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Consommation et modes de vie
Consommation et modes de vie
  • © Décembre 2022 joël jalladeau Courriel 0

Consommation et modes de vie


VERS DES MODES DE VIE ALTERNATIFS :
inflexion ou nouveaux modèles… ?



Cette étude menée de la fin du XIXe à ce début du XXIe siècle rappelle l'évolution des modes de vie et des thèses qui essayaient d'en rendre compte.
Le capitalisme sauvage de "l'âge doré" américain faisait, il y a un siècle, l'objet des pénétrantes analyses vebleniennes de la classe de loisir. La logique des signes démonstratifs demeure au travers de ce qu’on appelle le « bling bling » ou le « show off ». Et la contrefaçon des produits de luxe est devenue une industrie…ce qui est valorisé par l'acquéreur de biens contrefaits c'est le seul prestige associé à la marque particulière et non pas les caractéristiques intrinsèques qui sont normalement attachées au produit de luxe. En d'autres termes, en achetant à bas prix un bien de contrefaçon de faible qualité le consommateur cherche à acquérir les seuls éléments statutaires associés au bien en question.
La logique statutaire de la consommation reste forte en dehors même des pays du Nord ; de récentes études empiriques menées dans certains pays émergents révèlent aussi son existence. Toutefois le rôle majeur de la dimension ostentatoire énoncé dans la théorie de Veblen n'est plus au premier plan dans les sociétés de la modernité, c'est davantage en filigrane qu'elle demeure.
Gilles Lipovetsky insiste sur cette «
inflexion» qu’il convient d’apporter aux théories de la consommation ostentatoire de Veblen et de la distinction de Pierre Bourdieu.
L’époque de l’hyperconsommation coïncide avec le triomphe d’une consommation plus émotionnelle que statutaire, plus ludique que prestigieuse. C’est cela l’hyperindividualisme dans la consommation : moins de distinctif mais plus de recherches sensitives, distractives ou expérientielles.
La sortie de la société de l’hyperconsommation n’est pas gagnée d’avance pas plus que la diminution de l’impact de nos excès sur l’environnement. Gilles Lipovetsky " Face aux problèmes gigantesques qui s’annoncent, il est impératif d’investir plus que jamais dans la recherche scientifique et l’innovation technique, afin de trouver des instruments capables de concilier progrès économique et développement soutenable. Nous devons, non pas casser la dynamique de la croissance, mais l’accélérer. Hors de cette perspective, on est dans le rêve et l’illusion… Du coup, le défi qui est le nôtre est de concilier logique d’accélération technoscientifique (synonyme de progrès matériel) et logique de décélération (synonyme de qualité de vie), mais aussi développement durable et développement humain : ce doit être notre idéal pour le XXIe siècle. Ce défi est herculéen." ( Propos recueillis par Marie Drique et Jean Merckaert, Revue projet 2016/6 ).

En tant que débouché ultime de l'activité productive, la croissance continue de la consommation est nécessaire à celle de l'économie dans son ensemble. La consommation sert également de béquille idéologique au capitalisme, en lui fournissant une légitimité fondée sur la promesse du bonheur par l'accès aux félicités consommatrices. Les effets négatifs de l'hyperconsommation sont de plus en plus visibles notamment pour la planète. Après le succès des " limites de la croissance"- rapport Meadows tombé ensuite largement dans les oubliettes - la pandémie mondiale du Covid-19 ouvre au XXIe siècle une profonde vague de changements bousculant tant les vies personnelles que les sociétés dans leur ensemble.
Le monde à venir sera différent du monde d'aujourd'hui. Il est probable que les populations seront toutes, à des degrés divers, des eco-consommatrices ayant intégré l'impératif de lutter contre la pollution, de réduire l'empreinte carbone de nos modes de vie.
En réponse à la crise écologique planétaire générée par un puissant système de production/consommation des alternatives à l'hyperconsommation voient le jour : depuis les simples aménagements pour assurer une transition en exaltant au plan individuel une sobriété choisie fondée sur la réduction volontaire de l'achat de biens matériels jusqu' à celles évoquant la nécessité au niveau collectif d'un nouveau modèle économique.

