Leçons médiévales de vie
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La littérature médiévale a développé, depuis le XIIe siècle, deux attitudes opposées à l’égard de la mort. D’une part, l’acceptation sereine de cette issue ultime, d’autre part, la crainte, voire l’effroi face à elle. Ce dernier sentiment est surtout exprimé par les clercs qui cherchent à convertir les foules à la vie chrétienne.

Dès le XIIIe siècle, alors que l’Église promeut la croyance en un Jugement collectif à la fin des temps, s’épanouit la figure du Cavalier de la mort qui, les yeux bandés, étripe au hasard ses victimes.
Les grandes épidémies de peste qui éprouvent ensuite l’Europe, du XIVe au XVIIe siècle, par l’angoisse et panique qu’elles suscitent, réveillent chez le plus grand nombre la pensée de la mort et les peurs eschatologiques. Parfois aussi ces épidémies ont pu inversement avoir une dimension morale ambigüe dans la mesure où elles pouvaient susciter chez les sursitaires de la mort une frénésie de plaisirs …
Quoi qu’il en soit le macabre, la fascination pour la Mort envahirent de nouveau la littérature et les arts plastiques à travers différentes thématiques qui toutes manifestent l’émergence de la conscience d’un jugement individuel.

La Mort noire
Le mur sud de la nef de l’église St-André de l’abbaye de Lavaudieu, Haute-Loire, est orné notamment d'une fresque datant de 1355, intitulée La Mort noire.

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Dans cette œuvre, la représentation de la Mort noire est une allégorie personnifiant la peste sous les traits d'une femme. La Mort - et c’est encore un autre caractère particulier - n’est pas un squelette, ni un cadavre en décomposition, mais un corps apparemment sain. Elle s’avance, les yeux bandés, tenant deux paquets de flèches dans ses mains, mais on n’observe pas la présence d'un arc. Malgré cela, plusieurs personnages de toutes conditions gisent à ses pieds, chacun atteint d'une flèche.


Le dict des trois morts et des trois vifs

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Eglise Notre-Dame d’Antigny, Vienne.

Sur le mur nord, «  le Dict des trois morts et des trois vifs », trois élégants jeunes et riches chevaliers à cheval partent à la chasse avec leurs chiens et leur faucon. En chemin ils rencontrent près d’une croix de cimetière trois cadavres putrides grouillant de vers. Les trois vivants sont terrifiés par cette rencontre au cours de laquelle les morts leur rappellent combien la vie est brève et les invitent à se préoccuper de leur salut. La mort te crie de son sépulcre : « Ce que tu es, je le fus, ce que je suis, tu le seras » (saint Césaire d’Arles, sermon au peuple ). Richesse, honneur et pouvoir sont dépourvus de valeur au moment du trépas.

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Crédit photo: Jonathan Savarit. Chapelle funéraire Sainte-Catherine de Jouhet, Vienne, fin XV/XVIe siècles.
Le mur de gauche de la chapelle offre un « Dict des trois morts et des trois vifs » peinture murale montrant trois jeunes gentilshommes partant à la chasse bruyamment et joyeusement interpellés par trois morts surgissant devant eux debout. Les squelettes sortent de leur tombe et interpellent les vivants. C’est une réflexion sur la brièveté de la vie, une mise en garde contre les vanités de l'existence terrestre et l'importance de la recherche du salut de l’âme.

Un détour en Lorraine nous permet de retrouver cette légende sculptée dans la pierre d’un bas-relief du XVIe siècle.
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Eglise romane et gothique Saint-Gengoult, Briey, Meurthe-et-Moselle. Crédit photo: http://www.catholique-nancy.fr/

La composition scénique est inversée par rapport aux précédentes et les personnages sont plus divers mais la la leçon de vie est la même.
Du côté droit du bas-relief on observe un soldat, un noble et un religieux. Du côté gauche figurent deux squelettes et un corps en décomposition. Un phylactère rappelle qu’après la gloire et le plaisir les trois vifs seront comme les trois morts.

Ces compositions scéniques sont à rapprocher notamment des danses macabres que l'on peut trouver dans des peintures murales de la fin du XVe siècle.

Les danses macabres

La danse macabre du collatéral Nord de l'abbatiale de la Chaise-Dieu, Haute-Loire ( 2e moitié du XVe siècle ) est un bon exemple de la mort dans l’art médiéval: un sermon figuré peignant l'attachement des hommes à cette terre et les vanités humaines.

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Le mouvement d'ensemble tend à évoquer une ronde sans fin où alternent un mort et un personnage vivant. La danse macabre se veut le symbole de l'égalité des hommes devant la mort quelle que soit leur condition.
Ici : le premier panneau.

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Extrait de la danse macabre : le prince, le cardinal ; les plus grands ouvrent la marche.

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Extrait de la danse macabre : l’amoureux, l'avocat, le ménestrel sont accompagnés chacun d’une sorte de momie nue, asexuée et animée.

