BIBLE DE PIERRE, BIBLE IMAGINAIRE


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Benet 0065
Envoi : Y-a-t-il une vérité des pierres ?

Au terme de ce parcours virtuel dans l'imagerie romane d'inspiration explicitement religieuse il n'est pas inutile de revenir sur l'interpellation formulée à la fin de l'introduction : " y-a-t-il une vérité des pierres ? "
Une double interrogation peut pour le moins être posée. D'abord, en quel sens convient-il d'utiliser l'expression " Bible de pierre " ? Ensuite, quel est le statut de l'image dans un édifice cultuel roman ?

Pour séduisante qu'elle puisse paraître au premier abord
l'expression de Bible de pierre pose plus de questions qu'elle n'en résout.
** Naturellement, contempler le patrimoine sculpté roman revient à reconnaître les livres de pierre en tant que chemins de lumière voulus par les bâtisseurs et artistes selon les instructions générales des commanditaires délivrant le message chrétien dominant de l'époque. Si la liberté créatrice du sculpteur est grande, si son talent n'est nullement le même, il n'en demeure pas moins qu'il est raisonnable de penser qu'au moins une part de ce qui figure dans un édifice religieux, aux XI-XIIe siècles, doit avoir un rapport avec les valeurs de la tradition spirituelle d'une époque de foi. C'est pour cette raison que M.T. Camus et E. Carpentier ont pu écrire que " l'église est un livre dont l'agencement et le décor figuré doivent enseigner l'histoire du salut et le message chrétien. L'église est le symbole de l'Eglise " ( 2010, p. 41 ). L'histoire sainte et les scènes christologiques seront ainsi à la base des oeuvres des sculpteurs et peintres médiévaux. C'est pour cela que l'on a pu parler à propos de certains édifices parmi les plus prestigieux - à l'instar de l'abbatiale de Vézelay - de véritables Bibles de pierre étant donné le nombre d'images sculptées inspirées des Ecritures dont ils disposent.

* C'est l'expression même qui fait difficulté car
rares sont les grands programmes iconographiques. Nous savons généralement peu de choses tant de ceux qui ont conçu le projet de construction que de ceux qui ont réalisé les travaux. Devant le foisonnement d'images si diverses rencontrées dans ces sanctuaires l'observateur contemporain ne cesse de se demander s'il existait un projet iconographique à l'origine du décor historié ?
On est tenté de retrouver un programme global dont les divers éléments sculptés - ou peints - seraient convenablement ordonnés dans les différents emplacements du lieu sacré, à l'exemple des
fresques murales de l'abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe. Emmanuelle Jeannin nous suggère ainsi que dans cette église abbatiale le programme iconographique répond aux fonctions et à la symbolique de chaque espace de l'édifice. " Sous le porche, lieu d'accueil, Jésus triomphant accueille les fidèles. Près de l'autel, où l'on communie avec le pain et le vin, sont peints le froment de Joseph et le vin de Noé. Les saints, supports de la vie liturgique, ont leur place dans la crypte, support matériel de l'autel majeur de l'église...Dans la partie Ouest de la nef dévolue aux paroissiens, les scènes...ont trait aux rapports entre Dieu et les Hommes...Dans la partie des moines de choeur la plus proche de l'autel, les cycles...évoquent le péché, la trahison mais aussi l'espérance de ceux qui s'unissent à Dieu " ( 2008, p. 14 ). Dans le cas qui vient d'être évoqué, il y aurait une identification liturgique des différentes parties de l'édifice.

Pour le décor sculpté
la façade de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers est sans doute un bon exemple. En un nombre restreint de personnages les maîtres-sculpteurs sont parvenus à représenter l'Eglise du Christ et les bases de la foi chrétienne en évoquant à grands traits l'histoire du Salut.
Les ateliers à l'origine des riches sculptures d
'Autun, Conques, Moissac, Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Trophime d'Arles, Saint-Gilles-du-Gard ou Vézelay nous offrent également un grand éventail de scènes d'inspiration explicitement religieuse, mais il est difficile de dire que ces images composent entièrement un programme global respectant l'ordre chronologique biblique. Ce sont de riches cycles de programmes qui retiennent l'attention par rapport aux milliers d'églises dans lesquelles les figures sont en nombre restreint et éparpillées dans l'espace ecclésial et où le fil conducteur théologique est loin d'être toujours évident pas plus que l'ordre chronologique biblique.

