Cycle Christique 2
une sélection de regards
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Quelles soient ou non l'œuvre d'un artiste de génie nombre de figures regardent vers les fidèles dans une sorte de dialogue avec celui qui passe, s'arrête ou entre dans l'église.


Baiser de Judas, Arrestation




Abbatiale Saint-Gilles-du-Gard, Gard.
Le baiser de Judas. Le Christ, et Judas ont des têtes admirables. Des ressemblances s'observent entre l'apôtre félon et son maître ; cependant le traitre est plus petit que la victime et l'expression différenciée des regards des protagonistes est extraordinairement bien rendue. Un soldat les regarde. Derrière, se pressent des gens du peuple aux visages vulgaires. Le personnage qui se trouve le plus près du Christ a la bouche tordue.





Abbatiale Saint-Gilles-du-Gard, Gard.

Le lavement des pieds. Le Christ lave les pieds de Pierre au grand scandale de ce dernier: "Seigneur, toi, me laver les pieds!" Jésus lui répond "Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi". Pierre s'affole tombe dans l'excès inverse, voulant que Jésus le lave tout entier: "Seigneur, non seulement les pieds, mais les mains et la tête" (Jn XIII 6-9). Regardant Jésus Pierre montre à ce dernier qu'il faut aussi laver sa tête.



http://medieval.mrugala.net/Architecture/France,_Haute-Garonne,_Saint-Aventin/
Eglise Saint Aventin, chapiteau du portail Haute-Garonne
L'arrestation du Christ. Après le baiser de la trahison, donné par Judas au jardin des Oliviers pour indiquer aux soldats qui était Jésus, ceux-ci s'avancent vers lui, prêts à le saisir. ils lui ligotent les mains sans qu'il oppose la moindre résistance. Quelles différences d'expressions entre les personnages !




Ascension Angoulême



Façade de la cathédrale d'Angoulême, Charente.


Thème de l'Ascension et du retour à la fin des temps. Le Christ, dans les nuées où volètent deux petits anges, est entouré des symboles des quatre évangélistes. Une arcade d'anges surplombe la scène. Au registre inférieur, sont sculptées des figures en médaillon.
Tout est fait pour que le regard s'élève vers le Christ debout dans sa mandorle, partant rejoindre le Père, mais déjà de retour pour distinguer les élus des damnés.





Détail. Les anges de l'Ascension impriment un mouvement ascendant.





Autour de la voûte du portail les anges de taille humaine sont tournés vers les croyants et leur montrent par le jeu des mains et des regards l'Ascension du Christ.
Les autres anges plus petits situés plus haut ont la tête tournée vers la mandorle du Christ ; ils accompagnent son Ascension et adorent le Sauveur.

Cette mise en scène permet de suggérer l'éloignement par rapport aux hommes et l'élévation auprès de Dieu.




Détail. Deux anges les mains ouvertes et regardant vers les Cieux encadrent l'arbre de vie.



Ascension Basilique Saint-Sernin




Tympan de la porte Miègeville, basilique Saint-Sernin, Toulouse.

Le tympan se rapporte à l'Ascension du Christ auréolé d'un nimbe crucifère. Des anges l'accompagnent ; deux d'entre eux semblent l'aider à s'élever ; tous les regards sur le tympan et sur le linteau sont tournés vers le Ciel.


Extrait du linteau de la porte Miègeville, basilique Saint-Sernin, Toulouse.
Les apôtres tenant le Livre lèvent les yeux vers le Ciel ; saint Pierre porte classiquement ses clefs.

Doute de Thomas par le maître de Cabestany
Dans cette Assomption de la Vierge Marie et ce doute de Thomas selon le récit de Jacques de Voragine on peut effectuer un relatif rapprochement avec l'incrédulité de Thomas lors de la Résurrection du Christ.
"Or, Thomas n'était pas là, et quand il vint, il ne voulut pas croire, quand tout à coup, tomba de l’air la ceinture qui entourait la sainte Vierge ; il la reçut tout entière afin qu'il comprît ainsi qu'elle était montée  tout entière au ciel."
C'est seulement sur un tympan déposé que l'on trouve une magnifique composition scénique relatant la remise à Thomas de la ceinture miraculeuse de Marie lors de sa montée au ciel.
Il est l'œuvre d'un sculpteur anonyme connu sous le nom du " maître de Cabestany".



Tympan de l'église Notre-Dame des Anges, Cabestany ( 66 )

Au centre de la composition une scène singulière est figurée par le maître de Cabestany Thomas, toujours incrédule, doute de l'Assomption de Marie comme il a douté de la même façon de la Résurrection du Christ et reçoit du ciel, pour anéantir ses doutes, la ceinture miraculeuse qui était attachée au corps de Marie.



Tympan de l'église Notre-Dame des Anges, Cabestany ( 66 )
Détails : Au centre, le Christ avec son nimbe crucifère tient dans sa main gauche le Livre et de la droite démesurée fait un geste de bénédiction. A sa gauche, la Vierge est représentée dans une gestuelle d'oraison. A la droite du Christ le disciple Thomas a le regard tourné vers le Maître.

Sur les piliers d'angle du cloître Santo Domingo de Silos ce que l'artiste a sculpté ce sont des regards.
Ce qui est vrai d’un côté des Pyrénées l’est également de l’autre ; il en est, en effet, de même avec les représentations des piliers d’angles du cloître de Santo Domingo de Silos ( Espagne ). Elles agissent incontestablement de la même manière sur l'affect car, par leur présence, elles sollicitent l'attention, la retiennent. Une sorte de dialogue s'établit entre l'œuvre et l'observateur. Ces visages que les regards éclairent, mis en évidence plus haut, se retrouvent avec une rare intensité sur les figures des piliers d’angles de Santo Domingo de Silos.
Les grandes œuvres de pierre sont structurées par les exigences des regards. A Silos, les corps sont des supports de regards.


