Du culte des reliques
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Le culte des saints et de leurs reliques au Moyen Âge
Le culte des reliques des saints a joué un rôle majeur dans la christianisation de l’Europe pendant le Haut Moyen Âge. Ces reliques, sortes de témoins du monde des cieux offerts à la dévotion des fidèles, furent non seulement l’objet de vénération mais aussi, il faut bien le dire, de manipulation de la part d’institutions ecclésiastiques ou de gouvernants.

On a pu dire qu’un des traits majeurs de la civilisation médiévale reposait sur l’importance attribuée aux reliques du Christ, de la Vierge et des saints. C’étaient les reliques qu’on portait en procession. En bref, le culte des saints, jusqu’au XIIe siècle, s’est largement identifié à celui des reliques.
La croyance dans la vertu des reliques remonte aux premiers siècles du christianisme et s’est développée parallèlement au culte des martyrs.
Dans le contexte religieux de l’époque les communautés chrétiennes ne tardèrent pas à se lancer à la recherche de nouvelles reliques, surtout dans les régions qui en étaient dépourvues. Cette prospection sans mesure des reliques devait fatalement conduire au démembrement et à la dispersion des corps saints afin de pourvoir en reliques les autels et les trésors des églises dans les régions qui en étaient dépourvues. Par l’achat ou le vol, on se procurait de précieux restes afin d’insérer des fragments de corps saints dans tous les autels où était offert le sacrifice eucharistique.

Attesté dès l'époque paléochrétienne, le culte des reliques atteint son apogée au Moyen Âge, et malgré son rejet par le protestantisme, est resté bien vivant jusqu'à nos jours.
Si les reliques du Christ sont les plus recherchées, la découverte ou l’acquisition de restes des apôtres entraînèrent le développement de centres de pèlerinage comme celui de saint Jacques le Majeur à Compostelle.
Ainsi la première forme de sainteté a été historiquement reconnue aux martyrs qui moururent pour leur foi, sans renier leurs convictions religieuses.
Les chrétiens reconnurent ensuite qu’il pouvait y avoir d’autres formes de témoignage du Dieu amour, soit par la contemplation, soit au contraire dans le service de leurs frères : ce sont les saints non martyrs dits saints confesseurs.

A partir du IVe siècle, on commença aussi à vouer un culte aux saints non martyrs : ermites, évêques évangélisateurs et défenseurs des cités, qui devinrent souvent leurs saints patrons mais aussi abbés et d'abbesses de monastères qui devinrent l'objet d'un culte après leur mort, à l’exemple de saint Benoît ou de sainte Radegonde.

La vénération des restes corporels et matériels est alors fondée sur le concept d'une force (virtus) que l'on imagine demeurée vivante et active dans les reliques des saints. Cette virtus révèle aux hommes le pouvoir de Dieu.
Les lieux où les reliques sont conservées constituent des endroits de médiation qui permettent de relier terre et ciel. Les fidèles s'y rendent pour implorer les faveurs des saints, espérant qu'ils peuvent y entrer en relation directe avec eux.
Ce ne sont pas uniquement les restes corporels des saints qui étaient imprégnés de leur virtus, mais leurs tombes, leurs vêtements, leurs objets qui se voyaient reconnaître un pouvoir miraculeux.

Jusqu'au XIIe siècle, la reconnaissance de la sainteté n’était pas encore la prérogative exclusive de la papauté ; elle était du ressort de l'évêque diocésain, qui autorisait et organisait la translation des reliques et la célébration publique d'un nouveau culte à un personnage dont les vertus et la sainteté avaient été reconnues localement.
La papauté, dans la deuxième moitié de ce siècle, se réserva le droit d’instruire le procès de canonisation. Il fut mit en avant l’exemplarité de la vie des saints et les exigences des procès de canonisation furent accrues ( enquêtes rigoureuses portant sur la vie et les miracles des candidats à la sainteté ). Toutefois les populations continuèrent à continuer à escompter tirer bénéfice des mérites des saints par le biais de l’irradiation heureuse qui émanait de leurs reliques qu’elles soient d’un ordre ou d’un autre.
En bref la relation des fidèles avec Dieu passe aussi par les reliques, autrement dit les restes des saints, placés dans des tombes et sarcophages, sous les autels ou exposés dans des reliquaires ( châsses, statues ).Toujours vivant, le saint est représenté actif, il continue d’agir pour le salut de la communauté.

