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Le symbolisme de la porte comme lieu de passage

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Eglise Saint-Médard, Thouars.

♦️Vous avez dit portail !


Les portes principales des églises, placées généralement dans l’axe de la nef centrale, sont larges, décorées relativement avec recherche, et présentent souvent, par la sculpture qui couvre leurs tympans, leurs voussures et leurs piédroits, une série de scènes religieuses qui sont comme la préface du monument. C'est ainsi que sont définis les portails dans le dictionnaire raisonné de l' architecture française du XIe au XVIe siècle.
Les portails sont le plus souvent la grande porte d'une église, quelle soit importante ou non, avec tout son appareil architectural. A ces compositions monumentales intégrées dans les façades occidentales peuvent être également présentes dans un même édifice des
portes secondaires.

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Eglise de Rétaud, Charente-Maritime.

Les portails de nos grandes églises ont fourni aux bâtisseurs du Moyen Âge des motifs remarquables de décoration. Ils sont ornés habituellement de nombreuses statues, de figures et de bas-reliefs, tant sur les tympans ou/et sur les voussures que sur les jambages en ébrasement et chapiteaux .
A l'âge roman, le portail, voire la façade tout entière, constitue, au même titre que les chapiteaux de la nef et du chœur, l'emplacement privilégié où s'observe la sculpture. C'est pourquoi son iconographie joue un rôle majeur dans les programmes sculptés aux portes des églises.

Par sa situation à l'entrée même de l'édifice ecclésial le portail constitue un lieu de transition ; il n'est donc pas sans intérêt d' observer ces éléments architecturaux métamorphosés par la main de l'homme.


♦️De l'importance du portail comme seuil ou le symbolisme de la porte.

Qui franchit la porte comprend que son déplacement est délibéré et non marche automatique à l'image de l'agitation humaine.
La porte constitue, dans un édifice, par définition un passage entre l'extérieur et l'intérieur, mais au-delà de cette évidence le franchissement de ce seuil est pourvu de significations symboliques.
Une porte dans la vie quotidienne a plusieurs fonctions.
Tout dans le franchissement de son seuil conduit celui qui s'apprête à passer le pas à un changement d'état ; elle marque tout à la fois la séparation et la communication entre deux espaces.
Le christianisme lui a donné une signification d’autant plus forte que le Christ se définit lui-même comme " la porte des brebis ", que saint Pierre, investi du pouvoir des clefs, est le gardien de la porte du Paradis, et que la Vierge est appelée " Porte du ciel ".
Lieu de transition, passage entre le monde profane et l'espace sacré, la porte fait pénétrer le fidèle dans la maison du Seigneur, le conduit sur la voie du Salut et semble faire directement écho à la parole du Christ transmise par l'évangile de Jean.

La porte est le lieu du franchissement qui permet d’accéder à un autre espace, matériel et/ou symbolique.
Ces deux fonctions se retrouvent en Jésus-Christ. Il est l’intermédiaire entre le ciel et la terre, il est le seul, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tim.2 :5) ; il marque le passage des ténèbres du péché à la lumière du royaume de Dieu.
Dans le livre II de ses Homélies sur Ezéchiel les I, III et VI
Grégoire le Grand ( 540-604 ) a développé un symbolisme complexe de la porte qui peut constituer une préfiguration des portails sculptés de l'époque médiévale comme le montre Michel Maupoix (Art sacré, n° 28 ) :
- en s'appuyant sur l'Evangile de Jean la porte c'est le Christ "porte des brebis"Le Christ a dit : « Moi, je suis la porte » (Jn 10, 7).
- puis Grégoire le Grand lie les images symboliques de la voie, du chemin et celle de la porte. Le Christ est pour nous la porte et aussi le chemin qui mène à cette porte, qui est encore porte de l'Eglise et porte de la lumière, c'est-à-dire accès au salut.

Cette fonction édifiante de l'image est particulièrement nette et abondante sur les tympans, les voussures et les chapiteaux. On sait que Grégoire le Grand insiste sur le rôle pédagogique de l'imagerie. Cette dernière raconte l'Ancien Testament, met en scène le Christ et les saints, montre le combat du bien et du mal, sépare les élus des damnés.
Délimitant l'espace entre sacré et profane, la porte est un lieu d'accueil, de franchissement, mais aussi d'exclusion pour celui qui n'en passe pas le seuil.
Commanditaires et sculpteurs ont œuvré pour orner les portails et leur rendre une fonction symbolique et cultuelle. "A preuve, les rituels qui se déroulent devant ou sous le portail. Le décor ne peut se comprendre si l'on ignore ce qui s'y fait : lectures, chants, sermons, processions. A l'extérieur comme à l'intérieur de l'église, l'iconographie, la liturgie et la pastorale ont partie liée" rappelle Michel Pastoureau ( 2014, p.13 ).

