DE LA TRANSFORMATION INTERIEURE :

PREMIERES ENTRAVES AU DEVELOPPEMENT DE LA SPIRITUALITE

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De tous temps, sa nature composite - corps et esprit - a toujours interpellé l'homme. L'imagerie romane à son tour s'est fréquemment emparée de la complexité du thème pour évoquer l'éternel mystère de l'homme.
Les sculpteurs romans et leurs commanditaires sont prompts à dénoncer tout ce qui peut mettre en danger le développement spirituel de l'humanité en général et de chacun en particulier.



Cathédrale Saint-Michel, Carcassonne ( Aude ).
Au second degré ce modillon peut représenter une image d'unité : la réunion du féminin et du masculin évoquant l'harmonie intérieure à rechercher !!!

" LE MALIN " ou la difficulté pour l’homme de progresser dans le domaine spirituel.
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Sous une forme ou sous une autre le diable est toujours présent dans l'imagerie romane.
**Il s'agit de marquer les esprits par le rappel constant des difficultés pour l'homme, quel que soit son état, de vivre pleinement dans la recherche de l'Absolu ? Le " Mauvais " symbolise toutes les forces qui affaiblissent et troublent la conscience et, finalement, la font régresser vers l'ambivalent, vers la partie sombre de l'être humain.
La présence de faciès démoniaques peut ainsi être considérée comme un instrument de rappel à l'ordre, un moyen pour l'homme de rester vigilant face à la faiblesse humaine et aux dangers du monde...Il en est ainsi pour tout croyant chrétien quel que soit son état.


Ancienne abbaye des Fontenelles, La Roche-sur-Yon, Vendée.

La présence dans une salle capitulaire de représentations diaboliques, comme celle-ci, peut a priori surprendre. Il est difficile de voir, pour des religieux qui se sont mis explicitement sous le regard du Tout Autre, une dévotion au mal incarné par le diable. Pour le moine comme pour le simple fidèle la vigilance ne doit pas être relâchée.

DE PLAISANTES ET SURPRENANTES REPRESENTATIONS AU PREMIER ABORD...
... ET POURTANT BIEN PARLANTES ENSUITE

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La nature composite -animale et spirituelle- de l'homme fait qu'il est souvent sujet à des tensions intérieures complexes. En mettant en scène oiseaux, griffons, lions ou monstres fabuleux divers, les imagiers romans ont, à leur manière, perçu le problème. Certaines figurations laissent à penser qu'ils ont été sensibles à l'existence de tensions qui se partagent le coeur de l'homme et qu'ils ont essayé de les traduire à leur manière dans la pierre avec les moyens dont ils disposaient. Naturellement les artisans de l'époque n'ont pas élaboré explicitement des grilles de lecture comme celles que nous proposent Anne et Robert Blanc afin de mettre de l'ordre rétrospectivement dans l'exposé des diverses représentations rencontrées : les deux sujets se faisant face, s'accordant, s'affrontant ou se croisant mais qui évoquent une part du même homme.


DE L' EQUILIBRE ENTRE TENDANCES INTERIEURES
Dans ce genre de composition où chaque être est concerné par l'autre ce qui est évoqué, peut-on estimer, c'est la quête d'harmonie intérieure ou, au contraire, la manifestation d'une opposition plus ou moins dure. L'homme est un être complexe partagé entre des tendances le tirant dans un sens ou dans un autre. Comme sur le chapiteau précédent l'équilibre apparaît réalisé entre les deux tendances.


Ancien prieuré de Villesalem, Vienne.

Les complexités de l'homme sont en accord pour parvenir à un même but : se rapprocher de la la coupe - la bonne parole, l'eucharistie - et y boire afin d'y puiser des énergies spirituelles positives.


Eglise de Secondigny, Deux-Sèvres.
Deux oiseaux grossiers buvant dans un calice
évoquent traditionnellement l'Eucharistie.
Deux oiseaux de chaque côté d'une coupe constituent une représentation fréquemment rencontrée sous le ciseau de l'imagier ; la symétrie de la composition est à observer : cela signifie que chacun des deux protagonistes prend en considération l'existence de l'autre. Chacun des êtres constitue une évocation d'une tendance intérieure au même homme, tendances entre lesquelles il est partagé.