Les tombeaux reliquaires

La possession du corps entier d'un saint ou d'une sainte était particulièrement recherchée. Bien naturellement, on abrita le corps saint dans son tombeau, en général embelli de sculptures, ou rehaussé de plaques de métal précieux.
* Le tombeau monumental de Saint Junien, Haute-Vienne

Ce magnifique tombeau du XIIe siècle abrite le sarcophage de saint Junien, Le tombeau, richement sculpté se présente comme un grand reliquaire. Trois de ses faces sont couvertes de sculptures. 
Le tombeau de cet ermite de la première moitié du VIe siècle, est enclos dans un nouvel aménagement aux proportions inédites, à la très belle décoration.

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La dalle plate du couvercle comporte un bandeau ciselé.
Au centre de la face méridionale, sous une porte cintrée en bois à grosses fermetures, deux anges soutiennent un disque au sein duquel se détache l'Agneau Pascal en avant d'une croix Grecque.
Sur la face sud, les rangs des vieillards sont interrompus par un loculus, derrière une petite porte en bois, qui permet de contempler le sarcophage primitif et les reliquaires de saint Junien ( XIIème siècle). L’ermite n’est pas présent par une image, mais par ses reliques elles-mêmes : « ci-gît le corps de saint Junien, dans le sarcophage où il fut d’abord placé ».

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Au centre de la face sud, deux Anges en posture contournée soutiennent un disque perlé et godronné où se détache l'Agneau Pascal.

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La face orientale, côté déambulatoire et immédiatement visible des fidèles, est consacrée au Christ du Jugement dernier. Le Christ est assis dans une mandorle godronnée à bord perlé, inscrite dans un rectangle dont les symboles des Evangélistes occupent les écoinçons. Jésus, les pieds nus sur un escabeau, esquisse un geste de bénédiction et tient un livre de sa main gauche. Le visage a été martelé. le nimbe crucifère est décoré. On notera le drapé du manteau.

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Disposés sur deux registres on trouve les vingt-quatre Vieillards de l’Apocalypse, couronnés et portant des instruments de musique.

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Douze Vieillards de l'Apocalypse trônent sous des arceaux superposés en deux rangs de part et d'autre, couronnés, ils portent une viole et un sceptre terminé par une boule. Le détail ornemental est extrêmement riche : les chapiteaux, les colonnettes, les bandes qui divisent le panneau sont guillochés de dessin divers, de petites architectures surmontent les arcs.

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 Un glacis décoré de palmettes aux tiges entrelacées et un bandeau bordé de perles entourent la dalle plate du couvercle. Une pomme de pin surgit au milieu du bandeau orné de la dalle plate du couvercle, mais au milieu quatre Anges élèvent une "gloire ». Dans l'ovale godronné siège la Vierge-Mère.

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La Vierge tient un court sceptre dans la main droite, et maintient contre elle, debout sur son genou gauche, l'Enfant qui passe un bras autour de son cou. Le pan droit du manteau entoure l'épaule et la tête nimbée ceinte du diadème, les pieds reposent sur un tabouret.

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La face sud répartit de la même manière douze autres Vieillards de l’Apocalypse. Leur vêtement et leur attitude sont toujours diversifiés par de légères nuances.
Aux jours de fête, en particulier, les foules voulaient accéder à la confession. Des pratiques locales sont à cet égard révélatrices.
Passer sa tête dans une ouverture pratiquée dans un tombeau-reliquaire ou passer dessous le tombeau du corps saint c’est toujours être en contact étroit avec ce dernier. Ces pratiques locales inspirées par la tradition peuvent être repérées en maints endroits.