Les campagnes de communication en faveur des éco-gestes, qui pourraient réduire l’empreinte écologique du mode de vie de tout un chacun, sont les modes d’intervention privilégiés par l’action publique. Ces approches, nationales et internationales, postulent que le levier de la transition attendue se trouve dans l’incitation comportementale au niveau individuel.
Encore faudrait-il que tout le monde fasse des efforts ; or, un certain nombre de comportements ne passent plus ( déplacements inconsidérés de milliardaires en jets privés par exemple ). Le Laboratoire sur les inégalités mondiales notait que les 10% les plus riches de la planète émettaient près de 48% des émissions mondiales en 2019, tandis que la moitié la plus pauvre en émettait seulement 12 %. En plus de la dimension écologique polluante de leur mode de vie les plus aisés diffusent des pratiques de consommation d'opulence matérielle. Si les pratiques sociales divergent évidemment il n'en reste pas moins que les images du bonheur marchand sont surconsommées le système référentiel finissant par s'imposer à tous par les médias
. Du fait de la mondialisation des référents culturels " dans chaque pays, les groupes sociaux visent à copier le style de vie de l'oligarchie locale, mais celle-ci prend comme modèle l'oligarchie des pays opulents, et particulièrement de celle du plus riche d'entre eux, les Etats-Unis "( Hertvé Kempf, 2020, p.85 ). Reconsidéré l'effet d'imitation veblenien n'est pas loin… A l'époque contemporaine la notion d'équité étant vigoureusement ressentie l'exemplarité est, à tous les niveaux, exigée. Comment demander de fournir des efforts individuels et collectifs alors que certains échappent à toute forme de régulation ?

Faire du mode de vie durable un enjeu ne peut se limiter à promouvoir des pratiques vertueuses, quand bien même il y a une valeur éducative à marteler des messages comme le « zéro déchet », les circuits courts, le recyclage, la seconde main, les cantines bio, le covoiturage etc. En restant focalisées sur la croyance que le changement est enclenché par les préconisations ciblant les comportements, les politiques actuelles sur la transition laissent
la dynamique enclenchée au milieu du gué ( Bruno Maresca ). Elles ne sont pas suffisantes à elles seules pour établir de nouvelles normes collectives jetant les fondations d'une révolution structurelle du mode de vie. Le recul montre qu’on ne transforme pas le mode de vie par la seule accumulation de pratiques vertueuses laissées à l’initiative de chacun. Des moments qui ont fait date comme le premier confinement suivant le Covid 19 ont démontré que si les populations s’adaptent à la contrainte elles tendent à reprendre leur cours précédent quand la pression se fait moindre. Le premier réflexe est de pousser au retour du fonctionnement antérieur du système ancien.
Dans cette optique l'expression" transition écologique " - souvent utilisée - ne correspond pas à la dimension du problème posé ; il est nécessaire d'inventer un autre modèle et non seulement de perfectionner l'ancien avec des énergies différentes. Il s'agit moins de penser transition que d'élaborer un modèle proposer une bascule totale, radicale ayant du sens pour la planète entière.
Pour se faire c
e ne sont pas seulement des modifications de comportements à l’échelle des ménages qui sont nécessaires mais des changements structurels. La transformation du mode de vie passe par des révolutions structurelles avant d’être entrainée spontanément par les pratiques : il faut savoir où l'on va, avoir un projet. En reprenant les termes de Bruno Maresca du CREDOC il faut, pour cela, commencer par placer la réflexion sur le mode de vie au centre de l’action opérationnelle, aux divers niveaux : non seulement à l'échelle des ménages ( éco-gestes ) mais au niveau des pays et des régions ainsi qu'à l'échelle des actions collectives dans les territoires locaux.
Au plan local on peut penser à la permaculture, aux circuits courts, aux éco-quartiers. Ces derniers sont des initiatives locales autour de la low tech - basse technologie - se caractérisant par la mise en œuvre de technologies simples, peu onéreuses, accessibles à tous et facilement réparables, faisant appel à des moyens courants et localement disponibles dont la réutilisation ou le recyclage d’objets et/ou de matériaux usuels. De par sa conception, l'eco-quartier devrait réduire la distance et les temps d'accès en favorisant l'utilisation des modes doux ( transports en commun, vélo, marche à pied). A cela s'ajoutent d'autres caractéristiques : réduction des consommations énergétiques, choix des matériaux de construction, limitation de la production de déchets, réduction des consommations d'eau, soigner la bio-diversité …L'exemple des villes en transition est peut-être la forme de construction par le bas de ce qui se rapproche le plus d'une société de décroissance petits exploitations agricoles paysannes autosuffisantes et ateliers artisanaux urbains
Parce qu'il sera difficile d'avancer les uns sans les autres le modèle à créer ne devrait-il pas être mondial et s'appliquer à l'échelle planétaire? La tendance nécessaire à l'uniformisation de l'espérance de vie sur le plan mondial, l'unification en cours de l'Humanité et la solidarité écologique qui contraint notre avenir ou notre absence d'avenir obligent à se placer au niveau des grandes aires géopolitiques et même à l'échelle planétaire. Les pays à démographie élevée remettent en cause les propositions des vieux pays industrialisés, très polluants mais peu peuplés.Tant de pays et de populations sont d'abord à la recherche du développement, d'une espérance de vie comparable à celle des pays développés. Les mêmes défis au nouveau modèle économique attendent les pays pauvres comme les territoires développés : allier développement tenable à long terme, durable. Les pays pauvres, en première ligne des impacts dévastateurs d'un réchauffement dont ils ne sont pas responsables n'accepteront pas de rester à l'écart des promesses du bien-être matériel.
S'il est certain que l'impératif écologique devrait irrésistiblement modifier les modes de vie, remodeler l'offre marchande mais la mutation en cours ne se coulera pas seulement dans le moule de l'austérité volontaire ; toutefois la réponse est loin d'être évidente ; la voie est étroite pour rassembler des individus, groupes, pays riches et pauvres et la montée en puissance de la Chine et plus largement de l'Asie sans oublier l'Afrique vers un mode de vie dans sa globalité interrogé et repensé.