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Eglise de Migron, Charente-Maritime.
Aujourd'hui comme hier les diverses fonctions de la porte ont toutes été reprises par le symbole de la Porte Sainte. Le signe de la Porte Sainte,"évoque le passage que tout chrétien est appelé à effectuer du péché à la grâce. Jésus a dit:  "Moi, je suis la porte" , pour montrer que personne ne peut accéder au Père sinon par lui. Cette affirmation de Jésus atteste que lui seul est le Sauveur envoyé par le Père. Il n'y a qu'une seule porte qui ouvre toute grande l'entrée dans la vie de communion avec Dieu, et cette porte, c'est Jésus, chemin unique et absolu de salut. A lui seul on peut appliquer en toute vérité la parole du Psalmiste:  " C'est ici la porte du Seigneur:  qu'ils entrent, les justes!" (Ps 118 [177], 20).

Franchir la Porte Sainte symbolise le passage du péché vers la grâce. Toujours ouverte, la porte exprime l’attente de Dieu qui se tient sur le seuil les bras ouverts pour nous faire entrer dans la miséricorde. Passer la porte requiert donc qu’on laisse derrière soi le péché pour rejoindre l’amour et le pardon.
Avant de franchir la Porte, il faut se mettre en route. Comme un pèlerin appelé à aller de l’avant, chacun marche à la rencontre du Père miséricordieux, sur un chemin de conversion. Passer le seuil de la porte, c’est un acte de foi du croyant qui reconnait en Jésus-Christ le Seigneur. C’est par lui que l’on peut connaître et entrer en communion avec Dieu. Le Christ est le Sauveur envoyé par le Père qui permet à tout homme de passer du péché à la grâce.

Les portails des édifices religieux sont les portes d'entrée dans le monde sacré pour se détacher du monde profane.

♦️De la nature des images sculptées des portails romans de Poitou-Charentes-Vendée
Compte tenu de sa fonction de seuil quel type d'images rencontre-t-on sur le portail des églises romanes à cet emplacement spécifique qui constitue le lieu du passage entre la sphère profane extérieure et l'espace sacré intérieur ?
S'il assure la transition entre le monde et le royaume de Dieu la dimension humaine du portail reste fondamentale ; perceptible à tous les regards, il entend créer un espace où les hommes vont à la rencontre d'un Dieu qui leur est proche et accessible, une forme d'introduction au lieu de culte.

La beauté et la singularité des portails, portes ouvertes sur la maison de Dieu, en font de véritables manifestes d'art roman.
En pleine campagne ou en milieu urbain les portails de quelques cent-dix églises, chapelles ou cathédrales, charmantes ou imposantes, témoignent ici de l'inventivité et de la fascinante beauté de l' art roman.

Monumentaux ou modestes, richement historiés ou sobres les tympans et linteaux, des portails offrent des surfaces idéalement planes aux sculpteurs sur lesquelles se déroulent des scènes tirées de la Bible : l'Apocalypse, souvent figurée avec les Vieillards de l'Apocalypse, le Christ en gloire, le Jugement dernier, l'Ascension, la Pentecôte, les quatre évangélistes ou leurs symboles, les saints patrons des églises, la Vierge, parlent aux fidèles de la richesse de leur histoire.


Les portes des grands portails médiévaux, en France, sont en général surmontées d'un linteau et d'un tympan sculptés, que protègent les rouleaux successifs de la voussure, retombant sur des ébrasements ornés de statues.
Le tympan constitue ainsi un support de prédilection du répertoire sculpté. Il suffit pour s'en convaincre de voir les programmes iconographiques des remarquables tympans du Jugement dernier à Autun et à Conques, Moissac, Pentecôte et mission des apôtres à Vézelay, le Christ entouré des évangélistes et des Vieillards de l'Apocalypse à Moissac ou encore la Parousie à Beaulieu-sur-Dordogne…
Dans les grands portails romans par l'image le fidèle est mis en présence de Dieu par une contemplation directe similaire à celle de la fin des temps.

Mais ce sont sur les espaces étroits que sont les voussures des portails de Poitou-Charentes-Vendée, privés généralement de tympans, qu'ont été réalisées les images dans la pierre. On pourra faire observer que Saint-Nicolas de Civray possède un tympan. Qu'on ne se méprenne pas ; il date de 1858 !!! Il est incongru car l'art roman poitevin ignore ce genre d'élément architectural. C'est seulement en pays charentais que l'on trouvera quelques jolis petits tympans.