L'enlèvement des clous et la Descente de Croix.

Regard aux yeux fermés du Christ qu'on décloue. Les yeux clos, ce visage est celui d'un voyageur tendu vers ce monde. Les yeux clos expriment ce silence devant l'indicible. Marie, pleine d'amour et de respect, tient dans un pan de son vêtement la main droite de Jésus, et l'approche tendrement de son visage.
L'artiste nous montre des âmes et des regards qui sont les manifestations de l'âme.



Dans la Descente de Croix et surtout dans la Mise au Tombeau.

Dans la Mise au Tombeau en présence des Saintes Femmes deux disciples, Nicodème et Joseph d'Arimathie, installent le corps du Christ sur la dalle de pierre. Au-dessus, la Vierge Marie, Marie de Magdala et Marie Salomé arrivent avec des parfums pour embaumer le corps, mais elles trouvent le Tombeau vide. Un ange assis sur la dalle leur annonce la résurrection. Le visage du Christ est serein.


Malgré les yeux clos la face du Christ est une des plus belles et des plus profondes représentations des signes que laisse sur un visage l'âme partie pour un voyage dans l'ineffable.




L'Ascension. Marie et les apôtres regardent le Christ s'élever dans le Ciel.
L'amour de Marie pour son Fils se manifeste dans son attitude. Tendu presque à l'horizontale, son visage la montre encore plus proche du Christ que ne le sont les apôtres. Un simple petit écart angulaire suffit à conférer à Marie une dignité d'un rang supérieur. Dans l'Ascension elle est au même niveau que les apôtres du second plan. Comme les apôtres, elle voit le Christ-Roi s'élever dans les Cieux. Mais Marie, en ce moment où l'espérance laisse place à la certitude, voit que l'enfant de la crèche est vivant.



La Pentecôte. La main de Dieu paraît dans la nuée et bénit Marie et les apôtres dont les noms figurent sur les nimbes. Deux anges soufflent dans des trompes de part et d'autre de la main divine. Sur le relief de la Pentecôte, les douze apôtres reçoivent le Saint-Esprit et le don de se faire comprendre dans une pluralité de langues. Dans la Pentecôte, Marie est au-dessus des apôtres, c'est-à-dire à la fois en retrait des Douze et plus près de l'Esprit Saint.




La Pentecôte : détail.
Marie est ici présente, pour recevoir un ultime message d'amour et l'annonce d'une mission. Comme dans l'Ascension, le visage de Marie est plus tendu vers le Ciel que ceux des apôtres. Elle est dans un autre plan de scène : à la fois en retrait et au-dessus des apôtres. D'une autre nature ( Vierge et Mère de Dieu ) elle a aussi souffert plus que tout autre. Sa dimension théologique est plus grande.Tout l'être de cette femme que le maître sculpteur nous montre dans toute sa noblesse et sa simplicité est regard vers Jésus ; un regard qui s'élance véritablement vers son Fils, et cet élan prodigieux s'accomplit avec mesure, avec humilité.
Dans cette évocation de la Pentecôte, les Douze sont laissés à leurs problèmes linguistiques ; Marie n'est plus que ce regard qui contemple la Vie en laquelle s'abolissent la souffrance et la mort.



Le Doute de Thomas.
Thomas fixe la blessure, il veut s'assurer et comprendre. Il est encore de ce monde et dans ce monde. Le Christ se prête au geste de Thomas et il tend même le bras pour lui faciliter les choses. Mais par cette disposition, le bras et le corps du Christ séparent le monde du doute, le monde sensible, du monde de la vérité.


Thomas fixe la blessure, il veut s'assurer et comprendre. Il est encore de ce monde et dans ce monde. Le Christ se prête au geste de Thomas et il tend même le bras pour lui faciliter les choses. Mais par cette disposition, le bras et le corps du Christ séparent le monde du doute, le monde sensible, du monde de la vérité. Une certaine impatience se manifesterait-elle sur le visage de Jésus? Il attend, simplement. Il sait que pour certains le chemin est plus malaisé que pour d'autres. Et puis il se souvient que lorsque les autres avaient peur de l'accompagner en Judée auprès de Lazare, Thomas leur avait dit "Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!" Il est possible, alors, que ce bras tendu au dessus de celui qui n'a pas la chance d'avoir la même foi que les autres soit un geste de protection: "Ne jugez pas Thomas".




Il faut aussi suivre le regard des autres apôtres. Les onze apôtres ne pensent même pas à leur compagnon: leurs grands yeux sont ouverts sur un ailleurs stupéfiant. Ils ne lui en veulent pas, la scène ne semble pas les intéresser. Ils sont hallucinés par le monde que la Résurrection vient de leur dévoiler. Ils redescendront sur terre, il connaîtront des conflits, certains subiront le martyre, mais pour le moment leurs yeux montrent qu'ils ne sont pas présents au monde dans lequel Thomas approche craintivement sa main d'une blessure mortelle.
Le Doute de saint Thomas se dresse, comme un grand commentaire de pierre à l'angle Nord-Ouest du cloître. Ce n'est pas une illustration, mais une pensée de l'Evangile selon saint Jean pourra dire Michel Claveyrolas à propos de ce magnifique relief où tout se joue dans les regards.



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