* La distribution du décor figuré des chapiteaux résulte-t-elle de décisions arbitraires, repond-elle à de simples considérations esthétiques, à des désirs pressants de certains commanditaires ou résulte-t-elle d'une liberté créatrice féconde sur le plan des sujets et des formes réservée aux maîtres-tailleurs ?
Au contraire, peut-on concevoir une adéquation analogue entre thème et localisation dans les forêts de chapiteaux figurés rencontrés dans maints édifices ?
Un chercheur, comme
Marcello Angheben, a essayé de montrer que la répartition des chapiteaux de nombre d'églises romanes de Bourgogne répondait à une certaine logique ordonnatrice. Son approche réside dans l'étude combinée des représentations mises en relation avec les textes médiévaux ainsi que dans l'adoption d' une méthode " syntaxique " conçue comme " la relation entre le thème et le contexte dans lequel il est intégré ".
C'est dire, là encore, qu'il y aurait des liens étroits entre le thème et le lieu ( façade, nef, choeur...).
L'édifice ecclésial étant perçu en tant qu'espace symbolique, on trouverait dans le choeur occupé par les clercs des représentations paradisiaques, des lions, des aigles.
L'église considérée en tant que projection de la Cité céleste dans un monde qu'il faut transformer et dans lequel il faut éradiquer les forces du Mal, on trouverait dans la nef - et en façade - des figures du combat spirituel : Daniel dans la fosse aux lions, Samson et le lion, des combats de guerriers, des hommes luttant avec des monstres, des anges affrontant des êtres sataniques...
Les mêmes relations ou d'autres types de rapports entretenus par les chapiteaux entre eux ainsi qu'avec leur localisation sont-ils repérables dans d'autres provinces clunisiennes ? Peut-être a-t-on là des champs de recherche à prospecter. Toujours est-il que l'observateur est invité à rechercher d'éventuelles configurations signifiantes de chapiteaux, lorsque ceux-ci sont assez nombreux, pour tenter de découvrir des bribes de programmes iconographiques.

* Si certaines compositions scéniques sont représentées en maints édifices - Adam et Eve, Daniel dans la fosse aux lions, les scènes de l'Enfance de Jésus, certaines compositions apocalyptiques - beaucoup d'autres ne se rencontrent qu'ici ou là. C'est pourquoi, dans cette initiation du regard, nous avons adopté une
démarche pluri-régionale - bien sûr critiquable - afin de réaliser une collecte significative de thèmes bibliques.
Même en procédant ainsi, nombre de scènes des Saintes Ecritures, tant de l'Ancien Testament que du Nouveau, font défaut. D
e nombreux écrits bibliques ne semblent pas avoir été évoqués en images à l'époque romane, à l'exemple de nombreuses paraboles.
En outre, les sculpteurs n'ont pas hésité à puiser leur inspiration dans des textes non reconnus canoniques par les autorités ecclésiastiques à l'exemple de la présence des deux sages-femmes dans la scène du bain de l'Enfant Nouveau-né.
( Protoévangile de Jacques et Evangile du Pseudo-Matthieu). St Tr faç 0429

En dernière analyse,
les sources d'inspiration des tailleurs et peintres ont une double origine : les Ecritures canoniques et les textes apocryphes et intertestamentaires, ces oeuvres reconnues comme dignes d'intérêt sans être pour autant retenues par la liturgie.

