BIBLE DE PIERRE, BIBLE IMAGINAIRE

Bible de pierre, Bible imaginaire
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Melle Pierre 054

Mise au tombeau, chapiteau de la nef, église Saint-Pierre, Melle, Deux-Sèvres

  • Les Ecritures et la sculpture
    • La sculpture n'est pas un auxiliaire pédagogique
    • Rareté des scènes bibliques représentées
      • Quelques exemples
        • Saint-Gilles-du-Gard
        • Saint-Trophime d'Arles
        • Saint-Benoît-sur-Loire
      • Les thèmes vedettes des deux Testaments
      • Les fresques
        • Saint-Savin-sur-Gartempe
        • Saint-Aignan de Brinay
        • Saint-Martin de Vicq
      • Mosaïques et tentures
    • Ecrits intertestamentaires et apocryphes
    • Spécificités régionales
    • Emplacement
      • Dans l'église
      • Le cloître et l'abbatiale: y a-t-il des « thèmes monastiques »?
  • Hypothèses sur la fonction de la sculpture romane
    • Les images comme contributions plastiques à la sacralité du lieu
    • Les images comme méditations plastiques (≠ illustrations)
    • Le moine et la vieille femme

    Parmi les idées fausses que l'on peut véhiculer sur le Moyen Age il en est une, particulièrement puérile, à laquelle il faut mettre un terme. C'est l'idée selon laquelle la sculpture aurait eu une fonction d'auxiliaire pédagogique: muni d'une longue règle, le clerc aurait désigné au peuple illettré les images de pierre du portail ou des chapiteaux pour illustrer son cours sur l'Histoire Sainte.
    Ne rêvons donc pas d'un monde roman où l'église aurait été le but de classes-promenades de catéchisme, pas plus qu'elle n'était un musée où l'on serait venu tromper l'ennui d'un dimanche pluvieux en compagnie d'oeuvres d'art commentées par des curés promus à la dignité de guides-conférenciers.

    S'il fallait concevoir les images sculptées comme le support d'un enseignement, il faudrait en conclure que la connaissance de l'Histoire Sainte devait être extrêmement lacunaire, quand bien même les fresques et peintures seraient venues combler quelques vides.

    Quoi de plus visible quotidiennement par tous que les façades et les grands portails sculptés? Que voit-on à Saint-Gilles-du-Gard? L'Ancien Testament est réduit à quatre représentations: les offrandes inégalement appréciées de Caïn et d'Abel, le meurtre d'Abel, Balaam et son ânesse, David tuant Goliath. Ajoutons un Samson et une scène montrant David en compagnie d'un ange qui renvoie plus à un écrit intertestamentaire qu'à la Bible proprement dite.
    Le Nouveau Testament est mieux représenté, depuis l'Entrée à Jérusalem jusqu'à l'Apparition aux Apôtres. Sur les tympans latéraux figurent l'Adoration des Mages et la Crucifixion. Les douze Apôtres (Paul ayant remplacé Judas) et un Christ en majesté sur le tympan central complètent les références au second Testament. Rien ne concerne les miracles et les paraboles.

    Sur le riche portail de Saint-Trophime, l'Ancien Testament figure avec Samson vautré sur les genoux de Dalila pendant qu'une servante (et non un homme, comme dans le texte – variante assez courante à l'époque) lui coupe les tresses, ainsi qu'avec Daniel ravitaillé dans la fosse aux lions par Habacuc transporté par un ange. C'est bien peu. Quant au Nouveau Testament, ne sont présents que des épisodes tirés de Matthieu et de Luc, allant de l'Annonciation au Massacre des Innocents.

    Et que penser de Saint-Benoît-sur-Loire, si riche en chapiteaux? Le rez-de-chaussée de la tour Gauzlin ne nous offre que l'Annonciation, la Visitation, la Fuite en Egypte et des visions tirées de l'Apocalypse. Aurons-nous plus de chance à l'intérieur de l'abbatiale Sainte-Marie? Voici Adam et Eve, le sacrifice d'Abraham, Suzanne et les vieillards, Samson maîtrisant le lion puis emportant les portes de Gaza, Daniel dans la fosse aux lions et Habacuc, Jésus marchant sur les eaux et sauvant Pierre, les trois Maries, le Christ entrant à Jérusalem, la Crucifixion... Ce qui n'est finalement pas grand chose dans un édifice qui comporte plusieurs centaines de chapiteaux.

