Cool Text Le monde secret _                      des cryptes romanes 137027555385368
De l’influence du culte des reliques sur un type architectural

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Crypte de Notre-Dame de la Couture, Le Mans, Sarthe.


Ce site n’entend pas présenter un corpus exhaustif des cryptes en France *, mais d’offrir modestement une évocation imagée limitée d’une architecture religieuse à l’âge roman ; en bref, il s’agit d’une invitation à découvrir un monde d’autant plus rempli de secrets qu’il nous est souvent mal connu.
* Pour une analyse fondée sur un corpus de 375 cryptes recensées par Christian Sapin on pourra se référer à l’ouvrage fondamental de cet archéologue et historien de l’art, - Le monde des cryptes, Picard, 2014.

Vous avez dit crypte ?

Le terme de crypte correspond initialement à des lieux souterrains, cachés ou des grottes. Il y a une notion de protection associée à ce mot qualifiant un lieu retiré.

Dans le langage de l’architecture et de la liturgie, si l’on se rapporte au Glossaire de Zodiaque, à l’origine, la crypte est une excavation creusée pour abriter le corps d’un martyr. Plus tard, lorsqu’on construisit des églises, on ménagea sous la construction une chapelle souterraine, la crypte, où était renfermé le corps d’un saint. La crypte était plus grande que la confession, petit édifice sur lequel était édifié l’autel et qui contenait les restes d’un martyr ( 1965, p. 159 ).

La crypte : sacralité d’un espace.
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Crypte de Plassac, Charente.

« La crypte assure à l’église sa dimension temporelle, sa mémoire. Au point…que l’on chercha toujours à ancrer cette mémoire et cette origine du site dans un temps toujours plus reculé, si possible dans l’espace des reliques des grands saints des tout premiers siècles. »  ( C. Sapin, 2024, p. 10 )
Liée au culte rendu aux martyrs, la crypte s’est ainsi développée à partir de la confession. Pour le dire avec les termes d’un spécialiste « un ferment a fait lever cette pâte, et la crypte se développe autour du grain tombé en terre, de la tombe du martyr enfouie dans la cavité centrale ; juste au-dessus, l’autel de l’église supérieure. Ce serait trop peu de dire que celle-ci est portée par celle-là : elle y trouve ses fondations, et sa source. De par sa « confession  », sa profession de foi, non seulement en paroles mais en actes et en donnant toute sa vie, le martyr a joint la communauté chrétienne dont il était membre au mystère pascal du Christ; elle s’y enracine et puise dans cette jonction originelle, la confiance de perpétuer sacramentellement cette union aux messes que l’Eglise continue de célébrer au cours des siècles, dans le grand jour de l’église supérieure » Qu’ajouter à ces propos de Dom Claude Jean-Nesmy, ( Zodiaque, 1973, p.17-18 ).
Ainsi, si la crypte est un lieu d’hébergement des corps saints, qui, lors de leur décès ou un court laps de temps après, en raison des vertus qu’on leur reconnaît et des miracles qu’on leur attribue, deviennent l’objet d’un culte.

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Le linteau du portail nord de Saint-Benoît-sur-Loire ( Loiret ) montre les miracles qui se produisent lors de la translation des reliques de saint Benoît jusqu'à Fleury.

Les reliques provenant de la dépouille d’un saint, que ce soit sous la forme d’un corps entier ou même sous la forme de simples éléments corporels sanctifient par leur présence l’église terrestre, de par leur fonction d’intermédiaire entre le monde d’en bas et le monde d’en haut.

Ces cryptes deviendront au fil du temps un objet de pèlerinage organisé de telle sorte qu’on puisse approcher des reliques vénérées voire circuler autour d’elles. 
Il serait vain de considérer uniquement la crypte « comme un espace clos sur lui-même. C’est avant tout un endroit dans lequel on accède ; on franchit une porte pour un autre lieu. Le transitus vers ce dernier, où se trouvent le corps saint ou les reliques, est déjà un pas vers le ciel  »  écrit Christian Sapin ( 2014 p.143 ).
Aux jours de fête, en particulier, les foules voulaient accéder à la confession.
Des pratiques locales sont à cet égard révélatrices. Passer sa tête dans une ouverture pratiquée dans un tombeau-reliquaire ou passer dessous le tombeau du corps saint c’est toujours être en contact étroit avec ce dernier.
Ces pratiques locales inspirées par la tradition peuvent être repérées en maints endroits. Ainsi, c’est derrière l’autel qu’aujourd’hui encore on peut voir une telle singularité à l’
église de Saint-Menoux ( Allier ) : le « debredinoire ». Par l’ouverture latérale pratiquée dans ce tombeau-reliquaire le «  bredin »- simple d’esprit - glissait sa tête afin d’obtenir la guérison et de retrouver la raison par la proximité des reliques du saint.