** Mais c'est à un autre égard que l'attention doit encore être portée : celui du statut de l'image dans un édifice religieux. Quelle est la fonction de la représentation sculptée ( ou peinte ) dans un espace sacré ? On dit couramment que l'image illustre le texte ; pourtant certaines oeuvres semblent aller plus loin que ce qui fait l'objet de la pure représentation.
Au même titre que le gothique, l'art roman exprime une association entre le visible du support, le sensible du décor figuré et l'immatériel, l'invisible de l'évocation théologique.
On présente traditionnellement les images romanes comme la Bible des illettrés. Dès la page d'accueil,
Michel Claveyrolas, a dénoncé ce lieu commun. De son côté, Jérôme Baschet écrit que les images " ne sont pas les sages et pâles décalques de la doctrine des clercs ou d'autres énoncés attestés par ailleurs... Loin des conventions lénifiantes d'un art dit religieux, elles ne cessent de surprendre l'observateur, à mesure même qu'il acquiert davantage de familiarité avec les images médiévales " ( Gallimard, 2008, pp .9-10 ).
Un des objets de ce travail a été de jeter quelques coups de projecteur sur la riche diversité et la formidable créativité inventive des maîtres-sculpteurs, par-delà la diversité des talents et des styles, le jeu des ateliers et des préférences régionales sans omettre l'influence de la nature même des matériaux travaillés.
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Une image, prise parmi les centaines offertes ici, permet de saisir d'un seul coup d'oeil comment l'emploi du terme " illustration " peut être perçu comme réducteur. Par la mise en page, la structure générale, l'harmonie l'artiste de génie parvient à mener l'observateur au-delà du visible pour atteindre l'invisible.
Laissons
Michel Claveyrolas exprimer l'abîme de sens qui se dégage de cette splendide figure du tympan de l'abbatiale de Moissac :" Le Christ, avec ses yeux qui regardent le fond de moi-même, depuis le fond de lui-même, se projette au-delà de la matière de la sculpture, corps glorieux inaccessible aux meurtrissures des éléments et des hommes, âme de pierre éternelle, transcendant l'adoration dont il est l'objet ". " L'oeuvre d'art est une piste d'éternité " a-t-on pu écrire. Ce visage rendu intemporel ne peut plus être vu uniquement comme image ; il exprime au plus haut degré " la compassion, la sérénité, la divine humanité, comme aucun Bouddha ne le fera jamais. Les Bouddha méditent, mais cette pierre du Quercy est une pensée, -profonde surface " ( Les pistes d'éternité, 2004 ). A ce degré de perfection, une telle image est dotée d'une puissance d'effet qui ne peut laisser quiconque insensible, indépendamment des valeurs que partagent ou non les hommes.
Il en est de même des représentations de la Fuite en Egypte de la cathédrale d'Autun et de la tour Gauzlin de Saint-Benoît-sur-Loire ; elles agissent incontestablement sur l'affect car, par
leur présence, elles sollicitent l'attention, la retiennent. Une sorte de dialogue s'établit entre l'oeuvre et l'observateur.

En d'autres termes, les grandes oeuvres particulièrement abouties dépassent en quelque sorte ce qu'ont pu penser leurs créateurs. Parce qu'elles stimulent les esprits elles constituent des approfondissements, des pensées à partir des textes.

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Au final, pour toutes les raisons sus-dites, il est délicat de parler de
" Bible de pierre " au sens strict.
C'est seulement
au sens large - avec une signification alors radicalement amoindrie - que l'expression peut être couramment employée pour désigner des édifices particulièrement riches en compositions scéniques d'inspiration explicitement religieuse, indépendamment de la présence ou non d'un réel programme ordonnateur iconographique et du type canonique ou non de leur inspiration.

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Références bibliographiques et électroniques
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Cette initiation renvoie la recherche érudite aux spécialistes d'archéologie et historiens de l'art.
Seule l'étude de leurs travaux peut restituer totalement la saveur de la richesse du patrimoine roman religieux.
C'est donc tout naturellement que nous déclarons notre dette aux auteurs dont les oeuvres ont été notre guide pour cette initiation du regard.

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POUR ALLER PLUS LOIN

* Repères bibliographiques.

