DES PASSIONS ET DE LEUR MAÎTRISE 1
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L’existence humaine est un combat de tous les instants. Pour mener à bien sa course l’homme doit veiller et ne pas se laisser accaparer par les seules tâches et distractions profanes de surface ; en bref, il ne doit pas se laisser absorber par les seules préoccupations d'ordre matériel.

Le thème oiseau-lion complété par celui, si familier à l'époque médiévale de l'animalisation du pécheur : la chair ( toute l'étendue des tendances pécheresses ) l'emportant sur l'esprit, fait de l'homme une bête.
La dualité lion-oiseau tourne en antagonisme violent : le péché divise l'homme contre lui-même...L'oiseau et le lion se livrent alors à un combat permanent dont l'enjeu n'est autre que l'homme en son unité constitutive.
Que l'animalité l'emporte sur l'esprit, et l'être humain comme tel disparaît. L'homme devient le jouet de ses passions.
Les imagiers romans représenteront fréquemment l'homme se débattant dans cette lutte opposant les oiseaux aux lions.


Chapiteau extérieur de l'église d'Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.

** Dans l’imagerie médiévale la dualité entre le Bien et le Mal est souvent représentée.


Ancienne collégiale d'Ennezat, Puy-de-Dôme.
Bel Y symbolisant la dualité entre le Bien et le Mal
sur ce chapiteau déposé à l'entrée de la nef.



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Eglise de Bourg-Lastic, Puy-de-Dôme.
Sur ces deux chapiteaux un arbre épanoui en deux larges feuilles forme un Y. S'agit-il d'une évocation de l'antique dualité opposant les contraires telles l'ombre et la lumière ?
Au centre de la composition un
visage ; l'homme doit-il choisir entre céder à ses passions ou les maîtriser ?


Abbatiale de Fleury, Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.

Un corps d'enfant - symbolisant l'âme - est l'objet d'une lutte entre l'ange au visage hiératique et le démon nu. C'est une évocation du combat spirituel entre le bien et le mal à l'époque médiévale qui est proposée.


Eglise Sainte-Radegonde, Talmont sur Gironde, Charente Maritime.
Evocation de l'union nécessaire de l'ensemble du peuple chrétien dans sa lutte contre le MAL : des hommes maîtrisent un lion qu'ils arrachent à sa proie ( sous ses pattes arrière ).


** Un thème : " Nourrir ses passions ".
Si l'être humain veut essayer de s'élever dans la fameuse " échelle du salut ", c'est-à-dire progresser jour après jour, il doit faire attention dans son existence quotidienne à ne pas laisser libre cours à des comportements les plus déréglés. Il doit savoir dominer certaines pulsions extrêmes. Ce thème de la maîtrise des passions est largement traité dans l'imagerie romane.


Ancienne abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.
Les êtres humains aux prises avec les passions sont représentés par une femme nue dont les seins sont mordus par des serpents. C'est une illustration du thème " nourrir ses passions " .


Eglise Saint-Hilaire de Melle, Deux-Sèvres.
La nourriture des passions ne peut être mieux représentée que par cette femme aux seins tétés par deux chimères ailées.


Eglise de Mailhat, Puy-de-Dôme.
Le même thème se trouve traité en Auvergne de la même façon qu'en Poitou comme ici dans cette petite église rurale....


Cloître de l'abbaye de Lavaudieu, Haute-Loire.
... ou de manière originale dans une galerie du cloître : une femme allaitant deux salamandres.

** L'emprise des passions


Eglise de Rieux-Minervois, Aude.

Un serpent semble parler à l’oreille d’un personnage... Autrement dit le Malin tente l'homme en lui distillant à l'oreille des paroles destinées à le détourner du Bien.


Eglise de Saint-Parizé-le-Châtel, Nièvre.
Le serpent dans son rôle de mauvais conseiller se retrouve sur un chapiteau de crypte.


Eglise de Saint-Hilaire-la-Croix, Puy-de-Dôme.

Deux quadrupèdes debout prennent un personnage à la gorge et lui lèchent les oreilles.
Le comportement des bêtes tend à suggérer à l'homme de suivre leur propre discours, sous-entendu le discours social dominant, celui de la facilité, à n'en pas douter !


Eglise de Champdeniers, deux-Sèvres.
Des monstres aux crocs menaçants semblent chercher à ingurgiter deux personnages.
A-t-on affaire à un autre type d'illustration de la
passion dévorante ...?


Ancienne abbatiale d'Airvault, Deux-Sèvres.

Une femme debout les mains croisées représente l'Eglise ; un cavalier avec un écu
transperce de sa lance un dragon dont on perçoit sur la gauche de la corbeille les anneaux.
Evocation du combat que le chrétien doit effectuer en permanence contre le mal ?
La victoire sur le dragon évoquerait alors sa conversion réussie, le retournement victorieux
de l'homme qui aurait maîtrisé son propre dragon intérieur en d'autres termes, ses passions.