    Déjà nous remarquons qu'il y a des « vedettes », ce que nous confirme un recensement des thèmes de la sculpture romane dans une grande partie de la France:
    • Adam et Eve: tentation, découverte de la nudité, éviction du Paradis (parfois par Dieu sous l'aspect du Christ).
    • Caïn et Abel: les offrandes, le meurtre, « Où est ton frère Abel? »
    • Le sacrifice d'Abraham: Abraham levant son couteau, l'Ange arrêtant le sacrifice, le bélier.
    • Samson: Samson tuant le lion, Samson et Dalila.
    • David: David et Goliath.
    • Daniel dans la fosse aux lions: avec ou sans Habacuc et l'Ange.
    • Parmi les personnages isolés, Isaïe est plus fortement représenté que d'autres.

    En ce qui concerne les écrits néo-testamentaires, dans les mêmes aires géographiques:
    • L'Annonciation.
    • La Visitation.
    • Le songe de Joseph.
    • Les Mages: les Mages et Hérode, le cheminement, l'Adoration, l'avertissement en songe..
    • Les Bergers: Annonce et Adoration.
    • La Fuite en Egypte.
    • Le Massacre des Innocents.
    • La présentation au Temple et le vieillard Siméon.
    • Le Baptême du Christ.
    • Les Tentations au désert
    • Les vierges sages et les vierges folles.
    • Le pauvre Lazare et le mauvais riche: le festin du riche, Lazare dans le sein d'Abraham.
    • La résurrection de Lazare chez Marthe et Marie.
    • L'Entrée à Jérusalem.
    • La dernière Cène: Eucharistie et lavement des pieds.
    • L'Arrestation de Jésus: le Baiser de Judas, l'Arrestation.
    • La Flagellation.
    • Le Portement de Croix.
    • La Crucifixion.
    • Les Saintes Femmes au Tombeau.
    • L'Ascension.
    • Apocalypse: le Christ et les quatre Vivants.
    • Apocalypse: les Anciens (Vieillards) chantant les louanges de Dieu.
    • Apocalypse: l'Agneau.
    • Apocalypse: le Jugement dernier.

    Bien entendu
    , les Ecritures n'étaient pas présentes que dans les sculptures. Il nous reste de très importants ensembles de fresques qui nous montrent des scènes parfois absentes des façades, portails et chapiteaux.
    Ainsi, à
    Saint-Savin-sur-Gartempe, nous trouvons, au rez-de-chaussée de la tour-porche des scènes de l'Apocalypse::
    • Les quatre Cavaliers.
    • Anges cavaliers luttant contre le dragon.
    • le fléau des sauterelles.
    • la Femme et le Dragon.

    Dans la tribune de cette même église, prennent place la Passion et la Résurrection::
    • Le Baiser de Judas.
    • La pendaison de Judas.
    • La Flagellation.
    • La Descente de Croix.
    • Le centurion témoin du Christ.
    • La Mise au Tombeau
    • Les Saintes Femmes.
    • L'Ange du matin pascal.
    • Le Tombeau vide.
    • L'apparition à Marie-Madeleine: « Noli me tangere ».
    • L'apparition aux Pèlerins d'Emmaüs.

    Toujours à Saint-Savin-sur-Gartempe, sur le berceau de la nef, trente-quatre scènes nous entraînent de la Création du Monde à la remise des Tables de la Loi à Moïse. Sans entrer dans le détail, signalons ces thèmes incluant chacun plusieurs scènes:
    • La Création.
    • Adam et Eve. Caïn et Abel.
    • Noë.
    • Abraham, Lot, Melchisédech,. Isaac.
    • Joseph, ses frères, la femme de Putiphar, le songe de Pharaon.
    • Moïse, le passage de la Mer Rouge, l'ange et la colonne de feu, les Tables de la Loi.

