Eglises romanes de Castille (II)
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Le cloître de Santo Domingo de Silos
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Le chemin de Silos


Pour le voyageur venant de France, il y a deux façons d'arriver à Silos. Par exemple en venant de Pampelune, Logroño, ou bien en descendant vers le Sud à partir de Vitoria, on franchit la Sierra de la Demanda en direction de Sala de los Infantes. C'est le trajet des amateurs de solitude et de nature sauvage. Les montagnes recèlent, dans les rares villages, des trésors romans: les églises à galeries-porches de Pineda, Canales, Vizcainos, Jaramillo, et la merveille wisigothique de Quintanilla de las Viñas, - chacune méritant qu'on retarde, pour la contempler, l'arrivée à Silos.

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Le paysage de la meseta vers Silos.

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La route, en venant par Sala de los Infantes. Il faut passer par des gorges pour atteindre Silos.

Mais l'on peut aussi venir de Burgos, quitter la route de Madrid à Saldaña et passer par Cuevas de San Clemente puis Covarrubias.


Dans la montagne s'ouvre la petite vallée de Tabladillo où se trouve Santo Domingo de Silos, bien annoncé sur les routes, à la fois sur le
Camino del Cid, et sur le Chemin de Saint-Jacques venant du Sud qui rejoint le Camino Francés à Burgos.

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Le cadeau après la route: le cloître et le grand cyprès planté par les moines de Ligugé à leur arrivée en 1880

Histoire du cloître de Santo Domingo de Silos


Au Xe siècle, au cours de la Reconquête, Le comte de Castille, Fernán Gonzalez, s'avance au Sud-Est de Burgos. Il croit voir une mosquée et décide d'y pénétrer à cheval avec sa troupe... et comprend qu'il vient de profaner le monastère de San Sebastian. Il fait aussitôt arracher tous les fers des chevaux qui sont entrés dans l'église pour qu'ils soient accrochés aux murs en ex-voto.

Ce récit, peut-être légendaire, met néanmoins l'accent sur une réalité: des monastères wisigothiques et des villages chrétiens ont survécu – parfois plusieurs siècles – sous la domination musulmane. Le monastère de San Sebastian était un de ces foyers chrétiens, dépendant du diocèse d'Osma, dont les évêques n'ont cessé d'échanger des lettres avec les rois d'Oviedo.

Le comte Fernán Gonzalez renonça à sa souveraineté sur les terres conquises dans la vallée de Tabladillo au bénéfice de l'abbaye, encouragea la restauration des bâtiments et y promut la Règle de saint Benoît. La vie religieuse se maintint à la fin du Xe siècle, malgré les razzias particulièrement sauvages du chef musulman Almanzor sur la région. Puis Silos connut une phase de décadence, au point qu'un second monastère, San Miguel, fut créé pour les moines qui avaient renoncé à l'observance de la Règle!

La réforme fut entreprise par un prieur de San Millan de la Cogolla, Domingo, venu de Navarre jusqu'à la cour de Castille avec une réputation de sainteté. Le roi de Castille, Fernando I, l'envoya à Silos en 1041. A la fois très proche des paysans les plus humbles et très estimé à la cour, son oeuvre dépassa très largement le cadre du monastère. Il se consacra, entre autres, au rachat des captifs, question de la plus haute importance en cette période de lutte contre les Maures. Les chaînes et les fers des prisonniers libérés par Domingo recouvraient les murs de l'abbatiale. A Silos même, la réforme morale s'accompagna de travaux de reconstruction et d'agrandissement qui se poursuivirent jusqu'au XIIe siècle.

Lorsque Domingo mourut en 1073, il fut enterré dans le cloître. Sa pierre tombale reposait sur trois lions que l'on peut voir encore de nos jours. Trois ans plus tard, en raison de l'afflux des pèlerins, ses reliques furent transférées dans l'église, et sa canonisation, à laquelle procéda l'évêque de Burgos entouré de tous les prélats et abbés de Castille, fut présidée par le roi Alfonso VI.

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Les lions romans de la tombe de santo Domingo de Silos.


La pierre tombale est gothique. Après une translation dans l'église, le tombeau a été replacé dans le cloître.

