LAISSER LA VIE COURIR SUR SON ERRE / CARPE DIEM
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" La vie des hommes est un désastre et un enchantement.
Un désastre parce que la fin est déjà inscrite dans le début.
Un enchantement parce qu'il ne cesse de s'y passer des évènements
qui provoquent des émotions, des sentiments, des réflexions, de la passion.
Un désastre parce qu'il y a la souffrance et le mal.
Un enchantement parce qu'il y a l'espérance et l'amour "
Jean d'Ormesson, 2016, p. 60.

Pour l’homme le propre de la vie est de tendre vers un but, d’accomplir son projet existentiel. Ce qui fait la valeur d’une existence c’est sa tension permanente vers un à-venir, vers un en-avant dont elle reçoit son sens. La vie c’est cela : des gens qui attendent quelque chose de l’existence, d’autres qui se heurtent frontalement à un mur qui bouche, sans espoir d’éclaircie, l’horizon.
La société actuelle est marquée notamment par trois caractéristiques, le chômage et la misère pour certains, l'aisance et la fête pour d'autres et enfin, l'insécurité, la crainte des attentats pour tous.
Fondamentalement la vie de l’être humain c’est avant tout le temps qui passe inexorablement, c’est-à-dire des années qui succèdent aux années, obscurcies par la brume de la routine quotidienne, pimentées par les percées lumineuses que sont les rares moments de bonheur.


Quoi qu'il en soit c'est dans l'ensemble un grand bonheur de traverser furtivement l'univers et le temps, vivant des printemps qui, au gré de la jeunesse ne passent pas assez vite et des automnes toujours trop fuyants pour les personnes des générations sur le déclin.
Absorbés par leurs préoccupations quotidiennes, harcelés par la pression des besoins et la pulsion des désirs, les membres de nos sociétés occidentales ne se mettent plus en quête d'autre chose que des biens de ce monde. La vie de chacun court le plus souvent sur son erre, un point c'est tout, comme si cela faisait partie de l'ordre des choses.

♦️LAISSER LA VIE COURIR SUR SON ERRE


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Modillon, église de Mur-de-Barrez, Aveyron