    A Nohant-Vicq, à Brinay aussi nous pouvons voir d'admirables programmes comportant des scènes que n'offre pas la sculpture, ou du moins plus rarement.
    Sur les murs de
    Saint-Aignan de Brinay les fresques invitent à méditer sur les événements allant de l'Annonciation jusqu'aux Noces de Cana:
    • L'Annonciation
    • La Visitation
    • L'Annonce aux Bergers.
    • Les Rois Mages.
    • L'Ange avertissant Joseph.
    • Le Massacre des Innocents
    • La Fuite en Egypte.
    • La Chute des idoles de Sohennen (Evangile apocryphe du Pseudo-Matthieu).
    • La Présentation de Jésus au Temple Joseph apportant des tourterelles, le vieillard Siméon, la prophétesse Anne, la Vierge Marie.
    • Le Baptême de Jésus.
    • La Tentation au désert et anges venant servir Jésus.
    • Les Noces de Cana.

    A
    Saint-Martin de Vicq (ou de Vic), les fresques présentent un aspect plus désordonné. On peut y voir:
    • Des rois et prophètes de l'Ancien Testament. Moïse, David, Isaïe, Jérémie...)
    • Un Séraphin purifie les lèvres d'Isaïe avec une braise (Is. VI 6-7).
    • L'Annonciation.
    • La Visitation.
    • La Vierge Marie et sept personnages, dont Joseph.
    • La Présentation au Temple (avec le vieillard Siméon et la prophétesse Anne).
    • Le pauvre Lazare et le mauvais riche.
    • Entrée du Christ à Jérusalem.
    • La Cène (la bouchée de pain tendue à Judas).
      Le Lavement des pieds de Pierre.
    • L'Arrestation du Christ (Pierre va trancher l'oreille de Malchus, Judas va embrasser le Christ).
    • Le Christ devant Hérode.
    • La Descente de Croix (avec Nicodème, Joseph d'Arimathie, Jean et la Vierge).
    • Le Jugement dernier.
    • Le Crucifiement de Pierre (d'après l'apocryphe des Actes de Pierre).

    Cependant, les peintures murales ont souvent disparu, victimes des incendies, des décapages, du vandalisme.

    Il y a peu de mosaïques murales en France. Par contre en Sicile, elles sont nombreuses et offrent de somptueuses variations sur les thèmes néo-testamentaires. L'Ancien Testament est présent principalement à travers des figures de rois et prophètes. C'est surtout dans la cathédrale Notre-Dame de Monreale qu'on peut en voir des scènes.

    Les églises étaient aussi ornées de tentures, mais elles n'ont que très rarement, et seulement par fragments, survécu aux incendies. Nous ne pouvons en connaître les thèmes que par quelques témoignages, et ils sont peu nombreux.

    Le détail des scènes peut parfois nous surprendre par des éléments qui ne semblent pas venir du strict corpus de la Bible chrétienne.
    Il ne faut pas croire que le « canon » biblique chrétien a été fixé et figé dès l'aube du Christianisme. Bien entendu, le problème dépasse le cadre chrétien, mais c'est celui qui importe dans une réflexion sur l'art roman. Or même si l'on s'en tient à ce seul cadre, il faut se demander de quel Christianisme il s'agit.
    Au IIIe siècle avant J.-C., le pharaon Ptolémée II - qui aimait tant sa soeur Arsinoë qu'on le surnomma Philadelphe – curieux de connaître les croyances des peuples dont il était le souverain, fit traduire en grec les textes sacrés des Israélites. La demande émanait probablement aussi de ces derniers, incapables de lire l'hébreu et ne connaissant que l'araméen. Seule la langue grecque disposait du prestige nécessaire pour fournir une nouvelle base de lecture et de traduction. Des traditions légendaires disent que soixante-douze savants théologiens se mirent à l'ouvrage et que, miraculeusement, leurs traductions se révélèrent identiques. L'historien latin Flavius Josèphe réduisit leur nombre à soixante-dix, ce qui donna lieu à l'appellation de Bible des Septante, ou plus brièvement la Septante.
    Par la suite, à partir du IIe siècle après J.-C., le Judaïsme rabbinique revint aux textes hébreux pour se démarquer du Christianisme. Parallèlement, de nouveaux textes furent écrits, d'inspiration souvent plus eschatologique que prophétique, recueillis et traduits en langues vernaculaires par des Eglises chrétiennes périphériques: éthiopien, copte, syriaque, etc., et parfois retraduits en grec, en latin, en slave...
    Ce sont, entre bien d'autres, le
    Livre d'Hénoch, les Testaments des Douze Patriarches (texte judéo-chrétien utilisant des sources juives), l'Apocalypse grecque de Baruch, l'Apocalypse syriaque de Baruch, le Livre des Antiquités bibliques, le IVe Livre d'Esdras (Apocalypse d'Esdras), la Vie grecque d'Adam et Eve, etc.
    Certains passages ont donné lieu à des traditions qui ont été intégrées dans les images médiévales, ce qui ne saurait étonner quand on sait ce que les formes romanes doivent à l'art du Moyen Orient.
    Ainsi, le seul texte que nous ayons trouvé, faisant mention d'un Ange près de David, se trouve dans le
    Livre des Antiquités bibliques, LXI 5. Le passage concerne la préparation de David au combat contre Goliath:
    « David partit, prit sept pierres et écrivit dessus les noms de ses pères, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et Aaron, le sien et celui du Tout-Puissant. Et Dieu envoya Zervihel, l'Ange qui préside à la force ».
    Dans I Samuel XVII 40, David ne prend que cinq pierres, n'inscrit aucun nom dessus... et aucun Ange n'intervient.

