DE L'AVENTURE DE L'EXISTENCE :
Le temps nous emporte et nous consume !
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" Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame
Las ! le temps non, mais nous nous en allons."
Pierre de Ronsard. Sonnet à Marie.

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Cette histoire du temps n'en finit pas de m'interpeller et même de me tracasser.
L'homme marche sur une route incertaine, harcelé par le doute : y-a-t-il une autre forme de vie après notre sortie hors du temps ou n'y a-t-il rien du tout ? Un halo de mystère entourant la destination finale de l'être humain et c'est difficilement soutenable.
 Puisque l'aventure humaine se déroule à l'ombre de la mort, elle s'accompagne nécessairement, du point de vue individuel, de la question du sens de la vie.  L'idée que chacun se fait de la mort informe sa vision du monde. 
Pendant des siècles les hommes ou presque tous les hommes ont cru à des dieux ou à Dieu. Bien sûr il y a eu toujours des esprits assez forts pour mettre en doute l'existence d'une puissance extérieure à ce monde et au temps ; ils étaient peut-on penser une minorité…Nietzsche a proclamé la mort de Dieu ; le goulag, la Shoah, tous les camps de la mort de triste mémoire, en bref les horreurs du siècle ont pu rendre perplexe quant à l'existence de Dieu.
Depuis les trois derniers siècles surtout la science tend à prendre la place de la Providence qui avait régné sur le monde. Elle tend à se substituer à l'être divin pour fournir des réponses aux interrogations que les hommes se posent. Dieu est de plus en plus fréquemment mis de côté
.
La barque de la vie restera soumise aux aléas du temps. Alors qu'est-ce que la vie, sinon un ensemble de flux et de reflux, de peines et de joies, de soucis et de plaisirs différents selon l'âge et la condition sociale. La vie est une aventure plus ou moins courte avec ses moments de bénédiction et d'affliction. Que sa vie ait été remplie de délices ou que les maux l'aient emporté l'homme sera obligé de la quitter pour retourner à la terre d'où il a été tiré.
La condition humaine est marquée par le temps. C'est le lot de quiconque et personne ne peut arrêter son cours. Cette assertion qui a la banalité de l'évidence, chacun la redécouvre à un moment ou l'autre de son existence. L'image de la dernière dépêche tuant la précédente qui s'était elle-même substituée à une autre traduit avec force le temps qui passe et échappe. Quoi qu'il en soit qui n'a jamais éprouvé le vertige du temps qui s'enfuit trop vite et qui consume sournoisement de l'intérieur ?

L'homme est son corps emporté par le temps. C'est par lui que l'individu s'exprime et entre en relation avec les autres. Par la mort ce corps cessera de l'affecter ; il n'exprimera dorénavant plus rien.

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Détail d'un tombeau d'Archevêque, 1514
Cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur, Narbonne, Aude.

