Avignon : le fleuve et le berger
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Mince flèche lancée sur le Rhône, le pont Saint-Bénézet paraît bien trop étroit pour qu'on danse tous en rond. Aussi est-ce sous le pont, dans l'île de la Barthelasse que "les beaux messieurs et les belles dames" se retrouvaient pour danser.
Mince flèche brisée... Au XVIIe siècle, au terme d'un ultime combat contre le Rhône, le pont est définitivement vaincu par le fleuve et les efforts des architectes seront consacrés à la sauvegarde du superbe vestige.
La légende du pont de pierre...
Sans doute lassé de voir surgir trop de "ponts du diable" – même si le diable est toujours dupé – le Christ, un jour décida de prendre l'initiative.
En 1177, le jeune pâtre ardéchois Bénézet, c'est-à-dire le petit Benoît, entendit Jésus lui commander de laisser les brebis et d'aller contruire un pont sur le Rhône. L'enfant est conduit par un ange depuis Burzet, dans le Vivarais, jusqu'à l'actuelle Villeneuve-les-Avignon, ce qui représente quand même 160 km en prenant au plus court!
Il traverse le Rhône et va droit sur l'évêque qu'il interrompt en plein prêche et lui déclare qu'il va construire un pont. L'évêque le prend pour un fada et l'emmène chez le viguier. Bénézet raconte tout à l'officier de justice et ce dernier, flairant qu'il y a peut-être anguille sous roche, lui dit "Je te donnerai une pierre que j'ai dans mon palais, et si tu peux la remuer et la porter, je te croirai capable de construire un pont".
Certain que Dieu l'aidera, Bénézet s'en va dire à l'évêque de venir avec les fidèles pour assister à l'épreuve. Naturellement, la pierre est énorme, et surnaturellement l'enfant la soulève et la porte à l'emplacement qu'il a choisi pour poser la première pile du pont. Le viguier baise pieds et mains de l'enfant et lui donne 300 sous. La collecte fut de 5000 sous en ce premier jour.
Combien valait un sou d'Avignon au XIIe siècle? Tout ce que peuvent dire les auteurs de ce site, c'est que le pouvoir d'achat du sou en 1787 était à peu près celui de l'euro en 2005.
Quand Bénézet meurt en 1184, il avait une vingtaine d'années.
Un acte de 1185 fixe le tarif du péage pour le pont, qui est donc achevé. Le texte dit aussi "Quand frère Bénézet, de pieuse mémoire, commença le pont..." Et en effet, on sait qu'une confrérie fut fondée afin de collecter les fonds destinés à la construction du pont, mais aussi pour surveiller les travaux, etc. Bénézet en était le directeur.
Enseveli dans la chapelle Saint-Nicolas, son tombeau devient vite un lieu de pélerinage. En 1202, un texte parle de Beatus Benedictus, le Bienheureux Benoît.
... et l’histoire du pont de bois
Au cours de la Croisade des Albigeois, les armées de Louis VIII ont dû assiéger Avignon pour traverser le Rhône et aller combattre raymond VII de Toulouse. En 1226, après un siège de plusieurs mois, les Croisés détruisent le pont. Comme celui-ci était sur une terre de l'Empire germanique, ils s'en justifient dans une lettre à Frédéric II, précisant qu'il s'agissait d'un pont de bois. Cela expliquerait qu'il ait été si rapidement construit et si rapidement détruit.
Saint Louis soutint par la suite l'Œuvre du Pont dans la reconstruction. Mais l'Esprit-Saint venant aider les bâtisseurs d'un autre pont une quinzaine de lieues en amont et, cette fois, sur le domaine royal français, il n'y avait plus à hésiter: les Avignonais furent priés de s'aider eux-même sans que le Ciel ni les puissants les aident davantage.
Le pont fut terminé en 1293. Mais chaque crue du Rhône ouvrait de nouvelles brêches. En 1660, le pont est définitivement brisé après la 4e arche.
En 1670, les reliques de Bénézet furent transférées dans une autre église, où elles furent saccagées pendant la Révolution.
En 1874, Henry Revoil (1822-1900) consolida les arches, les piles et la chapelle. Architecte en chef des Monuments Historiques, il a travaillé à Saint-Trophime, à Sylvacane, au Thoronet, à Montmajour, au Palais des Papes et sur beaucoup de vestiges antiques de Provence. Il était le fils de Pierre Revoil dont nous avons parlé à propos de Montmajour et qui avait sauvé tant d'éléments du cloître.
Archéologie et architecture du pont
Le pont entier avait un tablier de 915 m et comportait 22 piles distantes de 42 m environ sur leur entraxe.
Les sondages effectués en 1965 ont révélé des couches de bois sous les piles, ce qui signifie que des caissons préparés sur les berges et portant de très grandes quantités de pierres ont été immergés par surcharge à l'emplacement prévu des piles.
D'autres observations, comme des marques de tâches à la base des piles, viennent renforcer l'idée qu'un pont romain en pierre a été construit entre 290 et 530. Détruit pendant les invasions, ses piles ont été réutilisées au XIIe siècle pour soutenir un pont de bois.
En effet, un pont de pierre n'aurait pas pu être construit si vite. L'édification du pont de pierre de Pont-Saint-Esprit, avec toutes les ressources du roi de France, sans compter l'aide de l'Esprit-Saint, demandera plus de 40 ans.
Ce n'est qu'au XIIIesiècle qu'un nouveau pont de pierre a été lancé sur le Rhône. Les quatre arches qui subsistent ont été reconstruites vers 1345 sur ordre de Clément VI.
C'est à ce type d'arche surbaissée que l'on doit la finesse et la relative solidité du pont.
Le pont de pierre était plus haut que le pont de Bénézet, mais moins haut que le pont romain dont les arches n'étaient pas surbaissées. Les arches romaines devaient avoir l'aspect de celle du pont romain de Vaison.