    A la fin du IVe siècle - exactement entre 382 et 405, Jérôme de Stridon (saint Jérôme) traduit en latin la Bible. Insatisfait par la Septante, il se rend en Palestine pour prendre conseil de docteurs juifs spécialistes de l'hébreu ancien. Déjà très critiquée de son temps – notamment par Augustin d'Hippone (saint Augustin) – l'entreprise de Jérôme sera de plus en plus déformée. Charlemagne demandera alors à Alcuin, abbé de saint-Martin-de-Tours, de procéder à une révision du texte afin d'en éliminer les erreurs qui dénaturaient la traduction de Jérôme. Cette difficile entreprise sera achevée par Théodulf, évêque d'Orléans.
    C'est ce texte qu'on nomme la Vulgate, qui fut le premier livre imprimé par Gutemberg en 1456, et que le Concile de Trente considéra comme authentique.
    Entre les Evangiles et le travail de Jérôme (et même après), il y eut des « flottements » à propos des textes du Nouveau Testament qu'il convenait de retenir. Certains textes furent acceptés rapidement partout, alors que d'autres furent rejetés ou appréciés par les uns ou les autres.
    Un accord s'est assez tôt établi à propos des quatre Evangiles, des Actes des apôtres et de la première épitre de Jean. Pour le reste le problème n'est pas simple, depuis les rejets jusqu'aux questions d'attribution. Le nombre de lettres de Paul acceptées varie (par exemple, l'épitre aux Hébreux n'a été que tardivement acceptée en Occident), l'Apocalypse de Jean a été acceptée en Occident mais rejetée en Orient, l'Eglise syriaque reconnaissait une 3e épitre aux Corinthiens, etc.
    Parfois, les critères d'acceptation de certains textes nous semblent aujourd'hui quelque peu discutables. Car bien des textes sont éminemment intéressants: l'
    Evangile selon Thomas, le Protévangile de Jacques, l'Evangile du Pseudo-Matthieu, l'Evangile de Pierre. Alors pourquoi quatre Evangiles? Ce à quoi Irénée de Lyon (un Père de l'Eglise du IIe siècle) répond: « Il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d'Évangiles. En effet, puisqu'il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d'autre part, l'Église est répandue sur toute la terre et qu'elle a pour colonne et pour soutien l'Évangile et l'Esprit de vie, il est naturel qu'elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l'incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D'où il appert que le Verbe, Artisan de l'univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses, lorsqu'il s'est manifesté aux hommes, nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit » (Contre les hérésies).
    Et il y aurait beaucoup à dire sur les
    Actes (d'André, de Jean, de Pierre, de Paul, de Philippe, de Thomas), sur les Apocalypses (d'Esdras, de Sedrach, de Pierre), et sur bien d'autres textes. Au IVe siècle, Eusèbe de Césarée utilise tous les textes qui vont dans le sens de sa pensée mais considère comme « bâtards » aussi bien un ouvrage comme l'Apocalypse de Jean que l'Apocalypse de Pierre ou les Actes de Paul. C'est lui qui se trouve principalement à l'origine d'un classement des livres en canoniques, acceptables et hérétiques, et qui porte donc la responsabilité la plus lourde dans la dévalorisation des apocryphes quels qu'ils soient.
    Pour mettre fin aux hésitations, les Eglises procèderont à la clôture de leur canon. Le canon des Eglises latines se clôture en 419 sur 27 livres, ce que confirme le Concile de Trente en fixant le canon biblique entier. La situation est plus complexe dans les Eglises grecques où ce sont les communautés qui déterminent le canon par l'usage qu'elles font des livres. Longtemps, les Eglises grecques ne reconnaitront que 22 livres et refuseront les Apocalypses.
    La fixation d'un canon ne signifie pas du tout que les autres livres, dits « apocryphes » sont hérétiques. Il y a des livres qui sont reconnus comme dignes d'intérêt, sans être retenus pour la liturgie.
    Quelques uns ont profondément marqué la culture chrétienne et constituent l'unique source de certaines images.
    C'est dans le
    Protévangile de Jacques et dans l'Evangile du Pseudo-Matthieu que nous trouvons la mention des deux sages-femmes qui accompagnent la Nativité (portail de Saint-Trophime d'Arles). C'est encore l'Evangile du Pseudo-Matthieu qui nous dit que Jésus est né entre un boeuf et un âne (Sainte-Eulalie de Benet, en Vendée) et qui nous livre l'épisode de la chute des idoles de Sohennen au cours de la Fuite en Egypte (contrefort droit du portail de Moissac).
    Nous devons aux
    Actes de Pierre le chapiteau de Conques « Seigneur, où vas-tu? » (« Domine, quo vadis? » dont sera tiré le roman de Sienkiewicz) et le récit de la crucifixion de Pierre la tête en bas que l'on peut voir dans tant d'églises. Les Actes de Paul nous racontent la décapitation de l'apôtre des Gentils.
    La
    Dormition de Marie du Pseudo-Jean est à l'origine du récit et des images de l'Assomption de la Vierge et du Paradis qui lui est ouvert, sur les sculptures d'Auvergne et de Saintonge. Et si l'on se demande ce qu'a fait le Christ pendant son séjour aux Enfers, les Questions de Barthélemy et le Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l'Apôtre Barthélemy nous disent qu'il s'y est rendu pour en retirer Adam. Notons que les chapiteaux de Notre-Dame-du-Port et de Saint-Nectaire en Auvergne accordent au Christ une clémence qui s'étend jusqu'à Eve... ce que ne font pas les auteurs des ouvrages susdits.