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Extrait de la danse macabre : le clerc théologien et le laboureur sont vêtus chacun selon sa condition. La mort approche sa main du vivant qu’elle va entraîner mais qui n’a pas encore obtempéré.
La danse macabre, en figurant tous les âges et tous les états, entend inciter les hommes de tous groupes sociaux à méditer sur la mort.

Il y a sans doute des points communs entre ces trois compositions scéniques : une représentation entre vivants et morts et un rappel que riches ou pauvres tous les hommes sont soumis à la mort : la peste, et par conséquent la mort, n’épargne aucun être humain quelle que soit sa condition sociale.
Toutefois
avec les « dits des trois vifs et des trois morts » il n’est peut-être pas trop tard pour se repentir : c’est avant tout d’un avertissement dont il s’agit : l’homme est incité à se convertir.
Dans les danses macabres et la représentation de la Mort noire il est trop tard pour faire acte de contrition ; tous devront se joindre à la farandole tragique quelle que soit sa condition; tous peuvent être touchés par une flèche ; ces thème évoquent peut-être davantage la mort en soi.



Les mises au tombeau

La Mise au Tombeau de la salle capitulaire de l’église Saint-Pierre de Carennac, Lot.

Œuvre datant de la fin du XVe siècle et qui, à l’origine était peinte. Elle est impressionnante par la douloureuse expression des personnages, grandeur naturelle, au centre desquels se trouve la Vierge Marie qui pleure, soutenue par saint Jean, Marie, épouse de Cléophas, Marie-Salomé et Marie-Madeleine. 
Le Christ, dont le visage est empreint de douceur, est étendu sur une table de pierre. Le linceul est soutenu par Joseph d'Arimathie, à droite, et Nicodème, à gauche, les deux disciples qui détachèrent de la Croix le corps du Christ et l'ensevelirent.


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Bien sûr en ajoutant ces prolongements plastiques on s’écarte de l’âge roman, mais faut-il se priver, en conclusion, d'admirer ces œuvres parce qu’elles sont des XV-XVIe siècles?

Des tombeaux paléochrétiens à ces représentations artistiques plus tardives, en passant par le cœur proprement roman de notre étude, que de pénétrantes méditations sur la vie et sur la mort.

Les pierres et les peintures murales parlent bien autant que nombre de textes : ce sont des signes. Bien sûr les mots seuls permettent de décrypter ces signes. Mais ces mots ne sont-ils pas suggérés par ces signes ? Ces diverses représentations de la mort dans l’art médiéval invitent l’homme d’hier - et pourquoi pas encore celui d’aujourd’hui même si les maux que traverse la société sont différents- au retour sur soi et à la réflexion sur sa condition.

Quelles belles et profondes leçons de vie se dégagent de ces pierres sculptées et de ces fresques.
Même s'il revient aux chercheurs de dévoiler scientifiquement les aspects pluriels d'un passé révolu rien n'interdit au simple amateur d'art roman de s'émouvoir devant la mémoire des pierres et pourquoi pas des leçons de vie qu'elles dispensent.

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ENVOI
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Références bibliographiques et électroniques

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Orientation bibliographique
ARIES Philippe - Essais sur l’histoire de la mort en Occident, du Moyen Age à nos jours, Editions du seuil, 1975.
ARIES Philippe - L’homme devant la mort. Deux volumes : 1. Le temps des gisants. 2. La mort ensauvagée, Editions du Seuil, 1977.
BARTHHOLEYNS Gil, DITTMAR Pierre-Olivier, JOLIVET Vincent - Image et transgression au Moyen Âge, Puf, 2008.
BRETON Gilles - Abbayes et prieurés de Vendée, Editions d’Orbestier, 2005.
BRUDY Pascale et BENETEAU PEAN Anne - L'âge roman. Arts et culture en Poitou et dans les pays charentais Xe-XIIe siècles, Gourcuff Gradenigo, 2011. CAMUS Marie-Thérèse, CARPENTIER Elizabeth, AMELOT Jean-François - Sculpture romane du Poitou. Le temps des chefs-d’œuvre, A. etJ. Picard, 2009.


LE ROUX Hubert - Poitiers pas à pas, Editions Horvath, 1993.
VERDON Jean - La vie quotidienne au Moyen Âge, Perrin, 2015.


Crédit photo et références numériques
* GENSBEITEL Christian - L’âge roman.
http://www.alienor.org/publications/age-roman-2011/texte.pdf

* Rites et croyances funéraires dans l’Antiquité romaine
http://www.arles-antique.cg13.fr/docs/Dos_enseignant%20ritetcroyance.pdf * http://france3-regions.francetvinfo.fr/poitou-charentes/deux-sevres/niort-300-tombes-medievales-decouvertes-pres-de-l-eglise-st-florent-715665.html
* Patrimoine limousin, terre d’histoire
http://www.limousin-medieval.com/#!abbaye-du-chalard/cgpa
* http://www.templum-aeternum.net/index.php/histoire-mainmenu-15/29-les-tombes-templieres-ligne-en-charente
* Patrimoine limousin, terre d’histoire
http://www.limousin-medieval.com/#!lubersac-/c22wp
* Musée archéologique de Civaux, 2010/ H. Crouzat.