Quel répertoire sculpté trouve-t-on sur les voussures des portails romans de nos régions ?
L'imagerie sculptée n'a pas seulement des fonctions didactiques, eschatologiques, elle a aussi des fonctions décoratives.
Ce qui est rencontré partout, de façon plus ou moins foisonnante, c'est une ornementation riche et diversifiée "avec cette étonnante fantaisie chère à l'art de l'Ouest" pour reprendre l'expression de François Eygun .
Ornements floraux formés principalement de feuillages dérivés de l'acanthe, palmettes, rinceaux et d'autre part décors géométriques constitués de billettes, pointes de diamant, tores, cylindres, oves, torsades, dents de scie, rondins, entrelacs.


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Eglise Notre-Dame, Villiers-sur-Chizé, Deux-Sèvres.


Mais pour les plus beaux portails ce cadre si richement orné ne suffit pas toujours à lui seul. Il est là pour mettre en valeur un ensemble édifiant pour les fidèles. Sous cette apparence décorative, les artistes ont abordé de profonds sujets. Des thèmes moraux se retrouvent dans un grand nombre de portails du Poitou, du Pays charentais et de la Saintonge.
Les motifs, en général de dimensions assez grandes, ne peuvent loger dans un claveau, aussi les a-t-on couchés dans les voussures. A partir du moment où le sculpteur a donné au personnage la place principale, il ne s'est plus contenté de décorer le temple du Seigneur en soulignant l'architecture par des ornements, il a fait du
mur le support d'un message.
-Sur la voussure, comme sur le tympan, le Christ est assis. Il est dans une mandorle ou non. Il tient dans sa main gauche, la Bible. Il bénit de sa main droite. Les quatre animaux qui symbolisent les quatre Évangélistes sont regroupés autour de lui et le regardent.

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Eglise de Foussais-Payré, Vendée.
Cette iconographie du Christ en majesté entouré du tétramorphe peut-être accompagnée d''un chœur composé des Vieillards de l'Apocalypse.
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N.D. de la Coudre, Parthenay, Deux-Sèvres.
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La psychomachie met en scène le combat entre les figures allégoriques féminines des vertus et des vices qui sont leur contraire. De belles jeunes femmes pourvues d’armes terrassent de petits monstres sont des figures qui ne peuvent être que des représentations allégoriques de la condition humaine. Elles veulent évoquer la réalité la plus intime du croyant engagé en permanence dans une lutte intérieure entre le bien et le mal. En d’autres termes, c’est le combat des Vertus et des Vices qu’évoquent ces parlantes images offertes aux fidèles afin qu’il n’oublient pas que la vie humaine est une lutte de tous les instants.

En bref, les sculpteurs figurèrent le dénouement du drame singulier en sculptant toutes les Vertus, sous forme de vierges accoutrées comme des guerriers, armées de pied en cap, triomphant des Vices représentés sous forme de petits monstres à leurs pieds. La victoire des Vertus sur les Vices n’est figurée que pour signaler la ligne de partage entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, en bref, la voie à suivre, qui sera le plus souvent difficilement suivie.
Pour parvenir au bonheur éternel il faut lutter toute la vie, comme le montre le combat des Vertus que nous devons pratiquer contre les Vices foulés sous leurs pieds.

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Fontaine-d'Ozillac, Charente-Maritime

- A l'image du combat des Vertus et des Vices, la parabole des Vierges sages et folles est un des éléments constitutifs de la volonté d’exhortation morale des populations médiévales à vivre dans une perspective eschatologique.

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Saint-Nicolas Civray, Vienne.

Il ne suffit pas d’être invité au festin comme l’ont été les dix jeunes filles pour entrer automatiquement dans la salle des noces. Il est nécessaire de s’y préparer et de se tenir prêt.
Les Vierges folles ne s’étaient pas assez préparées à cette venue de l’époux, et elles se sont laissé prendre au dépourvu. Elles n’ont pas fourni les efforts nécessaires pour veiller ; autrement dit, parce que leur foi était fade, superficielle, elles n’ont pas su mettre à profit le temps qui leur était donné pour accueillir l’Époux. Insouciantes, vivant dans la légèreté, elles ont entendu la Parole mais n’ont pas mis en pratique toutes ses exigences, prétextant sans doute toutes sortes d’excuses pour dire que les commandements et enseignements donnés dans les Ecritures peuvent attendre.
Comme les sages, il faut être sans cesse en éveil pour entrer dans la maison de l'Époux et ne pas être rejeté dans les ténèbres extérieures.
-
- A côté de cela deux saynètes fréquemment rencontrées sont constituées,
* d'une part, de
l'Agneau, raison de la vie humaine, est figuré soutenu dans un nimbe surmonté d'une croix ou non et pouvant être encensé par des anges

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Eglise de Lichères, Charente.