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Ainsi, c’est derrière l’autel qu’aujourd’hui encore on peut voir une telle singularité à l’église de Saint-Menoux, Allier : le « debredinoire ». Par l’ouverture latérale pratiquée dans ce tombeau-reliquaire le «  bredin »- simple d’esprit - glissait sa tête afin d’obtenir la guérison et de retrouver la raison par la proximité des reliques du saint. dizier
Crédit photo:  http://balado.planet.fr/ 

Les malades venaient en ce haut lieu de pèlerinage à l’église de Saint-Dizier-l’Evêque ,Territoire-de-Belfort, avec l’espoir de guérir leurs maux de tête. Ils la plaçaient sous la pierre des Fous, située dans la crypte, près du tombeau (milieu du XIIe siècle ) dans lequel sont conservées les reliques de Desiderius, évêque selon la légende et futur saint Dizier. Ce tombeau, qui d’ailleurs ne remonte pas au delà du milieu du XIIe siècle, n’est autre chose qu’une pierre creusée en forme de petite cellule, avec deux portes.
                         A la crypte de l’église d’Ahun, Creuse, le bredin qui voulait retrouver la raison devait passer de même sous le tombeau de saint Silvain, patron de l’église locale.

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Crypte de l’église d’Ahun, Creuse.

Les reliques provenant de la dépouille d’un saint, que ce soit sous la forme d’un corps entier ou même sous la forme de simples éléments corporels sanctifient par leur présence l’église terrestre, de par leur fonction d’intermédiaire entre le monde d’en bas et le monde d’en haut. Pour faciliter l'accès des pèlerins, on aménageait les sanctuaires, de telle sorte qu’on puisse approcher des reliques vénérées voire de déambuler tout autour. 
Les pèlerins désiraient toucher ou faire toucher aux reliques des linges qui en seront, estimait-on eux-mêmes sanctifiés. Pour répondre en toute sécurité à ces attentes des moyens pour y faire face furent imaginés. Il en est ainsi des fenestellae qui permettaient de voir la confession à travers des ouvertures ; bien sûr, celles-ci ont l’inconvénient de tenir à distance mais évitent les dérives toujours possibles d’un contact direct. Ces fentes dans la maçonnerie se présentent aussi sous forme de percements de jours au niveau des marches d’accès.

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Eglise de Saint-Saturnin, Puy-de-Dôme.


En fait il faut distinguer deux sortes de reliques: les reliques réelles que sont les éléments du corps des saints ( fragments d’os, cheveux...) et les indirectes, linges ou objets ayant été en contact avec les restes vénérés qui pour avoir touché le corps sacré possèdent les mêmes vertus.
La majorité des reliques conservées dans les églises n'étaient que des parties, voire seulement des fragments de corps, ou encore des objets ayant appartenu aux saints et saintes.
En dehors des fragments utilisés pour les autels, on conservait ces reliques partielles dans des
reliquaires, dont les formes ont connu une très grande variété.
Il était toujours possible d’avoir plusieurs tombeaux pour un seul corps, soit que celui-ci fut morcelé cœur, os…
Les saints étaient tous thaumaturges et intercesseurs, et le peuple devait communiquer directement avec leurs reliques, les toucher, afin de recevoir le flux bénéfique qu’elles émettaient. Il y avait autant de tombeaux et de reliquaires que de fragments de leur corps.

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Ancien prieuré Saint-André, Mirebeau. Musées de Poitiers, Vienne.
Châsse-reliquaire : prêtre en position d'orant.

Cette châsse-reliquaire, probablement peinte à l’origine, est sculptée uniquement sur une des quatre faces. On observe un religieux, tonsuré, en prière.
Les trous, de part et d’autre de la tête, seraient destinés à l’origine à passer des bâtons dont l’extrémité recouverte de tissus se trouvait sanctifiée au contact des reliques.
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Coffre-reliquaire de saint Porchaire, église Saint-Porchaire, Poitiers, Vienne.

Porchaire mourut vers l'an 600, jouissant déjà d'une grande réputation de sainteté. La construction d'un sanctuaire plus vaste vers 944-950 fut entreprise car sa tombe devint rapidement un lieu vénéré. Les restes du saint, logés dans un sarcophage de pierre, furent transportés dans une crypte de cette nouvelle église qui reçut le vocable de Saint-Porchaire. En 1951, le sarcophage du Xe siècle fut sorti de la crypte et placé au centre du chœur de l'église actuelle.
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Le couvercle porte une inscription latine : "In hoc tumulo requiescit scs Porcharius" : Dans ce tombeau repose Saint Porchaire.

La forme la plus classique et la plus répandue est la châsse : coffret, cassette. La forme la plus courante des châsses imitait la structure d'une maison, d'une église ou d'une tombe.