Eglise de Jarnac-Champagne, Charente-Maritime.
Variante saintongeaise.


Eglise saint-Pierre de Mozac, Puy-de-Dôme.

Ce chapiteau représente des griffons ailés affrontés buvant classiquement à la coupe. Peu importe si les oiseaux sont remplacés par d'autres sujets tels ces lions ailés à têtes d'oiseaux évoquant la part matérielle et la part spirituelle de l'être humain.
Le griffon - animal composite, en d'autres termes complexe - ne peut-il pas être saisi comme un symbole de la complexité de l'homme partagé entre la quête de la vertu et la recherche des plaisirs ?
Il faut que les tendances contraires finissent par s'accorder pour qu'elles se situent de chaque côté de la coupe.
( Cf
A. et R. Blanc, Symboles de l'art roman, 2004).

Dans ce genre de composition où chaque être est concerné par l'autre ce qui est évoqué, peut-on estimer, c'est la quête d'harmonie intérieure ou, au contraire, la manifestation d'une opposition plus ou moins dure. L'homme est un être complexe partagé entre des tendances le tirant dans un sens ou dans un autre. Comme sur le chapiteau précédent l'équilibre apparaît réalisé entre les deux tendances.


Eglise de Tavant, Indre-et-Loire.
Sous le ciseau des imagiers le motif de la coupe entre deux oiseaux revient sans cesse. Toutefois, la coupe peut revêtir des formes diverses comme sur cette corbeille.


Eglise de Saint-Hilaire-la-Croix, Puy-de-Dôme.
Evocation classique du thème de l'équilibre par ces deux aigles buvant dans une coupe,
chacun des deux tenant compte de la présence de l'autre. Toutefois un motif qui se répète
au-dessus des deux oiseaux a été ajouté par le sculpteur à l'image traditionnelle : deux personnages
introduisent un " petit objet " dans le calice qui pourrait symboliser une part d'eux-mêmes, la meilleure ?

CONFLITS DE TENDANCES
ET RECHERCHE D'EQUILIBRE :
DES DEGRES DANS L'EVOCATION IMAGEE, L'INTENSITE
ET LE TYPE DE REPRESENTATION SYMBOLIQUES

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L'homme déchiré par des sentiments opposés, partagé entre des tendances tirant dans des sens contraires est un des thèmes abondamment traités par les imagiers romans. Mais la construction de catégories n'est certainement que le seul fait a posteriori des analystes contmporains.


* DES DEGRES DANS L'AFFRONTEMENT DE TENDANCES.


Eglise de Saint-Maurice-la-Clouère, Vienne.
Sur ce chapiteau extérieur de colonne semi-engagée les griffons se détournent l'un de l'autre : la réconciliation entre les deux tendances semble bien délicate.


Eglise de la Charité-sur-Loire, Nièvre.
Cette fois ce sont des quadrupèdes qui se détournent l'un de l'autre ; quoi qu'il en soit c'est des tensions intérieures de l'homme dont il s'agit.



Eglise Saint-Pierre de Melle, Deux-Sèvres.
Les deux oiseaux debout dans un canot, semblent symboliser la difficulté de réconciliation de sentiments divergents qui partagent le coeur de l'homme.


Chapiteau de la façade de l'abbatiale de Nieul-sur-l'Autise, Vendée.
En retrouvant l'image de la barque, déjà rencontrée précédemment, ces deux oiseaux semblent se réconcilier...



Eglise Saint-Hilaire de Melle, Deux-Sèvres.

Deux lourds animaux se font face ; chacun semble vouloir l'emporter sur l'autre ; aucun accord ne semble possible.
Eglise de Matha-Marestay, Charente-Maritime.
L'opposition résolue semble bien évoquée par l'affrontement brutal de ces deux quadrupèdes.


Eglise de Surgères, Charente-Maritime.
Tête contre tête et pattes arc-boutées manifestent l'obstination totale des deux pachydermes par ailleurs revêtus d'un bel harnachement.


Eglise Saint-Hilaire de Melle, Deux-Sèvres.
Les basilics tirent à " hue et à dia "; cependant, en même temps, restant reliés l'un à l'autre, une divergence totale ne semble pas dans l'ordre des choses pour l'homme symbolisé tiraillé entre deux tendances ?