** La vie à la-va-comme-je-te-pousse
La barque de l’existence demeure soumise aux aléas du temps.
Alors que dire sur notre vie et celle des hommes pour dresser cet état de la société à l'entrée du XXIe siècle ?
L'homme contemporain est écartelé entre ses lieux de vie et ses lieux de travail, entre ses passions et les nécessités laborieuses de l'existence, mais aussi inégalement partagé entre deux mondes, ce monde-ci et celui d'en haut.
Beaucoup de personnes se laissent emporter par les banalités quotidiennes, ne croient pas à grand chose, en un mot vivent dans l'instant présent, à la va-comme-je-te-pousse, et d'ailleurs en ne se posant guère de questions il n'est pas impossible qu'elles ne soient pas plus malheureuses que cela. C'est seulement quand elles sont atteintes elles-mêmes ou un de leurs proches par une grave maladie, quand le malheur les frappe qu'elles peuvent être amenées éventuellement à s'interroger sur le sens de l'existence. Si elles ne ne l'avaient pas fait auparavant peut-être vont-elles regarder davantage autour d'elles, prendre conscience de la présence du mal dans le monde, s'apercevoir que les plus forts et les plus faibles sont frappés sans distinction, mais que ces deux groupes n'ont pas les mêmes moyens de faire face, que les moins recommandables s'en sortent plus fréquemment mieux que les autres. Peut-être vont-elles s'interroger sur elles-mêmes et sur la société à moins que la trop forte douleur ne les fasse se replier entièrement sur soi.
Pour être, l'homme doit couvrir ses besoins à la sueur de son front. Les affaires ordinaires de la vie - travailler /vivre d'allocations publiques, manger, boire, dormir, - suffisent à l'accaparer. Il se livre à ses passions et à ses états d'âme : s'abandonne au pouvoir, à l'argent, aux honneurs, à la beauté, et par-dessus tout satisfait désir et sexe ; en lui s'affrontent les forces du bien et du mal. Il est fait d'ombres et de lumières : chante, danse, rit, souffre et pleure et finit par mourir. La vie de l'être humain c'est avant tout le temps qui passe inexorablement, c'est-à-dire des années qui succèdent aux années, obscurcies par la brume de la routine quotidienne, pimentées par les percées lumineuses que sont les rares moments de bonheur. La vie, c'est cela : des gens qui attendent quelque chose de l'existence, d'autres qui se heurtent frontalement à un mur qui bouche, sans espoir d'éclaircie, l'horizon.
L'existence de la majorité des hommes se résume à l'accumulation effrénée de biens.
Les uns qui ont déjà beaucoup en désirent toujours davantage ; les autres qui n'ont pas grand chose désireraient posséder quelques biens.
D'aucuns, au lieu de rechercher les seules satisfactions de la chair et du plaisir, essaieront de se réaliser en mettant en œuvre tout ce qu'il y a en eux de généreux. La volonté de développer la solidarité à l'égard d'autrui est la justification de leur engagement social militant.
D'autres essaient de se réaliser dans la satisfaction de la tâche accomplie ou dans la réalisation d'une collection d'un type d'objets ou d'un autre ; quelques-uns ne vivent qu'avec l'ambition de laisser une œuvre qui leur survivra et leur assurera une vague immortalité, laisser une trace dans l'histoire pour traverser le temps…
Mais pour beaucoup, enserrés dans les mailles d'une existence trop précaire, l'idée même d'attendre quelque chose de l'existence est tout à fait étrangère. Si il est légitime de postuler l'égalité de tous les êtres humains, force toutefois est de constater les inégalités persistantes devant la santé, la vie et la mort.
Qui a fréquenté les maisons de retraite n'a-t-il pas entendu tel pensionnaire déplorer " l'absence de visites" ou tel autre confier "cela fait vingt ans que je n'ai pas fait l'amour…" L'égalité est tout aussi relative pour les défunts ; l'art funéraire lui-même est un miroir social propre à l' espace mémoriel entre terre et ciel qu'est le cimetière.
Si le monde est manifestement dur pour beaucoup, il est également séducteur, envoûtant et dérisoire. Par ses attraits enchanteurs le monde conduit l'homme à s'étourdir par le divertissement. En prenant de la distance, en faisant un retour sur soi, il arrive à certains de réaliser que la vie est souvent autre chose qu'une course permanente tournés qu'ils sont vers le prochain but, la prochaine acquisition, la prochaine relation. avec au bout du compte un sentiment d’insatisfaction, il reste une fin, une aspiration à autre chose.. Et puis…une cinquantaine d’années plus tard on se retrouve en maison de retraite.
Dans la société contemporaine marquée par un individualisme exacerbé les réponses les plus variées sont ainsi apportées aux interrogations soulevées par l'existence selon la pondération que chacun accorde au matériel et au spirituel dans sa vie. Ce monde est peu de chose et pourtant il est beaucoup.
La dynamique individuelle résulte de tensions entre, d'une part, l'immédiateté et l'urgence des affaires courantes et, de l'autre, les préoccupations d'ordre spirituel, plus discrètes et silencieuses, qui semblent bien souvent pouvoir être remises à plus tard.
De fait l'homme occidental actuel tend à mener sa vie dans une société sans lien institutionnel obligé avec le monde d'en haut.