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Crédit photo pinterest.com:

Châsse de Mumma, VIIe siècle, tôle de cuivre doré sur âme de bois. Réalisée pour l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), qui s’appelait jusqu’au VIIIe siècle Fleury-sur-Loire, où elle se trouve encore aujourd’hui.
Frise de six apôtres traitée au repoussé sur une tôle de cuivre appliqué à un reliquaire de bois.

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Eglise de Mozac, Puy-de-Dôme.


La châsse de saint Calmin, chef-d'oeuvre de l'émaillerie limousine, date de 1168. La face principale montre le Christ en gloire et en croix entouré des douze apôtres.

Le Trésor de l'abbaye Saint-Pierre de Beaulieu-sur-Dordogne, Corrèze, dispose de bras reliquaires et d'une châsse en émaux du XIIIe siècle.

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Les bras reliquaires de sainte Félicité et de saint Emilien comportent un évidement pour contenir les précieuses reliques.

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La châsse, œuvre de l'émaillerie limousine, présente une iconographie des Rois mages. Ici ils se rendent vers Bethléem tenant leurs présents. On peut observer le premier cavalier montrant du doigt l'étoile qui les guide vers l'Enfant.

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Jésus, assis sur les genoux de sa mère, bénites trois mages apportant leurs offrandes.

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Crédit photo: G.Garitan Wikimedia Commons.

Email à champslevé du Limousin, ornée d'oiseaux et d'apôtres, faisant partie du trésor de la cathédrale Châlons.

Les statues reliquaires

À partir du IXe siècle, de nouvelles formes « révolutionnaires » apparurent : les statues reliquaires. Elles représentaient le saint ou la sainte dont elles contenaient aussi les reliques, déposées dans une cavité située soit dans la tête, soit dans la poitrine ou dans le dos de la statue. La « Majesté » de sainte Foy de Conques, abritant les reliques d'une martyre, le plus ancien témoin conservé de cette nouveauté, et en grande partie exécutée au Xe-XIe siècle. La jeune fille couronnée est assise sur un trône, dans une position hiératique, fixant d'un regard intense le spectateur. Toute la statue est recouverte de plaques d'or, d'argent, de camées, de pierres précieuses.

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Crédit photo: http://www.art-roman-conques.fr/reliquaire-foy.html
Majesté de sainte Foy, statue-reliquaire en or. Trésor Ecclésiastique de Conques.


Le reliquaire de Sainte-Foy, chef-d'oeuvre de l'art médiéval, est aussi un émouvant témoignage du culte des reliques et des pèlerinages qui se développent au début du Moyen Âge.
Les reliques de sainte Foy, jeune vierge originaire de la ville d'Agen, brûlée puis décapitée pour avoir refusé de renier sa foi en 303, arrivèrent furtivement à Conques au IX
e siècle. Elle remonterait aux alentours de 864, date où les reliques ont été dérobées dans une église d'Agen par les moines de Conques ! Cette translation s'explique par le larcin d'un moine conquois, Ariviscus, qui les soustrayait ainsi à la menace des pillages normands, vers 866. La Majesté de sainte Foy est un reliquaire qui contient le crâne de sainte Foy. La statue est une châsse qui abrite les reliques de la sainte qui ont assuré la prospérité de l'abbaye de Conques, dans l'Aveyron.
La possession du corps entier d'un saint ou d'une sainte était particulièrement recherchée. Bien naturellement, on abrita le corps saint dans son tombeau, en général embelli de sculptures, ou rehaussé de plaques de métal précieux. Pour faciliter l'accès des pèlerins, on aménageait les sanctuaires, ce qui permettait aux fidèles de toucher le tombeau (directement, ou au moyen de linges qu'on y descendait) ou de déambuler tout autour. Mais les reliques se trouvaient aussi déposées dans les autels, ou dans des niches autour du chœur de l'église. D'une façon générale, leur emplacement dans le sanctuaire déterminait la disposition des différents éléments constituant l'édifice tels que chapelles ou cryptes.
Mais la plupart des reliques que l'on conservait dans les églises n'étaient que des parties ou seulement des fragments de corps, ou encore des objets ayant appartenu aux saints, comme un bâton pastoral, un vêtement, une chaussure, un calice, un anneau, etc. En dehors des fragments utilisés pour les autels, on conservait ces reliques partielles dans des reliquaires, dont les formes ont connu une très grande variété. La forme la plus classique et la plus répandue est la châsse : coffret, cassette, boîte. Certaines d'elles étaient en métal pur, en os, en pierre, mais le plus souvent, une châsse avait une « âme » en bois, que l'on recouvrait de métal précieux (or, argent) ou semi-précieux (laiton), et décorait de pierres précieuses, de camées ou simplement de cabochons en verre. En Occident, l'orfèvrerie héritée de l'époque des invasions investit l'art somptuaire et en particulier les châsses dès le VIIe siècle. La forme la plus habituelle des châsses imitait la structure d'une maison, d'une église ou d'une tombe.
Faite de plaques d'or et d'argent sur une âme de bois, la chasse a été au fil des siècles très remaniée et incrustée de bijoux.

