L'Epine, d'océan, de marais et de traditions
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Des îles et des hommes.

De tout temps, la représentation la plus couramment partagée de l’espace insulaire est empreinte de mystère. Par la fascination qu’elle opère, l’ île exerce une attirance puissante sur le résident du continent.
C’est par sa différence par rapport à la référence territoriale continentale que l’île peut être perçue.
Pour les
continentaux, l’île évoque avant tout l’océan ; l’océan qu’il faut franchir afin de parvenir à l’espace insulaire toujours rêvé différent .
Pour ses
habitants, l’île signifie d’abord la terre nourricière ; la mer fournissant le goémon pour fertiliser les sols, apportant l’eau pour les marais salants et, même pendant longtemps, les épaves des naufrages pour la construction...

Les îles sont-elles encore des îles lorsque les bacs déversent leurs essaims de touristes ou quand les ponts enjambent orgueilleusement les bras de mer, permettant l’invasion des migrants de la journée ? Au bout du passage - débarcadère du bateau, extrémité du pont - que reste-il de l’authenticité attendue ?
L’île réelle est bien différente de l’île projetée. De l’autre côté de la mer, identité et tradition ne se cantonnent plus aux valeurs du passé. Sans doute, l’ilien entend-il culturellement le demeurer, mais il souhaite encore plus bénéficier des fruits du développement économique. Toute la difficulté est de trouver l’équilibre entre conservation de l’espace naturel et valorisation du patrimoine. Comme on l'a vu, c'est l’alliance de la modernité et de la tradition qui livre aujourd'hui la clé de lecture de tout l’espace épinerin.

La vie sociale à L'Epine à la fin des années 30
par Michel ADRIEN


" Comme il n'y avait ni télé, ni radio, ni voiture, ni estivants, nous étions un peu coupés du monde car dans une île, ou presque. A L'Epine, nous étions peut-être un peu plus à l'écart, il n'était pas rare de rencontrer quelqu'un n'ayant jamais mis le pied sur le continent, passé le Gois comme on disait. La vie était organisée, surtout au rythme de la religion, avec les fêtes, les messes, les vêpres, le carême, etc,
Le dimanche était un lieu de rencontre et les bistrots près de l'église faisaient le plein. Le dimanche des Rameaux, l'évangile était interminable et, la flottille de caseyeurs de L'Epine n'ayant pas encore appareillé pour la campagne, tous les marins se trouvaient là, un peu obligés par leurs épouses d'assister à la messe. Heureusement que la tradition affirmait que la la direction des vents, pendant l'évangile des Rameaux, déterminait la direction de ces mêmes vents pour la majeure partie de l'année. Alors, dès que le curé entamait le long récit de la passion du Christ, on apercevait tous les marins prendre leurs casquettes et se diriger, avec un grand sérieux, vers la sortie ; c'était important, les femmes le comprenaient bien. Le patron du bistrot aussi, qui avait tout prévu pour faire face à un afflux aussi conséquent d'observateurs des vents...
Mais en dehors des événements liés à la religion, la vie sociale était intense.
L'hiver, presque chaque soir, après souper, nous allions " veiller ". Une fois chez l'un, une fois chez l'autre, nous nous regroupions dans la " cornère ". La " cornère " est un espace autour du feu composé de deux bancs latéraux où l'on pouvait tenir quatre ou cinq personnes de chaque côté, une tenture nous isolait de la pièce jusqu'à mi-hauteur. Là, dans la chaleur de l'âtre, à la seule lumière du feu, parfois d'une chandelle de résine, nous étions bien ; les anciens racontaient des histoires de sorciers, d'envoûtement, d'exorcisme. "

" La vie à L'Epine à la fin des années 30. Mémoire d'un autochtone ", in LETTRE AUX AMIS, Automne 2007, Septembre, n° 147, pages 10-11

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Sur la tradition populaire

A L’Epine, comme dans toute l’île, les peurs ancestrales, les revenants, la sorcellerie faisaient partie de la mémoire populaire. Qu'il s'agisse de superstitions locales, d'hallucinations, de phénomènes étranges, d'êtres fantastiques les zones de marais et de dunes ont longtemps constitué un riche vivier légendaire.


Le « Pré Courtet » était considéré comme l’un des lieux de réunion des sorciers. La tradition rapporte que ces derniers empruntaient le pont du « Marais Neu » pour se rendre au sabbat, criant et dansant autour de grands feux.


La
côte Ouest, battue par les vents et les flots, était propice aux rencontres avec les sirènes. La tradition orale n'a-t-elle pas rapporté, qu'en des temps très anciens, des " femmes-poissons " vinrent s'échouer sur les roches de Morin ?



Les récits de peur, de sorcellerie, de sirènes étaient ainsi autrefois souvent rapportés au cours des veillées.
** Empruntons, à titre d'exemple, le conte merveilleux rapporté par Madame Lydia Gaborit-Commard dans son ouvrage : " L'île de Noirmoutier. Paroles de conteurs, éditions de Le Fresne- 61110 Verrières, 2005, pages 71-72.L'Etrave




** Il convient de voir également les riches travaux d'Eva Pénisson dans lesquels elle rapporte maints de ces récits populaires :
- Noirmoutier, une île sous la mer, UPCP-Geste paysanne, 1990.
- Noirmoutier, une île en mémoire, UPCP-Geste paysanne, 1992.