ANGHEBEN Marcello - Les chapiteaux romans de Bourgogne. Thèmes et programmes. Brepols Publishers, Turnhout, Belgique, 2003.
BARRAL i ALTET Xavier - Contre l’art roman ? Essai sur un passé réinventé, Fayard, 2006.
BARTHOLEYNS Gil, DITTMAR Pierre-Olivier, JOLIVET Vincent - Image et transgression au MoyenÂge, Puf, 2008.
BASCHET Jérôme - L'iconographie médiévale, Editions Gallimard, 2008.
BLANC Anne et Robert - Monstres, sirènes et centaures, Editions du Rocher, 2006.
BLANC Anne et Robert - Les symboles de l'art roman, Editions du Rocher, 2004.
CAMUS Marie-Thérèse, CARPENTIER Elisabeth, AMELOT Jean-François - Sculpture romane du Poitou. Le temps des chefs-d'oeuvre, Editions A. et J. Picard, Décembre 2009.
COLIN-GOGUEL Florence - L'image de l'Amour charnel au Moyen Âge, Editions du Seuil, 2008.
M.M. DAVY - Initiation à la symbolique romane, Flammarion, 2005.
DUBOURG -NOVES P.,OGIER M. - La cathédrale d'Angoulême, Editions-Ouest-France, 1996.
DURAND de MENDE Guillaume - ( évêque du XIIIe siècle ) - Manuel pour comprendre la signification symbolique des cathédrales et des églises, éditions La Maison de la Vie, 1996.

GRIVOT D. - La cathédrale d'Autun, Delta, 2000.
HORVAT Frank et PASTOUREAU Michel - Figures romanes, Editions du Seuil, 2007.
JEANNIN Emmanuelle -Abbaye de Saint-Savin -sut-Gartempe, Editions Gaud, 2008.
LE GOFF Jacques et TRUONG Nicolas - Une histoire du corps au Moyen Age, Editions Liana Levi, 2003.
LE PRISE Pierre-Yves - Images de pierre? Le langage des sculpteurs romans, Essai d’un voyage dans l’invisible, La Louve éditions, 2010.
MOINES DE FLEURY - La basilique de Saint-Benoît-sur-Loire, Editions Wadoo, 2008.
LOUBATIERE Jacques - Bible de l'art roman. 286 chefs-d'oeuvre de l'art roman en France, éditions Ouest France, 2010.
MOULIER Pierre - La Basilique Notre-Dame des Miracles de Mauriac, Editions Créer, Nonette, 2006.

PIERREL Annie et als. - L'église prieurale Notre-Dame de Cunault, 2008.
THIBAUD Robert-Jacques - Dictionnaire de l'art roman, Dervy Poche, 2007.
WIRTH Jean - L'image à l'époque romane, Les éditions du Cerf, Paris, 2008.

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* Références bibliques.

* La Bible de Jérusalem, Editions du Cerf, Paris

* La Bible de La Pléiade, Ecrits Intertestamentaires, Ecrits apocryphes chrétiens, éditions Gallimard, Paris

*
La Bible Louis Segond accessible sur le web à partir du Site info-bible

http://www.info-bible.org/index.htm

*
Plate-forme d'information et d'échange intercatéchétique
http://www.pointkt.org/
Laurence BERLOT, septembre 2007 De l'ancienne Alliance à la  Nouvelle Alliance
http://www.pointkt.org/index.php?option=com_content&view=article&id=212:de-lancienne-alliance-a-nouvelle-alliance&catid=22:fiches-bibliques&Itemid=37

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** titre_navigation_liens Sites internet généraux sur l'art roman.

www.art-roman.net/index.htm
Site sur l'art roman qui a pour ambition de faire découvrir, région par région, les principales églises romanes de France, puis d'Europe.
http://notes.romanes.free.fr/
Site notes romanes.

www.paroles-et-patrimoine.org/romanes/liens.htm
Pierres romanes. Pour l'art roman.
www.romanes.com
Site dont le but est de présenter le patrimoine religieux et architectural de France à travers les différentes époques et courants du roman au gothique en mettant en avant leur expression.

http://www.terres-romanes.lu/index.html
Coups de coeur, pérégrinations, thèmes de la sculpture romane.

http://vezelay.cef.fr/fr/decou_archi/lumiere.php
La basilique Sainte-Madeleine de Vézelay, un chemin de lumière.
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