Rappelons d’abord que les changements sociaux de ces dernières décennies ont induit une grande diversité des profils de vie. Il y a ceux pour qui les jours s'écoulent et c'est tout, menant une petite vie sans espoir, piégée par les tâches et les soucis quotidiens, sans horizon et sans projet. Et puis, il y a ceux qui jouissent pleinement des plaisirs de la vie, des progrès de la technologie et de l'ouverture sociale, allant de projet en projet ; bref, ceux qui peuvent tenter l'aventure de la personnalité. Il y a toujours plus nombreux ceux à la sensualité exacerbée cherchant à jouir de tous leurs sens et il y a des saints et des hommes purs. Il y a les paumés, les drogués, les sportifs, les fêtards, les esthètes et les épicuriens, les hédonistes, les bons pères de famille, les chercheurs de Dieu. Il y a les personnes mal dans leur peau, les esprits désintéressés, les associations humanitaires et les organisations non gouvernementales, les tourmentés, les anges des affaires et les capital-risqueurs. Il y a les chercheurs ivres de science, les uns totalement désintéressés pendant que d'autres résistent mal aux sirènes des médias. Il y a ceux qui craignent de perdre leur emploi et ceux qui succombent à l'enfer du jeu, à l'exemple des "baleines ", ces joueurs internationaux disposant d'une ligne de crédit de plusieurs millions de dollars dans tous les grands casinos du globe. Il y a les créateurs de start-up pour qui les journées sont trop courtes et ceux qui cherchent à s'évader du temps parce qu'ils ne s'imaginent plus d'avenir ou que le futur ne leur paraît plus supportable. Il y a les loosers, les perdants d'avance et les fonceurs, éternels insatisfaits qui veulent tout dominer et conquérir des territoires. Il y a la jeunesse pleine de projets, obnubilée par la réussite et les plans de carrière, et celle en mal d'espoir et d'aventure. Il y a les jeunes qui vont constituer le vivier dans lequel on puisera les cadres et responsables de la société du futur. Il y a ceux qui, à l'aube de la vie, n'ont plus de rêves et qui ont le sentiment d'être murés de toutes parts. Il y a ceux pour qui la logique du paraître s'impose avec toute sa rigueur ; et puis, il y a les autres. Il y a la jet-set dont les membres se disputent les places d'honneur dans les jets ; les milliardaires dont les yachts blancs rivalisent de longueur dans certaines marinas. Il y a le plus grand nombre qui souffre de conditions de travail et de vie sans intérêt, à l'horizon limité, borné et les bobos, c'est-à-dire les bourgeois bohèmes contemporains. Les bobos sont des jeunes gens bien éduqués, bien insérés dans leur époque qui ont remplacé les yuppies des années 80. Ils sont socialement aisés, mais aiment prendre le temps de vivre, de soigner leur corps et savent rechercher des valeurs authentiques. Il y a les gens de peu menant une existence banale, les petits, les exclus et les gens illustres, les nouveaux bourgeois. Il y a les assujettis à l'impôt sur la fortune et les travailleurs pauvres qui sans être au chômage ne bénéficient que d'un travail très précaire qui ne suffit pas à les mettre à l'abri de la pauvreté.

** Le temps passe et le monde se transforme !

Dans la société les équilibres se rompent, de nouveaux équilibres s’instaurent qui à leur tour laisseront place à d’autres. Les tonalités les plus marquantes du siècle qui se clôt sont les ambivalences du monde moderne et les clairs-obscurs de la condition des hommes.

Alors que jadis
c’était la société qui donnait sens à la vie des hommes l'examen des différentes dimensions de l'aventure humaine à l'aube du XXIe siècle permet de dégager différents canevas de compréhension de la société et de nos contemporains : abandon des dogmes traditionnels et des arguments d'autorité, mouvements d'émancipation et d'autonomisation des individus, chacun devenant son référent ultime.

Avec la fin des messianismes religieux et séculiers, la quête de sens est devenue plus individuelle. La société est marquée par le reflux des traditions et des conventions sociales. Ainsi, la phase actuelle du capitalisme peut être perçue comme le moment où toutes les sphères de la vie sociale et individuelle ont tendance à être réordonnées suivant les principes de l’ordre consumériste. Les sirènes de la marchandise ont tendance à l’emporter fréquemment sur les considérations culturelles et idéologiques structurelles jusqu’ici prévalentes dans nos modes de vie.

Même les territoires du sens n’en sortent pas indemnes. C’est dire que les rapports marchands touchent de nouvelles dimensions de la vie, de même qu’elles gagnent parallèlement de nouvelles régions du monde. La société consumériste globalisée devient de plus en plus l’horizon de nos vies.
Puisque les hommes dans leur ensemble sont attachés à la vie, puisque ce monde est tout, les hommes d'aujourd'hui veulent en tirer la satisfaction la plus grande.

♦️CARPE DIEM s'en tenir au temps présent.

Dans le film " Le cercle des poètes disparus " ( 1989 ), le professeur Keating, interprété par l'acteur Robin Williams, a contribué à populariser le fameux "Carpe Diem".
Le dernier plan du film, dans lequel ses anciens élèves désobéissent au nouveau professeur et montent sur la table pour lui dire "au revoir", est devenu une scène culte de l'histoire du cinéma.

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Carpe diem fait partie de ces adages qui semblent être particulièrement connus. C’est qu’il y a quelque chose dans cette expression qui nous parle. Comment interpréter cette invitation à profiter de l’instant présent ?