Timothée Parrique nous prévient, dans un titre électrochoc, qu'il faut "Ralentir ou périr " et Serge Latouche , de son côté, nous invite à relever le défi et à tenter le pari de la décroissance afin de s'engager dans la voie d'une transition en vue de parvenir à un modèle économique alternatif d'une société de post-croissance.

Dans une autre perspective, nombreux sont les essayistes qui estiment qu'à l'échelle de la planète il n'existe pas de véritable solution en dehors de l'investissement dans la recherche, l'innovation et les avancées technologiques. ( Gilles Lipovetsky, pourra dire que " Le monde techno-scientifique n'est pas le grand Satan : aucun avenir meilleur ne sera possible sans la médiation de l'artifice technique humain" ( 2021, p. 415 ) ; il faut donc accélérer l’innovation et la recherche.

Pour sa part, Philippe Dessertine a avancé avec enthousiasme un certain nombre de propositions fondées sur les avancées scientifiques,
sur la consommation accrue de productions immatérielles venant ainsi compenser la réduction nécessaire de produits matériels.

Timothée Parrique ferait alors remarquer que " le progrès technique ne vient pas magiquement résoudre tous les problèmes du monde; c'est une pratique encastrée dans un système économique qui prédétermine le choix des innovations qui seront développées"p.258. La décroissance n'interdirait pas l'innovation mais en modifierait le contenu puisque c'est tout un mode de vie à profondément renouveler.
Le recours aux combustibles fossiles qui ont modelé la civilisation industrielle étant synonyme d'émission de gaz à effet de serre et de pollution, il est urgent de trouver une nouvelle source d'énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pérenne et disponible. L'énergie de demain sera sans aucun doute l'électricité. Reste encore à savoir comment la produire en quantité suffisante pour la planète entière. Si les systèmes de production d'énergie renouvelables (panneaux solaires, éoliennes…) se multiplient, elles présentent encore de sérieuses limites: nombreux se tournent vers le nucléaire. Mais s'il permet de produire une énergie zéro carbone, les différents accidents majeurs et le casse-tête des déchets nucléaires cristallisent néanmoins les critiques d'une partie de la population et de certains scientifiques. Bill Gates et Elon Musk, en cette fin septembre 2022, annoncent un nouveau Graal : les premiers réacteurs à fusion nucléaire pourraient être disponibles vers 2030 , "une énergie totalement propre, illimitée ". En tant que nouvelle option énergétique non émettrice de carbone et non productrice de déchets nucléaires de haute activité à vie longue, la fusion répond aux défis que représentent le maintien des grands équilibres climatiques, la disponibilité des ressources et la sûreté. Toutefois on peut penser qu'un mix énergétique dans les prochaines décennies devrait reposer sur une large variété de sources d'énergie différentes ( éoliennes, panneaux , géothermie…).