    Notre « Bible de pierre » soulève bien des questions. Elle ne peut pas être une « illustration » de la Bible, ne serait-ce que parce que de très nombreux textes n'ont jamais été traduits en images à l'époque romane, mais aussi parce que les artistes des XIe et XIIe siècles n'hésitent pas à s'inspirer d'ouvrages qui pourtant n'étaient déjà plus canoniques en cette époque.
    Une autre raison fait de notre « Bible de pierre » une « Bible imaginaire », au sens ou Malraux parlait d'un Musée imaginaire de la sculpture mondiale: pour rencontrer un assez grand nombre de scènes bibliques différentes inscrites dans la pierre, il nous faudrait faire au moins un tour de France et peut-être même un tour d'Europe (incluant surtout l'Espagne et l'Italie). Aucune église, aucune région ne nous permettrait d'effectuer une collecte significative d'images. Il y a en effet des spécificités régionales.
    C'est en Saintonge surtout que l'on rencontrera les Vierges sages et les Vierges folles. Le Pèsement des âmes est bien présent en Provence et Saintonge. La Lapidation d'Etienne semble intéresser davantage les clercs et artistes du Sud que ceux de Bourgogne ou du Val-de-Loire.
    Par contre certains épisodes recueillent les suffrages de toutes les provinces, ou presque: Adam et Eve, Caïn et Abel, le Sacrifice d'Abraham, Samson et le lion, Daniel et les lions (avec ou sans Habacuc), l'Annonciation et la Visitation, l'Adoration des Mages, la Fuite en Egypte, les Saintes Femmes au Tombeau. Si l'Apocalypse en général est presque partout présente, c'est le plus souvent sous la forme synthétique d'un Jugement dernier, avec les Quatre Vivants et avec ou sans les Anciens (ou Vieillards).