* et, d'autre part, de deux oiseaux buvant dans une même coupe. Pour un chrétien, cette image est le symbole de l'Eucharistie.
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Eglise de Secondigny, Deux-Sèvres

- A défaut de ces grands thèmes édifiants rencontrés sur les voussures c'est la victoire sur les forces du Mal qui ne doivent pas entrer dans l'église, qui est mise en scène sous forme de compositions variées sur les corbeilles des chapiteaux et tailloirs. Une façon simple est de faire figurer un saint ou un prophète terrassant un dragon ou un monstre.

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Eglise de Vouvant, Vendée.

  • Masques humains ou représentations animalières et monstrueuses. S'ils ont un rôle esthétique, ces décors ne sont-ils pas aussi parfois chargés de symboles directs ou indirects ? Ainsi, l'imaginaire médiéval est peuplé de monstres dont certains organes sont multipliés ou hypertrophiés.
    Les représentations monstrueuses proviennent d'un mélange des genres ( humain et végétal, par exemple ) ou s'obtiennent par hybridation, soit figurations animales ou monstrueuses à figure ou tronc humain ( corps d'oiseau à tête humaine ou corps de poisson et torse de femme, par exemple ), soit personnages à visage animal.
    D'une façon générale, il semble qu'on ait désiré mettre en avant la crainte que doivent inspirer les forces du mal.

Si le portail est support d'une riche imagerie, souvent d'inspiration édifiante, mais aussi profane. En effet les images bibliques, les figures saintes peuvent ou non être associées à des images profanes.
La référence à la quotidienneté vécue et à la culture populaire apparaît ainsi sur les portails des églises romanes sous forme de représentations des activités agricoles, des signes du zodiaque et des travaux des mois, de compositions scéniques animalières, de figures de musiciens et d'acrobates, de motifs épiques ou guerriers et de scènes de chasse…

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* Fenioux, Deux-Sèvres. ** Cognac, Charente.

Associées ou non à des thèmes didactiques directement religieux, les images profanes faisant référence au monde d'ici-bas, par le biais de la représentation d'activités caractéristiques du quotidien, font écho à la réalité vécue et à l'imaginaire d'une époque ( par exemple la fée Mélusine dans notre région ).
Si ces images profanes, loin d'être réservées à des emplacements de l'édifice de moindre importance ont été intégrées au décor du seuil même de l'église romane on peut penser que les autorités ecclésiastiques ont utilisé cette visibilité pour envoyer un message au peuple chrétien.
Placées au seuil de l'édifice sans doute constituaient-elles " un moyen de communication visuelle directement adressé à la communauté laïque" (
Nathalie Le Luel, Art sacré, 2010, p. 39).
Le portail en tant que lieu de transition entre ici-bas et le monde d'en-haut accueille les croyants qui en franchissant son seuil vont à la rencontre du Seigneur. En ce sens ils constituent " une forme d'introduction au lieu de culte " (Anne-Claire Meffre, 2008, p.6 ).
Par delà les traits communs, les similitudes observables d'un église romane à l'autre, toutefois chacune, tant dans sa conception architecturale que dans son ornementation et ses images sculptées, est particulière marquées qu'elles sont par leurs terroirs.
Le prestige d'un monument inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO ne doit pas faire oublier les modestes édifices ruraux moins connus ou à l'écart des grands chemins.
Les humbles édifices méritent tout autant de retenir l'attention que les plus célèbres, soit parce qu'ils ont pu ouvrir la route, soit à cause de la meilleure accessibilité de leur ornementation, par rapport à des réalisations majeures dont la structure et la décoration sont parfois difficilement perceptibles au regard humain du fait de leur position architecturale très élevée, soit, simplement parce-qu'ils sont également la manifestation d'une même ferveur créatrice.

Ce travail d'évocation renvoie la recherche érudite aux spécialistes d'archéologie et historiens de l'art. Seule l'étude de leurs travaux peut restituer totalement la saveur de la richesse du patrimoine roman du Poitou-Charentes-Vendée.*
C'est donc tout naturellement que nous déclarons notre dette aux auteurs dont les œuvres ont été notre guide.


* Faut-il rappeler que sous l'Ancien Régime, le Poitou, province étendue et riche en monuments, couvrait à peu près ce qui a servi à constituer, lors de la Révolution française, les départements de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée.

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