Toute existence humaine est marquée par la traversée de la souffrance et de la mort. L'homme naît, est de son temps et subit les outrages du temps ; un jour le temps lui redemande sa vie, et il finit par passer un jour du temps. Ainsi, la vie mène tout droit à la mort.
Que le temps passe est de l'ordre de l' évidence ; une évidence ressassée sans fin mais elle reste néanmoins toujours aussi brutale et cruelle qui se résume en quelques mots : tous les hommes mourront puisqu'ils sont nés. Vivre c'est aussi devoir mourir. Les êtres vivants meurent parce qu'ils sont venus à l'existence et ils se reproduisent parce qu'ils vont mourir. Les enfants se dépêchent de devenir parents à leur tour… Les hommes sont jetés dans le temps pour une durée limitée, avec des ambitions et des rêves sans limites et des moyens eux bien souvent limités.
Chaque génération au soir de l'existence, devant la fin de ses illusions, prend conscience de l'avenir fermé qui lui paraît soudain bien triste et chaque génération nouvelle se jette dans la vie, tout à la fois avec ses projets et ses rêves en même temps que ses œillères vers l'aventure rêvée de l'existence vouée comme toujours et comme toutes les autres générations qui les ont précédées vers la réussite pour quelques-uns ou plus souvent la perte des illusions pour le plus grand nombre. La vie est vouée à l'échec puisqu'elle débouche sur la mort.
En bref, la vie c'est la mort programmée. Les hommes comme tous les êtres vivants disparaissent parce qu'ils vivent ; ils se reproduisent parce que à échéance plus ou moins lointaine, quoique certaine, ils vont devoir quitter la scène du monde. Les liens entre l'amour, la vie et la mort sont étroits. Le triomphe de la vie interfère en permanence avec le triomphe de la mort. Après avoir vécu tous les évènements de leur vie avec en toile de fond la menace de leur propre mortalité, ils quittent à jamais le présent pour entrer dans le passé. Ils ont vécu goûtant les joies simples de la vie et supportant ses aléas. Ceux qui sont disparus se trouvent soustraits au temps ; il en a été, certes, toujours ainsi.
C'est un grand bonheur de traverser furtivement l'univers et le temps, vivant des printemps qui, au gré de la jeunesse ne passent pas assez vite et des automnes toujours trop fuyants pour les personnes dont la trajectoire vitale est marquée par le déclin.
C'est souvent aux approches du soir de l'existence que se présente avec le plus d'acuité la question du sens de notre parcours terrestre. Encore peut-on soutenir que l'interrogation sur l'existence n'a de sens que pour un être qui peut prendre sa propre vie en main. Ceux qui doivent lutter pour leur survie quotidienne ne s'interrogent pas sur le sens de leur vie ; ils tentent simplement de survivre au jour le jour.

Mais hier et aujourd'hui l'air du temps n'est pas le même ; la différence de vision du memento mori en témoigne.

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Eglise Notre-Dame d’Antigny, Vienne.

Sur le mur nord de l'église, on peut observer «  le Dict des trois morts et des trois vifs », trois élégants jeunes et riches chevaliers à cheval partent à la chasse avec leurs chiens et leur faucon. En chemin ils rencontrent près d’une croix de cimetière trois cadavres putrides grouillant de vers. Les trois vivants sont terrifiés par cette rencontre au cours de laquelle les morts leur rappellent combien la vie est brève et les invitent à se préoccuper de leur salut. La mort te crie de son sépulcre : « Ce que tu es, je le fus, ce que je suis, tu le seras » (saint Césaire d’Arles, sermon au peuple ). Richesse, honneur et pouvoir sont dépourvus de valeur au moment du trépas.

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A notre époque le memento mori serait plutôt une justification du retour au plaisir présent. On dirait plus généralement qu'être angoissé par la mort ne peut que conduire à ne pas profiter de la vie. Mais ne pas prendre conscience de la possibilité de la mort risque également d'éloigner de la nécessité du plaisir présent. Se souvenir de l’imminence de la mort ne devrait alors pas conduire l'homme au désespoir mais au contraire à la valorisation du moment présent et du plaisir.

Aujourd'hui les recommandations relatives à l'idée de la mort seraient plutôt d'un tout autre ordre. A suivre les publicités des officines funéraires nous sommes invités à préparer nos obsèques financièrement pour éviter tout souci à nos proches, voire de choisir entre inhumation et crémation. En bref, ne serait-ce pas surtout que les relations marchandes touchent de nouvelles dimensions de l'existence…

De tout temps l'homme sait qu'il doit mourir. Nul ne l'ignore mais à chaque instant on le cache à soi-même. La mort un jour, oui un jour puisque c'est inévitable…mais un jour éloigné, on a encore de si nombreuses choses à faire…
Semblant parfois si lent, si long, le temps paraît inépuisable, pourtant il est bien fuyant et passe trop vite … Un jour l'homme fait une pause et découvre qu'il n'y a plus guère de temps qui le sépare de la fin de sa trajectoire vitale…
Le temps est le plus rare de tous les biens, il ne faut pas le gaspiller et le perdre faute d'en tirer judicieusement parti.

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