Eglise de Vouvant, Vendée.
Un petit personnage a sa main dans la gueule d'un monstre. S'agit-il d'une représentation de l'expression " se jeter deans la gueule du loup " bien que la créature fabuleuse n'ait rien d'un loup. mais un monstre mythique. Les deux petits bonshommes n'en font qu'un probablement ; la course, puis la perte d'équilibre pourraient symboliser le cheminement de l'être vers son sort, sans doute peu réjouissant du fait de sa manière de vivre !


Eglise de Vaux-sur-Mer, Charente-Maritime.
Un homme assène un coup de bâton à un ours en train de dévorer un autre personnage. Dans une lecture au second degré l'ours pourrait symboliser une passion qui devrait être combattue. ( Les deux personnages comme souvent ne feraient qu'un ).


Eglise de Civaux, Vienne.
Une bête fantastique dévore un petit être nu ( illustration de l'âme du personnage considéré ) qui n'a pas su résister à l'emprise des passions. Sans doute s'agit-il pour l'imagier d'attirer l'attention des fidèles sur le risque encouru lorsqu'on ne sait pas contrôler ses passions.


Eglise de Saint-Pierre-de-L'Île, Charente-Maritime.
( Crédit photo : Jacqueline Reichenbach )

Une créature fabuleuse est combattue par un personnage coiffé d'un bonnet et armé d'un écu et d'une épée :
au second degré cette scène peut symboliser la lutte que doit mener tout être humain contre ses démons intérieurs s'il veut poursuivre son évolution spirituelle.



Eglise de La Chaize-le-Vicomte, Vendée.
Un acrobate en équilibre sur la tête ou " un homme culbuté " est encadré, à gauche, par un joueur de vièle à archet et, à droite, par une femme chevauchant un dragon qui essaie de la mordre ; un personnage, derrière la femme, est enserré dans les replis de la queue du monstre.
Pure scène de baladins à vocation décorative ou intention symbolique ( l'existence humaine est une lutte continue ; le pécheur est celui qui a perdu son aplomb pour s'être laissé envoûter par un musicien diabolique ) ?


Eglise de La Chaize-le-Vicomte, Vendée.

Cette autre corbeille a également donné lieu à bien des hypothèses. Qu'en dites-vous vous-mêmes ?
- Certains ont pu voir un
acrobate suspendu par les mains à une barre, les jambes relevées sur l'arrière, encadré, à gauche, par un joueur de rote et, à droite, par un joueur de tambourin lui-même tenu par un quatrième personnage : en bref, on aurait une scène de baladins....

- On pourrait être en face d'une représentation démoniaque. a) Le musicien diabolique a changé d'instrument ; sa victime représentée par un lion trapéziste se livrerait aux acrobaties commandées par le joueur de rote...b) L'homme de droite, sous le coup du charme produit par la musique joueur de rote pourrait être tenté par le rouleau détenu par l'acrobate/diable. Un compère essaierait de le tirer de son envoûtement et de l'en empêcher ( mais pourquoi serait-il nu ? ).

- D'autres ont avant tout mis en évidence des rapports charnels. Des détails à droite de la corbeille font penser, en effet, à une scène de sodomie ; ceci expliquerait l'interrogation précédente....
Que voulez réellement exprimer l'imagier ?


Eglise de Lichères, Charente.
Un homme tente de tuer un animal fabuleux en posant son pied sur son cou et en plantant sa lance dans sa gueule. A côté un personnage a perdu son aplomb ; cet homme " culbuté " a perdu tout ce que symbolisait la station verticale axée vers le monde céleste, vers le spirituel.

Cependant, comme ce personnage adjacent a non seulement la tête en bas mais se tient également les chevilles - signe d'un contrôle de la marche vers le ciel - une autre lecture serait possible : on pourrait avoir affaire à une scène de retournement réussi ... Qu'avait réellement à l'esprit l'imagier ?


Eglise de Lautenbach, Haut-Rhin.
Deux groupes d'hommes enlacés.

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L'évocation de ces quelques chapiteaux ayant donné lieu à des interprétations diverses montre, s'il en était besoin, toute la difficulté qu'il y a souvent à saisir la plénitude de sens de l'imagerie romane.
Au final, dans le cas où ne sont pas représentés, d'une part, le cadre de vie, les animaux, les exigences de la vie quotidienne et, de l'autre, les scènes bibliques, ce sont les passions humaines et la lancinante question du bien et du mal, le combat entre la part animale de l'homme et sa part spirituelle qui sont l'objet de l'imagerie romane sous forme de connotations implicite.


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