L’enfant nu, image de l’âme
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A l’époque romane le corps en tant que tel n’existe pas. L’âme lui est toujours étroitement associée et le souci de l’au-delà est largement partagé.
L'imagerie fait appel à des métaphores que leur extrême simplicité empêche fréquemment de remarquer. Les tailleurs de pierre médiévaux figuraient fréquemment l'âme humaine sous les traits d'un petit enfant.
Si un mourant laisse échapper son âme par la bouche sous la forme d'un petit enfant nu, c'est parce qu'il pousse un dernier soupir et parce que la mort est une " nouvelle naissance " post-mortem.
La nudité signifiait alors non pas une réalité charnelle mais revêtait une dimension spirituelle. C'est dire par là-même que la nudité dans l'imagerie romane perd fréquemment sa dimension érotique.

L'iconographie de l'âme peut être rangée sous plusieurs catégories :- l'illustration du combat spirituel,
- la figuration de l'âme du mourant,
- créatures nues et scènes de dévoration.


** Illustration du combat spirituel
Le combat spirituel est figuré par une âme partagée entre le bien représeté par un ange et le mal figuré par une figure démoniaque.


Basilique de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret
L'âme partagée Un petit être est tenu par les bras par un ange et un demon. D'un côté, le diable essaie de l'attirer à lui ; de l'autre, l'ange lui assure sa protection en lui posant la main sur la tête. Les traits des personnages caractérisent bien ce qu'ils représentent. La créature déchue du démon se manifeste par la rudesse de ses traits alors que la perfection céleste est suggérée par le visage hiératique de l'ange.


Basilique de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret
Cette autre face du chapiteau montre l'issue de l'incessant combat spirituel que chacun est amené à livrer. Seul le bras gauche de l'enfant est encore entre les mains du démon ; tournée vers l'ange divin l'âme penche délibérément vers le bien.


Cloître de la cathédrale du Puy-en-Velay, Haute-Loire
Un ange à la bonne physionomie enlève une âme au pouvoir de deux démons grimaçants.



Chapiteaux du portail de l'église de Lauterbach, Haut-Rhin
Deux enfants nus - Images de l'âme - sont saisis par un porc et par un serpent. On est en présence d'une évocation du mal dont ces jeunes êtres pourraient être le jouet.

** Figuration de l’âme du mourant
Avant d'être représentée d'une façon générale sous la forme d'un jeune enfant nu, l'âme a pu l'être sous la forme du corps nu du défunt.


Collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, Poitiers, Vienne

Ce chapiteau, couramment dit " de la mort de saint Hilaire ", entend, au-delà du seul registre terrestre, évoquer le passage de la mort à la vie nouvelle.
Au premier niveau, un défunt est étendu sur son lit, veillé de part et d'autre par des moines lisant leurs prières. Alors que le mort du premier niveau est habillé, comme rattaché au sol par son lit, son " double " est nu, libéré de ses attaches terrestres et accompagné par deux anges vers la main du Père qui appelle à Lui le défunt. A noter la pomme de pin tout à fait à droite au-dessus de la tête d'un moine. Peu putrescible, évocation de longévité dans l'art roman, la pomme de pin est ici signe de la vie éternelle.


Chapiteau de la nef, basilique Sainte Marie-Madeleine, Vézelay, Yonne
C'est nue que l'âme s'échappe de la bouche du mourant qui expire.
Ici des démons essaient à mains nues ou avec une pince d'extraire l'âme du riche. Pendant ce temps ses besaces sont rongées par des vers.


Eglise de Semur-en-Brionnais, Saône-et-Loire

Un riche personnage assis va mourir ; son âme est extraite de sa bouche par un des trois démons qui attendent sa mort.


Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône
Un ange présente aux patriarches - Abraham, Isaac et Jacob - l'âme d'un élu représentée sous la forme d'un petit enfant.


Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhone

Le martyre de saint Etienne. L'âme du saint lapidé s'échappe de son corps et est accueillie au ciel par deux anges. C'est une autre sorte de naissance pour l'âme pure du juste.

Abbatiale Saint-Pierre, portail, Moissac, Tarn-et-Garonne
Lazare agonisant, dont les plaies sont léchées par des chiens, gît aux pieds du mauvais riche et de sa femme qui font bombance. Son âme est recueillie par un ange qui va la transmettre à Abraham assis sur la gauche du cliché.


Abbatiale Saint-Pierre, portail, Moissac, Tarn-et-Garonne
Gros plan : Abraham reçoit dans son giron rassurant l’âme extrêmement sereine de Lazare.


Abbatiale Saint-Pierre, portail, Moissac, Tarn-et-Garonne
Lorsque le mauvais riche meurt à son tour il part directement en enfer.

** Créatures nues et scènes de dévoration
On retrouvera sur les chapiteaux ces images visant à rendre visible ce qui relève du monde invisible à venir, toujours avec l’idée implicite du Jugement dernier.
En Auvergne, Poitou, Saintonge...les chapiteaux représentent surtout l’enfer sous la forme de bêtes monstrueuses dévorant les damnés.
Le chatiment de ceux qui ont péché est évoqué par des scènes de dévoration : des êtres fabuleux mangeant des petits personnages nus.


Collégiale Saint-Pierre, Chauvigny, Vienne
Dragons ailés affrontés dévorant, en s'aidant par la patte, deux humains nus, figurant sans doute des âmes de défunts qui ont été incapables de maîtriser leurs passions ; celles-ci les ont dévorés.


Collégiale Saint-Pierre, Chauvigny, Vienne

Oiseaux dévorateurs torturant des damnés.


Ancienne priorale de Civaux, Vienne

Des dragons à queue lovée, avec de grosses taches rondes, et terminée par un mufle animal. Réunis par leurs têtes ces dragons dévorent un homme. Faut-il y voir une évocation symbolique des supplices infernaux ?


Eglise de Chateauneuf-sur-Charente, Charente

Un animal fantastique - le diable - s'empare de l'âme d'un défunt représentée comme toujours par un petit personnage nu.