  C'est le poète latin Horace qui a écrit ce célèbre aphorisme dans le dernier vers d'un poème, où il résume ce qui précède. IOde à Leuconé.- 1.11 - Carpe diem
" Ne cherche pas à savoir, Leuconé, quelle fin les dieux ont assignée à l'un ou à l'autre. Cette connaissance nous est interdite. N'interroge plus ces nombres magiques venus de Babylone. Comme il est préférable d'accepter ce qui doit arriver, que Jupiter nous accorde encore bien d'autres hivers, ou que notre dernier soit celui-ci qui voit maintenant la mer Tyrrhénienne déferler sur les brisants du rivage.
Tu ferais bien mieux de remplir nos coupes de vin léger et de réduire tes lointaines espérances à la mesure de notre courte durée. Pendant que nous parlons, le temps jaloux a fui.
Cueille donc le jour présent, sans trop te fier au lendemain ".
Le poète veut y persuader Leuconoé, jeune fille qui souhaite vivre longtemps, que c'est le présent qui est important et que, même s'il est très probable qu'il lui reste encore de nombreuses années à vivre, elle doit pleinement profiter du présent, mais en gardant une saine discipline de vie et en ne remettant pas au lendemain les choses à faire.

Cette formule de fin de l'ode va être à l'origine de toute une tradition littéraire mais qu'on peut estimer souvent dévoyée.
Ainsi à première vue une certaine analogie semble apparaître, par exemple, avec le libellé d'un sonnet Sonnets pour Hélène (1578), II, 24 de Pierre de Ronsard.
" Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, ……….
Je serai sous la terre, et fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos; Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain; Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie."

Le « Carpe diem » devient invitation à aimer et  profiter de sa jeunesse, ce qu’il n’est absolument pas chez Horace, dont la tonalité est beaucoup plus sombre. L’assimilation de la jeune femme à la rose permet à Pierre de Ronsard d’évoquer la beauté éphémère de l’une et de l’autre, tandis que la Leuconoé d’Horace a acquis une sagesse plus mature, peut-être plus sensible aux complicités de l’instant.

Si Ronsard invite implicitement la belle à l’aimer, le poème d’Horace n’évoque pas l’amour et se présente plutôt comme une leçon.
Ces conseils de sagesse sont justifiés par des motifs de type religieux/ philosophique à prétention universelle.
D'aucuns ont pu montrer que pour Horace il s'agit de rappeler
- que l'existence humaine, limitée, dépend de la « destinée que nous ont faite les dieux »
- que l’avenir est de toute façon incertain mais la mort, elle, est certaine
- qu'on ne peut rien contre le temps qui passe et que se fier au lendemain c’est faire preuve d’inconscience.
En bref, les hommes n’ont qu’à se résigner devant l’ignorance du futur, ne pas vivre avec l’idée constante de la mort et vivre le présent en profitant de ce qui s'offre à eux.
Si
Ronsard fait du carpe diem une invitation à aimer, force est de constater que la vision d’Horace est plus pessimiste, plus sombre puisqu’il souligne l’impuissance des hommes face au temps et aux dieux.
On perçoit une influence épicurienne mais qui ne doit pas être confondue avec l'hédonisme.
Le sage vise donc un état de sérénité intérieure et corporelle dans la satisfaction de ses besoins nécessaires et naturels. Il s’agit donc de se contenter des plaisirs simples que la nature peut nous apporter.
Epicure distingue en outre les plaisirs naturels et nécessaires que l’on doit satisfaire ( répondre à la faim et à la soif, se protéger du froid, manger, boire, dormir ainsi que les plaisirs de l’esprit) 2 des plaisirs naturels et non absolument nécessaires (ex boire du vin à la place de l’eau) ou 3 encore des plaisirs non naturels et non nécessaires, des désirs"immenses et creux" qui nous plongent dans l'artifice (ex: richesse, gloire= la société consommation dans notre vocabulaire actuel) qui maintiennent finalement l’homme dans l’agitation et l’insatisfaction parce qu’ils ne connaissent pas de limites.
La peur de la mort doit être vaincue non seulement par le fameux raisonnement ( lorsque la mort est là, l'être n'est plus là ; lorsque l'être est là, elle n'est plus là ) mais aussi par des exercices de sagesse.
On a pu dire qu'Horace s'intéressait à l'épicurisme, le vrai, pas celui auquel on pense aujourd'hui lorsqu'on parle d'un épicurien, une personne qui ne songe qu'au(x) plaisir(s) et sait pleinement en profiter. Car si on se rappelle quelques citations d'Épicure, on comprend bien que l'épicurisme est une doctrine de la frugalité, il faut se contenter des satisfactions les plus simples et les plus naturelles. sa doctrine est, de nos jours, plutôt dévoyée. Autant dire que la vision du plaisir d'Épicure, plaisir d'ascète plus que d'épicurien moderne, n'était pas tout-à-fait identique à celle qu'on croit en général.