La dévotion au saint de Silos s'étendit à toute l'Espagne et les dons affluèrent. Parmi les donateurs, il faut citer Don Rogrigo de Vivar (le Cid Campeador) et son épouse doña Jimena, qui offrirent à Silos deux villages et leurs terres le 12 mai 1076.


Le successeur de Domingo, l'abbé Fortunio, poursuivit les travaux au cours de son abbatiat (1073 – 1116). L'église et le cloître achevés, la consécration fut célébrée le 29 septembre 1088 par le cardinal Ricardo, connu pour avoir participé activement au remplacement mal accepté de la liturgie wisigothique par la liturgie romaine. Domingo avait allongé l'église wisigothique, mais les pèlerins venant prier sur le tombeau du saint devenaient trop nombreux, et Fortunio dut entreprendre de nouveaux travaux pour permettre le bon déroulement des cortèges et processions.

La réalisation du cloître connut deux grandes étapes:

  • Fin XIe – début XIIe siècles: les galeries Est et Nord, ainsi que le début de la galerie Ouest, pour les chapiteaux desquelles travailla le premier maître de Silos, qui sculpta également six des huit grands reliefs qui se trouvent sur les pilliers d'angles.
  • Des travaux plus lents eurent lieu ensuite pour terminer le cloître. Le style change à partir du chapiteau n° 38 de la galerie Ouest (Annonciation, Visitation, Bergers, Fuite en Egypte). Le second maître de Silos prend alors le relai. Le cloître est achevé vers le milieu du XIIe siècle avec les deux grands reliefs de l'Arbre de Jessé et de l'Annonciation, caractéristiques de la transition entre le roman et le gothique.

Sur le plan administratif, une décision capitale fut prise par l'abbé Juan I en 1118: il plaça le monastère sous l'autorité directe du Saint-Siège. Le 7 novembre de la même année, le pape Gélase II reconnaissait aux abbés de santo Domingo de Silos une égalité juridictionnelle avec les évêques d'Osma et de Burgos. Cela permit à Silos d'échapper à l'influence grandissante de Cluny en Espagne, de demeurer profondément "castillan" dans l'esprit et la culture et d'accroître sa propre influence dans la péninsule... sans parler de sa richesse. Au début du XIIIe siècle, Silos atteindra l'apogée de sa splendeur. C'est à cette époque qu'est édifié le second étage du cloître, en raison, sans doute, du nombre croissant de vocations monastiques. A ce propos, il convient de remarquer que, bien qu'on fût au temps de l'arc brisé, les bâtisseurs ont eu un souci tel de l'harmonie qu'ils ont doté le niveau supérieur d'arcs en parfait plein cintre, rigoureusement identiques à ceux du niveau inférieur.

S'ensuivit une période de décadence due aux abbés commandataires, et il fallut attendre le rattachement de Silos à la Congrégation de Saint Benoît de Valladolid, qui réforma la vie monastique dans toute l'Espagne, pour que l'abbaye retrouvât l'observance de la Règle et connût à nouveau la splendeur.

Hélas, au XVIIIe siècle, l'abbatiale romane a été presque entièrement détruite pour faire place à une bâtisse froide, sans âme, sans intérêt, en grande partie oeuvre d'un illustre architecte, Ventura Rodriguez (1717 – 1785). Par chance, l'impécuniosité des moines les empêcha de faire détruire aussi le plus beau cloître roman d'Espagne. Nous ne pouvons dire que cela tient du miracle puisque leur ruine salvatrice était due au coût du massacre de l'église.

En 1835, pendant la première guerre carliste, Mendizabal, franc-maçon, d'abord ministre du Trésor, puis premier ministre, procède à la confiscation d'abord partielle puis totale des biens du clergé. Hasard des dates ou mystère de l'Histoire profonde, les monastères espagnols – et donc Silos – doivent fermer leurs portes cette année même où, en France, Dom Guéranger restaure l'ordre bénédictin et rétablit la vie monastique à Solesmes... Or ce furent des moines de la congrégation de Solesmes, dans l'impossibilité de poursuivre leur vie monastique du fait des lois de Gambetta et de Jules Ferry, qui partirent de Ligugé pour l'Espagne afin de restaurer à leur tour la vie bénédictine à Santo Domingo de Silos. Une fois de plus, le diable porta pierres.


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