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A la crypte d’Ahun ( Creuse ) présentée ci-après dans le site , le bredin qui voulait retrouver la raison devait passer quant à lui sous le tombeau de saint Silvain, patron de l’église locale.

C’est aussi les pèlerins en marche vers Compostelle, pour les cryptes se trouvant sur leur chemin comme à Saint-Eutrope ou à Saint-Gilles, qui désiraient toucher ou faire toucher aux reliques des linges qui en seront, estimait-on eux-mêmes sanctifiés.
Pour répondre en toute sécurité à ces attentes des moyens pour y faire face furent imaginés.
Il en est ainsi des
fenestellae qui permettaient de voir la confession à travers des ouvertures ; bien sûr, celles-ci ont l’inconvénient de tenir à distance mais évitent les dérives toujours possibles d’un contact direct.
Ces fentes dans la maçonnerie se présentent aussi sous forme de percements de
jours au niveau des marches d’accès.
Pour gérer l’afflux des pèlerins qui désirent approcher des corps saints, il existe également la possibilité d’une circulation directe, mais contrôlée vers la crypte, en instituant un sens giratoire unique. Entrés par une porte les pèlerins suivent un couloir semi-circulaire. Ils font ainsi le tour de la confession par-derrière et ressortent par une autre porte, symétrique de la première.

Les divers types architecturaux de cryptes.
On trouve des formes variées de cryptes, des humbles et sobres petites chapelles aux églises basses ainsi souvent dénommées en raison de leurs vastes dimensions doublant parfois véritablement les sanctuaires supérieurs ou églises hautes.
Trois grands types de formes et de structures peuvent être distingués.

* Les modestes espaces souterrains .
On est en présence de petites salles de plan carré ou rectangulaire souvent voûtées en berceau permettant un accès direct ; de dimensions restreintes elles n’ont pas besoin de supports.

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Crypte de Saint-Pierre de Nonac, Charente.


* La crypte-halle, plus vaste que la simple salle, se présente comme un espace voûté, d’arêtes à plusieurs vaisseaux de même niveau ouverts les uns sur les autres que compartimente des séries de colonnes.

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Crypte de l’église de Champdeniers, Deux-Sèvres.

La crypte à déambulatoire dispose d’une partie centrale, pouvant être fermée ou ouverte, entourée d’un couloir de circulation ( déambulatoire ) desservant des chapelles.

Ce plan particulièrement adapté au culte des reliques facilite le déplacement des fidèles autour de la crypte. Il est donc souvent utilisé pour des églises de pèlerinage car il combine des espaces destinés aux offices religieux et d'autres dévolus à l’accueil des pèlerins.

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Crypte à déambulatoire de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.


A noter qu’avec les cryptes-halle on assiste à une multiplication des supports et donc des chapiteaux sculptés, parfois historiés, intermédiaires entre colonnes et voûtes.

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Chapiteau de la crypte de Saint-Parizé-le-Chatel, Nièvre.

Réduite aux dimensions modestes de simples cryptes d’églises rurales, cette architecture si sobre n’en garde pas moins son caractère d’espace de méditation et de recueillement ; le seul jeu savant de l’ombre et de la lumière, laisse apparaître de l’architecture tout juste ses volumes, autrement dit son intériorité.
Dans ces cas nous sommes bien sûr loin de l’art et de l’esprit de Saint-Benoît-sur-Loire, de Saint- Eutrope de Saintes ou de Saint-Gilles-du-Gard ; et pourtant ces formes architecturales, d’un type ou d’un autre, si splendides ou si sobres, si complexes ou si modestes, restent si émouvantes et si parlantes que toute glose les affaiblirait !
On laissera donc avant tout les images délivrer toute leur puissance d’évocation.

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Crypte de Notre-Dame de Lusignan, Vienne.


En tout cas, parvenir à la crypte, seul ou en procession, dans la pénombre seulement éclairée par la lumière vacillante de la lampe à huile et la lueur des cierges, devait provoquer une profonde émotion chez le fidèle.
A n’en pas douter son architecture et son atmosphère font de la crypte un de ces lieux où les amateurs d'art et les esprits méditatifs se rejoignent dans la pénombre et le silence.
L’incroyant lui-même éprouve parfois le sentiment étrange que ces vénérables pierres l’invitent à méditer sur la condition de l’homme.
La crypte, en tant que lieu d’expression d’une pratique cultuelle, ne doit-elle pas être présente à l’esprit du visiteur d’aujourd’hui qui veut en redécouvrir pleinement le sens ?

Dans notre modeste corpus de données - où font défaut des monuments célèbres - nombre de nos anciennes églises possèdent des cryptes qui remontent à une époque très reculée : les unes ne sont que des salles carrées, voûtées en berceau ou en arêtes ; d'autres sont de véritables églises souterraines avec collatéraux, chapelles rayonnantes avec des usages pluriels, de la piété individuelle aux grandes processions communautaires.
On les découvrira présentées par
provinces romanes.

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