L'expression " carpe diem ", formule de clôture du poème, séparée de l'ensemble du texte fait l'objet d' interprétations différentes.
Comprise comme une incitation à l'hédonisme le plus extrême elle tend à s'écarter du texte original qui, s'il incite incite à profiter du présent puisque l'avenir est incertain sans s'inquiéter de l'heure de la mort. La vie est brève ; il ne faut pas gâcher le temps qui s'échappe, en pensant à un lendemain moins agréable. S'il s'agit pour Horace de faire prendre conscience de la fuite du temps il ne s'agit pas pour autant de se départir de toute discipline de vie ; il y a chez l'auteur une tonalité beaucoup moins hédoniste qu'on ne le pense ordinairement.

  1. Contrairement à l'emploi moderne de cette locution invitant à l'insouciance et au plaisir devant la totale impuissance humaine devant les événements de la vie la seule liberté laissée à l'homme c’est de profiter du présent. Il s’agit bien d’une attitude de résignation mais que le poète cherche à rendre positive en insistant sur l’aspect actif qu’elle implique :  si la fuite du temps est impossible à arrêter, loin de désespérer, il faut jouir de ce qui est donné.

Aujourd'hui, le carpe diem est davantage vu comme une incitation à jouir du moment présent sans contraintes ni retenue.

L’interprétation la plus courante de l’injonction carpe diem est alors celle qui nous invite à profiter du moment présent sans discernement. Carpe diem est compris dans ce cas comme invitation aux plaisirs et à la volupté, en dépassant les barrières habituelles qui font obstacle à la jouissance. Il serait ainsi compris comme la réaffirmation de soi, comme un retour à un épanouissement individuel voire purement égoïste qui secoue le joug de la société et de la morale pour enfin se faire plaisir. Contre les obligations diverses qui nous étouffent, contre la morale, les lois, les règles sociales ou encore les convenances, il n’y aurait plus que le moment présent qui compterait.
Là où l’ascèse nierait la possibilité d’un quelconque épanouissement dans cette vie, carpe diem nous inviterait alors à être heureux maintenant. La jouissance qui perdure grâce à notre insatiabilité serait alors la définition même du bonheur.
Avoir conscience de la possibilité de la mort, sans être angoissé par elle, permettrait de se rendre compte du caractère éphémère de toute existence et impliquerait par conséquent de savourer d’autant plus toutes les joies de la vie. Prendre conscience du caractère éphémère de la vie pour profiter davantage de tous les plaisirs que le présent nous procure, voilà donc ce qui semble être le premier enseignement de l’adage carpe diem. Se recentrer sur l’instant présent pour en profiter, tel semble donc être l’exigence à laquelle nous enjoint carpe diem.
 

Un philosophe comme Comte-Sponville rappelle dans son "dictionnaire philosophique" que " le climat de l'ode en est plutôt mélancolique que frivole". Il précise : "Je ne sais si Épicure, qui se méfiait des poètes, aurait reconnu dans ces vers, si doux, si graves, si vrais à leur façon, sa lumineuse sagesse. Ni si nous pouvons, malgré leur beauté, en tout cas en latin, y adhérer tout à fait. Vivre dans l’instant ? Nul ne le peut. Vivre au présent ? C’est le seul chemin, puisqu’il n’y a rien d’autre. Mais le présent n’est pas un instant : c’est une durée, qu’on ne peut habiter humainement, montrait Épicure, sans un rapport délibéré au passé et à l’avenir. Jouir ? Le plus possible. Mais cela ne nous dit pas quoi faire de notre vie quand elle n’est pas agréable, quand la douleur ou l’angoisse nous emportent, quand le plaisir est différé ou impossible… Qui peut croire que la sensualité, aussi délectable soit-elle, suffit à la sagesse ? Cueille le jour, donc, mais ne renonce pas pour autant à l’action, ni à la durée, ni à ces plaisirs spirituels qu’Épicure, à la fin de la Lettre à Ménécée, appelait « des biens immortels ».

 Alors interprétation radicale sans retenue de carpe diem ou interprétation modérée avec discernement plus conforme à l'esprit premier de l'adage ?



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