    Dans sa très riche thèse sur
    Les chapiteaux romans de Bourgogne, M Marcello Angheben montre que l'emplacement des thèmes n'est pas indifférent. Par exemple, dans les églises qu'il étudie, les thèmes « positifs » se retrouvent principalement dans le sanctuaire, alors que les combats spirituels – Daniel dans la fosse aux lions, Samson, les Tentations de Jésus au désert, les tentations des saints, etc. – prennent plutôt place dans l'avant-nef ou la nef.
    Nous ne saurions ici résumer cet ouvrage. Toutefois, il serait intéressant d'étendre une telle recherche à toutes les sculptures et à toutes les provinces et pays où l'on rencontre des édifices romans, afin de découvrir si les corrélations significatives mises en lumière par
    M Angheben sont propres à la Bourgogne, ou s'il convient de mettre à l'épreuve des hypothèses différentes dans d'autres régions.

    En ce qui concerne les édifices monastiques que nous avons visités, nous n'avons pas remarqué des différences de thèmes entre l'abbatiale et le cloître. Même si le traitement en est parfois nécessairement différent en raison du support architectural (frise ici, chapiteau là), les mêmes scènes peuvent se retrouver en un lieu de l'abbatiale et dans le cloître. Il ne semble pas y avoir de thème spécifiquement monastique.

    Les sculptures et fresques ne sont des « outils pédagogiques » ni pour le peuple qui n'aurait ainsi, dans une église particulière, qu'une connaissance extrêmement limitée des Ecritures,- ni pour les moines ou chanoines, bien familiers des deux Testaments. Quelle est donc leur fonction?

    S'il y avait une intention pédagogique, on peut supposer que les commanditaires – surtout dans les cathédrales, les abbatiales ou un édifice comme la tour Gauzlin de Saint-Benoît-sur-Loire – auraient composé un programme respectant l'ordre chronologique présent dans la Bible. Or un tel ordre se rencontre très rarement. On le trouve, par exemple, sur la frise qui surmonte les trois portails de Saint-Gilles-du-Gard, où les scènes vont des préparatifs de l'Entrée à Jérusalem jusqu'à l'apparition du Christ aux apôtres.
    La frise de la façade de Saint-Trophime d'Arles montre les scènes allant de l'Annonciation au Massacre des Innocents. Mais déjà la structure est plus complexe et les images se distribuent de part et d'autre du portail, sans suivre ce qui serait un ordre de lecture des Evangiles de Matthieu et de Luc. En s'éloignant du portail, sur la gauche, on peut voir L'Annonciation, le songe de Joseph (« Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme »), les Mages devant Hérode, La Chevauchée des Mages vers Bethléem, le Massacre des Innocents, la Fuite en Egypte. Sur la droite, à partir du portail, on peut voir Le Bain de l'Enfant (avec deux sages-femmes), la Nativité, l'Adoration des Mages, les Mages avertis par l'Ange, l'Annonce aux Bergers. Au-dessus, une seconde frise évoque le Jugement dernier (processions d'élus et de damnés).
    Quant aux chapiteaux, nous n'avons jamais rencontré une disposition dans l'église qui suive l'ordre des textes évoqués.
    Deux grands ensembles de fresques permettent une lecture ordonnée. A
    Brinay, d'abord, en regardant le mur nord, puis le mur est et enfin le mur sud, à condition de n'être pas trop pointilleux et d'accepter de jouer sur les registres inférieur et supérieur, il est possible d'aller de l'Annonciation aux Noces de Cana sans trop s'égarer.
    Sur le berceau de la nef de
    Saint-Savin-sur-Gartempe, il existe un chemin permettant de se rendre de la Création du Monde à La Remise des Tables de la Loi à Moïse.