* Sarcophage de Jouarre
http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/memoire/2007/sap83_77w01033_p.jpg

* https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lubersac_-_Eglise_Saint-Etienne_-_Chevet_-_Transfert_des_reliques_de_saint_Etienne.JPG?uselang=fr

* http://tempsreel.nouvelobs.com/galeries-photos/photo/20150228.OBS3572/en-images-sous-le-monoprix-un-cimetiere-du-xiie-siecle.html

* https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chasse_de_st-Remy_06468.JPG?uselang=fr

* Sarcophage de Jouarre petit côté
https://www.pinterest.com/pin/460774605596368191/

* http://www.cathedrale-chalons.culture.fr/objets/restau/fonts/grand-fonts5.jpg

* http://balado.planet.fr/idee-balade/franche-comte/territoire-de-belfort/pierre-des-fous/idb/8639 
* https://fr.pinterest.com/pin/460774605596368197/ Chasse de Mumma
* Inventaire des lanternes des morts en France
http://cfpphr.free.fr/inventaire2.htm
* Les reliques de sainte Foy au trésor de Conques
http://www.art-roman-conques.fr/reliquaire-foy.html

* http://www.collegialedecandes.fr/Sa-mort-a-Candes.html
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https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Saint-Philibert_de_Tournus_Abbey?uselang=fr#/media/File:Tournus_-_Saint-Philibert_de_Tournus_Abbey_-_21.JPG
* Selbymay Wikimedia Commons Saint Philbert
https://fr.wikipedia.org/wiki/
* http://www.cathedrale-chalons.culture.fr/objets/restau/fonts/grand-fonts5.jpg

* TREFFORT Cécile - Les lanternes des morts : une lumière protectrice ? 2001
https://crm.revues.org/393
TREFFORT Cécile - Introduction. Tombeaux et sépultures de l'époque romane : les monuments de l'indicible. Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 2011, XLII, pp.7-15.
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00622933
*Edina BOZOKY Le culte des reliques
https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/le_culte_des_reliques.asp
* http://www.lamortdanslart.com/
*http://www.catholique-nancy.fr/pres-de-chez-vous/cote-patrimoine/briey
* http://1001patrimoines.com/2013/08/19/jouhet-86-vallee-des-fresques/
* Pierre tombale représentant un prêtre. Église Saint-Martin à Anché (Vienne). © Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / C. Rome, 2009.
https://inventaire.poitou-charentes.fr/services/operations/le-patrimoine-roman/64-decouvertes/418-la-societe-a-l-epoque-romane%22
* Pour voir davantage de panneaux consacrés à cette célèbre danse macabre de La Chaise Dieu on peut aller sur notre site
http://jalladeauj.fr/cloitres/page1/page2/page2.html
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J'adresse mes plus vifs remerciements à Michel Claveyrolas pour la richesse et la qualité de sa contribution photographique.
Le visiteur de cette évocation est invité à se rendre sur les sites de Michel Claveyrolas qu’il peut découvrir à partir de son portail consacré à l’art roman :
titre_navigation_liens Richesse de l'art roman page8-page12-0_1

« Mesure de l'espace, mesure de l'esprit » ( Henri Focillon )

http://jalladeauj.fr/claveyrolasroman/index.html

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page8-page12-titre_navigation_liens-3 Sites internet de Joël Jalladeau.
* Art roman, regards croisés. page8-page12-0_1-2

Figures de pierres, clefs de lecture, parcours

Site
portail consacré à l'art roman de Joël Jalladeau. Il permet de retrouver par simples clics tous les sites sur l'art roman de l'auteur. Une balade imagée qui ouvre des chemins pour guider les pas et le regard tant vers certains fleurons les plus cèlèbres que vers les édifices méconnus situés hors des sentiers battus : églises, chapelles, de quelques provinces françaises. Egalement les grandes thématiques romanes peuvent être retrouvées : les gens, les symboles, cloîtres et bâtiments conventuels, modillons, Bible de pierre, Marie, Joseph, Anges, Saints, Le Paradis, le Diable, le corps, les gestes, les visages, nudité/obscénité, rinceaux, les sirènes, les oiseaux, le zodiaque, le combat des vertus et des vices, vierges sages et vierges folles, musiciens et jongleurs, Poitiers aux temps romans, cryptes, croix-arbres de vie.

http://jalladeauj.fr/webroman/index.html

* Du temps, de l’espace et des hommes. page8-page12-0_1-3-3

Nouveaux regards à l’entrée du XXIe siècle.

Ce site portail général permet de retrouver tous les sites internet de l'auteur : art roman ( régions et thématiques ), économie et histoire, condition humaine et modernité, hommes et sociétés, besoins et consommation, "réveil " du religieux, spiritualités plurielles, île de Noirmoutier, territoires pluriels.

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