sa vie sur terre, et son sort éternel, gravitent autour de ce drame. Il ne cesse de le scruter, de le retourner à la lumière de la révélation, de chercher les incidences de la grâce dans le lourd composé ; il réfléchit sur ses expériences de pécheur - que son péché entraîne irrésistiblement vers le bas, que la grâce soulève quand même vers le ciel. Le lion associé à l'aigle, c'est lui-même : le miroir où il se regarde. Ils lui servent à se dire, à s'expliquer ses meurtrissures, à fortifier ses espérances, à se délivrer de ses terreurs ; car toute angoisse objectivée est, en quelque sorte, désamorcée, pacifiée, ouverte à la lumière" ( p.265 ).
Cette iconographie se traduit dans l'imagerie romane par ces deux créatures -oiseau et lion- posées l'une au-dessus de l'autre, réunies comme le corps et l'âme.
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritime.
L'éclairage est encore plus symbolique lorsque l'être humain figure à côté de ses deux éléments constitutifs symboliques comme ci-dessous.
Eglise d'Avy, Charente-Maritime.
L'imagier utilise des oiseaux pour représenter la part spirituelle de l'homme et des lions ( ou quadrupèdes divers ) pour évoquer son animalité. C'est parce que l'homme est un être complexe que le sculpteur évoque son caractère composite par cette intrication d'animaux symbolisant les tendances qui se partagent son être profond.
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritme.
C'est probablement dans ce bel édifice saintongeais qu'est l'église Saint-Eutrope que la dépendance mutuelle des trois êtres-homme,lion,aigle- est manifestée de façon extrêmement étroite. Ici le lion est placé au-dessus de l'homme et le quadrupède est lui-même surmonté à son tour par l'oiseau.
Eglise Saint-Eutrope, Saintes, Charente-Maritme.
Cette vue de détail montre peut-être mieux encore comment l'aigle est simplement posé sur le lion qu'il tient par le bout de l'oreille.Toutefois, la réunion des trois éléments - homme, quadrupède, oiseau - ne se rencontre pas seulement en Saintonge comme le montre ce chapiteau bourbonnais.
Ancienne abbatiale de Souvigny, Allier.
Les oiseaux grâce à leurs ailes s'élèvent au-dessus des vicissitudes strictement terrestres ; c'est pourquoi ils symbolisent le spiritue.
L'oiseau illustre ainsi les phases particulières de l'évolution spirituelle de l'homme progressant de la lourdeur de la matière vers une spiritualité plus grande.
Avant d'aller plus loin on ne peut pas ne pas évoquer parmi la gent ailée la place particulière d'un oiseau de nuit dans l'imagerie romane.
La vision pénétrante de la chouette a pu être utilisée afin de suggérer la nécessité pour l'homme de voir ce qui est caché au plus profond de lui-même.
* Eglise de Champagnolles, Charente-Maritime.
** Eglise Saint-Blaise, Givrezac, Charente-Maritime.
La chouette voit dans l'obscurité. Son image peut suggérer une possibilité de perception en profondeur.
En d'autres termes, la chouette ne symbolise-t-elle pas l'aptitude à essayer de voir dans les ténèbres de l'homme
afin que ce dernier prenne conscience de ce qu'il est réellement pour progresser spirituellement ?
2° La vie spirituelle est évoquée par l'arbre, symbole de la verticalisation.
L'arbre, qui évoque le mystère de la vie, fait l'objet de réalisations nombreuses et différentes dans l'imagerie romane, depuis l'arbre de la Connaissance jusqu'à la vigne des paraboles évangéliques. Lorsqu'il est représenté, par exemple, à l'entrée des édifices il indique la frontière d'un autre monde. Ce qui ne signifie pas pour autant que le thème de l'arbre n'ait pas souvent dégénéré en simple motif ornemental. En tout cas il est permis de penser que l'arbre qui s'élance vers le ciel constitue une sorte d'échelle fournie à l'homme par la nature qui lui a permis au cours des temps de donner une consistance à son espérance ascentionnelle.
** L'arbre peut être représenté à la porte des églises.
Le portail de l'ancienne abbatiale d'Andlau en est un des plus fameux exemples. Le symbolisme naturel de l'arbre se prête aisément à une survalorisation par des références bibliques.
Abbaye d'Andlau, Bas-Rhin.
Au linteau le Créateur tire Eve du côté d'Adam endormi, tandis qu'à l'arrière-plan se dresse l'arbre de vie du jardin d'Eden.
Près de l'arbre de la connaissance du bien et du mal se tiennent Adam et Eve nus, sans honte, ignorant même leur état de nudité.
Après avoir mangé le fruit défendu ils sont chassés du jardin d'Eden tenant leurs feuilles de figuier et se cachant la poitrine connaissant qu'ils étaient nus.
C'est dans cet appareil qu'aprés avoir quitté la scène du paradis on les retrouve assis se tournant le dos sous un arbre stérile, image des effets apportés dans le monde par le péché. C'est donc l'opposition entre ces deux types d'arbres qui mérite d'être soulignée, l'un florissant, l'autre improductif.
** L'arbre peut-être représenté à l'intérieur des églises sur des fresques murales.
Eglise de Lignières de Touraine, Indre-et-Loire.
La création de l'homme et le jardin d'Eden : les arbres portent un beau feuillage.
Eglise de Lignières de Touraine, Indre-et-Loire.
Adam et Eve chassés du Paradis : l'arbre a perdu ses feuilles.
** L'arbre peut envahir les façades, voussures et murs.
Ce sera souvent la vigne des paraboles évangéliques, bruissantes d'oiseaux symbole à la fois du croyant, de l'église et du Christ qui est sa vie comme à Saint-Michel l'Aiguilhe.
Eglise de Saint-Michel-l'Aiguilhe, Le Puy-en-Velay, Haute-Loire.
Le personnages saisit des deux mains les frises végétales qui se développent autour de lui symbolisant la vie spirituelle qui doit l' animer.
Eglise de Vaux-su-Mer, Charente-Maritime.
Dans cet édifice saintongeais le thème de la vigne se trouve également présent tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'église.
Eglise de Marignac, Charente-Maritime.
Les fidèles de l'Eglise constituent des éléments végétaux qui doivent croître pour finalement se confondre avec la luxuriante végétation paradisiaque.
Le symbolisme de l'arbre de vie manifeste l'aspiration de l'homme à la spiritualisation.
Eglise de Vaux-sur-Mer, Charente-Maritime.
Des quadrupèdes tournent leur regard vers le sommet d'un arbre sur lequel nichent des oiseaux.`
Ce chapiteau résume bien à lui seul les divers éléments symboliques précédemment évoqués.