Eglise Notre-dame de Champdeniers, Deux-Sèvres.
Sur ce chapiteau l'animal symbolique possède un corps unique mais deux têtes ; chaque moitié de la bête semble vouloir s'écarter de l'autre. Dans son débat intérieur l'homme est partagé ; il hésite entre deux options qui le tirent en sens contraire.

D'un feuillage stylisé émerge un masque. Si dans la symbolique romane la tête signifie l'homme tout entier, le masque pourrait évoquer le spectateur impuissant de l' alternative,
dont il est le siège, entre les deux termes de laquelle il est mis en demeure de choisir puiqu'il en est aussi l'acteur.


Eglise Saint-Laurent, Parthenay, Deux-Sèvres.
A droite, cet être fabuleux à double tête correspondait-il chez l'artiste à une simple volonté ornementale ou, au-delà, y avait-il illustration de l'expression " être tiré à hue et à dia ", c'est-à-dire déchiré entre deux sentiments opposés?
Si dans la symbolique romane la tête signifie l'homme tout entier, le masque humain pourrait évoquer le spectateur impuissant de l' alternative, dont il est le siège, entre les deux termes de laquelle il est mis en demeure de choisir puiqu'il en est aussi l'acteur.


Eglise de Coussay-les-Bois, Vienne.
Les deux tendances qui s'opposent entendent dominer de façon exclusive l'homme tout entier. L'affrontement brutal entre ces deux bêtes arc-boutées est vécu douloureusement par l'homme dont l'imagier a même représenté le visage accablé au-dessus des combattants.



Deux monstres s'opposent violemment évoquant l'âpreté du dilemme entre les directions comportementales à adopter.
Eglise Saint-Trojan, Rétaud, Charente-Maritime.

* DEUXIEME DEGRE : A LA RECHERCHE D'EQUILIBRES.


Eglise Saint-Savinien, Melle, Deux-Sèvres.
Il est difficile d'en rester au constat des difficultés, des divergences, des contradictions. L'homme doit pacifier ses tendances pour continuer à vivre ; il doit s'unifier, mettre de l'ordre en lui-même.


Ancienne abbaye Saint-Pierre, Preuilly, Indre-et-Loire.
Le déchirement intime doit être surmonté. à un moment ou un autre. L'imagier va tenter d'en rendre compte en figurant par un lien l'effort de réconciliation entrepris.
Est-ce que cela signifie une difficulté plus grande à unifier de violentes tensions intérieures contraires ?


Le Puy-en-Velay, Haute-Loire.
Ici, l'apaisement intérieur, fruit d'un effort sur soi pour maîtriser les tendances centrifuges, a été obtenu en ruminant la Parole divine ( le chapiteau est dans une galerie du cloître et le lien est rattaché au chapiteau donc à l'édifice c'est-à-dire du lieu qui représente l'Eglise ).


* TROISIEME DEGRE : DES MOTIFS EN X SYMBOLISANT DES REFUS


Eglise de Civaux, Vienne.
Des animaux paraissent se croiser totalement indifférents l'un à l'autre. Ils ne se heurtent pas violemment ; ils s'ignorent.


Eglise de Javarzais, Deux-Sèvres.
Sur cette variante une bête s'oriente comme ci-dessus vers la droite tandis que l'autre se dirige vers la gauche : Anne et Robert Blanc proposent de caractériser ce type de comportements " d'équilibres refusés en forme de X " pour symboliser des lignes de conduite entièrement différentes qu'un individu peut adopter de façon illogique.

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UN APPEL A LA VIGILANCE


Comme rien n'est jamais durablement acquis la possibilité reste ouverte d'une résurgence des conflits intérieurs. Ceux qui ont atteint l'ultime étape de la spiritualisation
doivent rester vigilants.



Eglise de Thuret, Puy-de-Dôme.

Un être humain prisonnier qui n'a pas réussi à maîtriser ses tensions intérieures et plus largement ses passions.
L'homme dégradé apparaît sous les traits du singe ; le sculpteur le représente enchaîné, une courte corde passée autour du cou et fixée au sol l'empêchant à jamais de reconquérir la position verticale.