Les prochaines décennies sont d'une importance capitale pour la mise en place d'une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La neutralité carbone vers 2050 suppose des transformations structurelles de l'économie, les changements de comportements individuels, si radicaux soient-ils, n'y suffiront pas ; un niveau collectif d'action d'innovations technologiques est nécessaire de ème que des politiques publiques ambitieuses et originales du climat, de l'air, de l'énergie. Cette recherche d'un nouveau modèle va se heurter à la force conservatrice du système ancien ; elle ne séduit ni les politiques en place, ni ceux qui détiennent une partie du pouvoir attachée au modèle d'avant alors même qu'elle devient une nécessité pour une grande part de l'humanité. Dans une société archipelisée ( Jérôme Fourquet, 2019, p. 369 ) au sein de laquelle les grandes consciences collectives assises sur des certitudes idéologiques ne sont plus ce qu'elles étaient, la lutte contre le dérèglement climatique n'est pas jouée si les pouvoirs publics ne se mobilisent pas.
Le développement tel qu'il a cours actuellement est de façon dominante espérer perdurer tant pour les industriels que pour la plupart des politiques et un grand nombre d'économistes.
Une voie alternative se heurtera toujours à des coalitions d'intérêts
( le lobby des plus grandes firmes transnationales ) et des résistances même de la part des victimes dont le changement bouscule les habitudes de vie et de pensée. En raison des fortes aspirations mondiales à l'amélioration du bien-être matériel, aspirations d'ailleurs sans cesse relancées par les innovations systématiques de l'univers économique, sortir de sociétés du bien-être matériel alimenté par la consommation au bénéfice de sociétés nouvelles du bien-être ne sera pas simple. Malgré les catastrophes écologiques présentes et les avenirs catastrophiques annoncés nos sociétés, ayant lié leur destin à une organisation fondée sur l'accumulation illimitée, populations et responsables gouvernementaux animés par une forme d'optimisme suicidaire, continuent toujours à regarder ailleurs.

Demain l'impératif écologique va irrésistiblement remodeler l'offre marchande, les manières de consommer, en bref les modes de vie. Si la ligne de la plus grande pente est estimée devoir changer radicalement de cap pour faire face à la situation historique nouvelle où l'humanité devrait penser différemment son rapport à la nature et à son avenir.
- Si l'alliance de l'efficience et de la sobriété s'avère pour le moins incontournable, des choix tant dans le domaine des politiques publiques et des comportements personnels à tous les niveaux sont nécessaires. Au regard de l'importance des défis posés par le dérèglement climatique, la pollution atmosphérique, la croissance démographique, le combat en vue de la transformation des modes de vie dépasse de beaucoup les petits gestes individuels éco-citoyens, si souhaitables et nécessaires soient-ils. De considérables changements dans le monde de l'entreprise, dans les modes de production et de circulation sont à réaliser.
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La frugalité heureuse peut-elle valoir en dehors de minorités fortement engagées idéologiquement et être une solution crédible pour les milliards d'individus qui peupleront la planète ?
Si c'est un véritable basculement de modèle économique qu’il faudrait faire émerger les profondes et nécessaires transformations seront difficiles à assumer tant par les populations que par les décideurs, les instances gouvernementales. Si la voie politique est étroite et difficile à l'échelle d'une nation on imagine aisément ce qu'il pourrait en être au niveau des grandes aires géopolitiques et à l'échelle planétaire…
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La recherche de voies alternatives au matérialisme consommatoire est de l'ordre du défi héroïque. Pour éviter les cataclysmes écosystémiques les quelques pièces versées au dossier montrent en tout cas que de grands débats publics - qui n’ont le plus souvent pas encore saisi l’ampleur des défis qui attendent chaque société et l'humanité entière - devront avoir lieu.

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