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Notre-Dame du Mont Cornadore, Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme.

Bois polychrome et marouflage partiel. Comme toujours la Vierge en position frontale tient l'Enfant sur ses genoux.

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Notre-Dame du Mont Cornadore, Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme.

La vue de dos révèle l'existence d'un reliquaire. Une serrure assurait la protection des précieuses reliques.

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Musée du Louvre.

Vierge en majesté provenant d'Auvergne. Elle comporte une cavité destinée à abriter des reliques.


En dernière analyse on peut dire avec Edina Bozoky que l'art des reliquaires transcende et sublime la mort, manifestant la croyance en la force miraculeuse qui anime les corps saints. (2005)


Les voyages post-mortem des reliques: trois exemples

✏︎La translation du corps de saint Benoît
Dès le haut Moyen Âge, les premières translations des corps saints furent organisées : on les extrait de leur tombe originelle pour les installer dans un lieu plus sûr ou dans un sanctuaire plus digne, à la mesure de la vénération dont ils doivent être l'objet. L’adventus - avènement- c’est-à-dire leur arrivée à leur nouvelle destination, est souvent célébrée en grande pompe. Les saintes reliques sont alors déposées soit dans une crypte, soit dans un autel.

Par exemple, vers 660, un voyage est effectué au Mont-Cassin à l'initiative du deuxième abbé de Fleury, Mommole, parti avec quelques moines dérober les reliques de saint Benoît, sous prétexte de les soustraire à l'impiété des pilleurs Lombards. Une frise du linteau du portail nord de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire rappelle ce fait.


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Abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, linteau du portail nord.

Cette frise rappelle trois évènements : le recueil des ossements au Mont Cassin ; le miracle de la résurrection des enfants qui permit de séparer les restes de saint Benoît de ceux de sa sœur sainte Scolastique ; l’arrivée des reliques à l’abbaye de Fleury qui prendra le nom de Saint-Benoît-sur-Loire.

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Saint-Benoît sur Loire, linteau du portail nord. L’arrivée des reliques de saint-Benoît à l’abbaye de Fleury ; des moines portent la châsse, tandis que des servants balancent un encensoir.



✏︎ La translation du corps de saint Martin de Candes à Tours
La dévotion aux reliques assurait la prospérité des sanctuaires, qui bénéficiaient des offrandes des nombreux pèlerins.
Ainsi, même si la façon la plus simple de se procurer des reliques était d’en ramener de Rome et d’Orient, réservoir inépuisable de corps saints, elles faisaient aussi couramment l’objet de transactions, de trafics et de vols. Le besoin de reliques étant devenu très grand, les pouvoirs spirituel et temporel se donnaient beaucoup de mal pour les obtenir, quitte à user de ruse.