    S Savin scheĢma b

    Quant à
    Nohant-Vicq... il n'y a plus aucune cohérence chronologique: c'est l'éparpillement! Mais est-ce dire que la structure n'a aucun sens? Sans doute faut-il rechercher un fil conducteur théologique, comme l'historien de l'art Jean Hubert en formulait l'hypothèse en 1929: le programme s'organiserait autour du thème de la Rédemption qui expliquerait la répartition des scènes sur les six murs peints (l'abside, les quatre murs du choeur, le mur est de la nef). Cette thèse est très bien résumée par Jean Favière dans le chapitre sur saint-Martin de Brinay dans le Berry roman (p. 265, éd. Zodiaque, 1970).

    Avec cet exemple représentatif, nous pouvons mieux comprendre la fonction de la sculpture et de la peinture dans les édifices religieux.
    Ce que nous appelons aujourd'hui « oeuvre d'art » avait, du moins en ces temps romans, pour mission essentielle de contribuer à la « sacralisation » du lieu et à l'identification liturgique des différents espaces dans l'édifice.

    M Marcello Angheben montre que la distribution des chapiteaux, dans bien des églises de Bourgogne, ne résulte pas de décisions « gratuites » ou purement esthétiques liées au goût de l'artiste ou du commanditaire. Les anges guerriers, défenseurs de ce Paradis menacé qu'est l'église, se situent souvent sur les façades ou dans la nef. Il en va de même en ce qui concerne d'autres figures du combat spirituel: Jonas (seul personnage que le Christ lui-même pose comme une préfiguration de sa Descente aux Enfers et de sa Résurrection), David et Goliath, Samson et le lion, les Tentations du Christ...
    Dans le choeur figureront les lions atlantes, les lions protecteurs, les aigles, les représentation des Baisers de Paix, du repas d'Emmaüs, la Libération de saint Pierre...

    Malheureusement, des études mettant en oeuvre, pour d'autres régions, la méthode « syntaxique » de
    M Marcello Angheben, n'ont pas suffisamment vu le jour. On ne peut que le déplorer. Il est possible que d'autres types de relations qu'entretiennent les chapiteaux entre eux ainsi qu'avec leur emplacement dans l'édifice se révèlent: cela peut dépendre de textes liturgiques et de commentaires différents de ceux que l'ont peut rencontrer dans la Bourgogne clunisienne. Il est néanmoins certain que ces recherches confirmeraient, chacune à leur manière, cette conception romane que l'édifice ecclésial est, plus encore qu'une image, une projection, dans un monde qu'il faut pacifier et protéger des forces du mal, de la Cité atemporelle où se manifestent la gloire et la bienveillance de Dieu.