La translation du corps de saint Martin de Candes à Tours est un bon exemple que les imagiers ont reproduite. On raconte que les Tourangeaux auraient volé le corps en le passant par une fenêtre !
Martin s’était éteint en novembre 397 à Candes, au confluent de la Loire et de la Vienne. Une délégation de Tours avait fait le déplacement à Candes en gabarre (le bateau traditionnel à fond plat de la Loire) afin de ramener le saint dans sa bonne ville. Poitevins et Tourangeaux qui se disputèrent le corps de Martin. Le récit de cet épisode rocambolesque nous a été laissé par un successeur de Martin : Grégoire, évêque de Tours.
« Dès que le saint de Dieu eut commencé à être malade, les gens de Poitiers se réunirent à ceux de Tours pour suivre son convoi. A sa mort, il s’éleva entre les deux peuples une vive altercation (…). Pendant qu’ils se disputaient, le jour fit place à la nuit ; le corps du saint, déposé au milieu de la maison, était gardé par les deux peuples.
Les portes ayant été étroitement fermées, les Poitevins voulaient l’enlever par force le lendemain matin ; mais le Dieu tout-puissant ne permit point que la ville de Tours fût privée de son patron. Au milieu de la nuit, toutes les troupes des Poitevins furent accablées de sommeil, et il n’y avait pas un seul homme de cette multitude qui veillât. Les Tourangeaux, les voyant endormis, prirent le corps du saint : les uns le descendirent par la fenêtre, d’autres le reçurent au dehors ; et, l’ayant placé sur un bâtiment, ils naviguèrent avec tout le peuple sur le fleuve de la Vienne. Étant entrés dans le lit de la Loire, ils se dirigèrent vers la ville de Tours en chantant des louanges et des psaumes. Les Poitevins, éveillés par ces chants, et ne retrouvant plus le trésor qu’ils gardaient, s’en retournèrent chez eux couverts de confusion. »
(http://www.collegialedecandes.fr)
Cette anecdote est figurée notamment sur une peinture murale de l’église Saint-Martin de Vic ( Nohant-Vic , Indre ).

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Eglise Saint-Martin de Vic ( Nohant-Vic ).

La mort de Saint Martin : à gauche, les moines de Poitiers sont endormis alors qu'à droite les moines de Tours font passer son corps par la fenêtre.

✏︎Les pérégrinations post-mortem de saint Philibert
Bâtisseur d’abbayes et grand voyageur de son vivant Philibert continua en quelque sorte à voyager pendant quarante ans après sa mort du fait des vicissitudes de l’histoire…

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Le « tombeau de Saint-Philibert » dans la crypte de l'église de Noirmoutier-en-l’île, Vendée. La tradition rapporte que les malades se plaçaient sous le tombeau pour obtenir leur guérison.
Philibert mourut sans doute en en 686 ou en 688; son corps y reposa après sa mort de 690 à 836. Le cénotaphe actuel ( tombe vide ) - couvercle de sarcophage ancien qui porte une croix pattée à son sommet - a été élevé seulement au XIe siècle.
Les moines de Noirmoutier, chassés par les Normands en 836, emportèrent avec eux sur le continent le corps conservé dans un lourd sarcophage de marbre de celui qui a tant fait pour l’île durant les dix années qu’il y vécut.
C’est ainsi que le sarcophage contenant les restes de leur fondateur s’est retrouvé dans la crypte de l’église de Déas - qui deviendra Saint-Philbert-de-Grand-Lieu- dans le pays de Retz.
Les Vikings parvinrent malheureusement au lac de Grand Lieu et incendièrent l'abbaye de Déas en 847. Les moines s'enfuirent encore, à Cunault cette fois, en laissant le lourd tombeau de Philbert bien caché dans la crypte. Ils revinrent récupérer les reliques placées dans un simple sac de cuir en 858.
Après seize années passées à Cunault les moines reprirent la route en emportant les reliques de leur saint vénéré successivement à Messais ( Vienne ), à Saint-Pourçain-sur-Sioule dans l’Allier et enfin à Tournus, Saône-et-Loire où elles sont encore aujourd'hui conservées.

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Crédit photo: Selbymay Wikimedia Commons

Son sarcophage en marbre peut être admiré aujourd’hui dans l’ancienne église carolingienne de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, Loire Atlantique.

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Crédit photo: Christophe Pinot Commons.wikimedia.org

Châsse contenant les reliques de saint Philbert dans l’abbatiale romane de Tournus,

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Les pèlerins vénèrent les reliques dans l'espoir que les saints leurs serviront d'intercesseurs. Par le biais de la sainteté c’est la vie d’une personne qui a vécu avec le Christ qui est donnée en exemple aux fidèles.
Au final « par tous ces moyens d'expression, l'art des reliquaires transcende et sublime la mort, manifestant la croyance en la force miraculeuse qui anime les corps saints » pourra écrire
Edina Bozoky, Maître de conférence en histoire médiévale à l’université de Poitiers ( Septembre 2005, Copyright Clio 2015).
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