    On a pu remarquer que nous refusons toujours de qualifier les oeuvres romanes d' « illustrations ». Le sculpteur de la Fuite en Egypte de Saint-Benoît-sur-Loire n'illustre pas plus cet épisode que ne le font les peintres de Brinay dans le Berry et de Müstair dans les Grisons.
    L'illustration, voulant suivre la lettre, appauvrit le texte, en réduit le sens. Nous dirions qu'elle trahit à force d'être fidèle. Les grandes oeuvres romanes sont des pensées en images, ce sont des méditations plastiques sur les textes, et même à partir des textes. Plus que des auxiliaires des récits, les images en déploient les richesses. Elles ne traduisent ni ne détournent le sens: elles révèlent la profondeur des textes en les associant plus audacieusement que ne le feraient les mots.
    Telle enluminure mozarabe d'un
    Beatus concentrera plusieurs passages de l'Apocalypse, et, dès lors, puisque la représentation des vingt-quatre Vieillards rendrait l'image trop confuse, le peintre n'en dispose que douze: on connaît leur nombre, mais ce qui compte, c'est le lien que l'on établit entre plusieurs chapitres, faisant jaillir ainsi dans l'esprit de l'observateur des idées que l'on n'avait pas énoncées jusque là. Le texte les contenait-il en puissance, ou bien l'esprit se trouve-t-il incité à les créer? Peu importe. Et cela se produit même lorsque l'image n'est pas la synthèse de divers passages.
    L'oeuvre d'art est le lieu d'un dialogue entre la sensibilité et l'entendement, disait
    Kant. Ce que nous percevons par les sens fait naître des pensées, qui, à leur tour, suscitent le désir de revenir contempler l'oeuvre qui nous paraît toujours nouvelle. Le génie consiste à produire des objets inépuisables, en ce qu'ils nous donnent toujours l'impression qu'une prochaine perception mettra en lumière des aspects encore inconnus, engendrant des discours imprévisibles.
    « Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte » (Mtt II 14). Matthieu semble soucieux de montrer le lien entre l'histoire de Jésus et les prophéties de l'Ancien Testament. Il cite alors Osée: « D'Egypte, j'ai appelé mon fils » (Os XI 1), où Dieu évoque sa relation avec le peuple d'Israël.
    Saint-Aignan de Brinay. Sur un âne blanc qui marche l'amble, Marie est assise, de face. Son visage ne manifeste aucune crainte, aucun épuisement. Elle paraît absente, ailleurs, comme ces personnages des manuscrits mozarabes, dont les yeux semblent ne plus pouvoir ciller une fois qu'ils se sont ouverts sur la Révélation. Cependant, le regard de Marie est plus doux. Elle ne brûle pas dans le feu des combats apocalyptiques. D'ailleurs qu'a-t-elle connu de Dieu jusqu'ici? L'Ange Gabriel qui lui a dit « Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ». Puis la naissance de son fils. Des Mages – elle a peut-être été un peu impressionnée, mais ils ne sont pas restés longtemps. Des bergers – c'est plutôt rassurant. « Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses en son coeur » (Lc II 19). Joseph lui a-t-il répété les paroles de l'Ange? « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Egypte; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr ». Pourquoi l'alarmer? Tu prends soin de l'enfant, et moi je prends soin de nous tous. Ainsi Marie chemine, les yeux ouverts sur un autre monde. Elle n'a pas posé de question à Joseph. Sa confiance en lui est totale. Il aurait pu la répudier, mais il a écouté Dieu. Elle tient son enfant dans ses bras. Celui-ci tend les bras vers l'avant... vers son père? Ou plutôt – car il est aussi un enfant d'homme, et que toute chose peut le distraire, l'amuser – vers les grandes oreilles de l'âne? Pourquoi celui qui est voué à souffrir et à mourir en homme n'aurait-il pas connu les curiosités et les rires de l'enfant? Joseph, très grand, marche devant l'âne. Est-ce une illusion, ou bien ses épaules s'affaissent-elles un peu? La fatigue? Peut-être. L'anxiété? Certainement pas. Il a une mission: atteindre l'Egypte. Joseph ne se demande pas s'il y parviendra. Il ira là-bas, c'est tout. Marie s'occupe de l'enfant. Le problème est de surveiller les alentours. Le regard est droit, le pas assuré. Il n'est pas menaçant. C'est juste un homme que rien n'arrêtera.
    Saint-Benoît-sur-Loire, la tour Gauzlin. C'est un cheval bien harnaché que conduit Joseph de la main gauche. Il tient une palme dans la main droite. Comme il est à l'angle du chapiteau dont il épouse la courbe, il semble être attentif au sol. C'est normal: ne doit-il pas aussi, dans ce désert caillouteux veiller à ce que l'animal suive un chemin sûr? En même temps, il s'interpose entre ceux qu'il doit conduire en Egypte et un Hérode brandissant en vain glaive et sceptre. Mais Joseph est là. Il n'arrivera rien à l'enfant, il n'arrivera rien à Marie. Ne craignant que Dieu, fidèle, courageux, déterminé... au point que parfois je me dis qu'il a bien fallu que Joseph meure avant la Passion pour que puissent s'accomplir les prophéties. Pas méchant, mais qui sait? Peut-être pas homme à se contenter de couper l'oreille d'un serviteur à Gethsémani. Un homme silencieux, capable de marcher pendant des jours dans le désert pour mettre en sureté sa femme et son enfant... en vérité il devait déjà être mort pendant la montée au Golgotha.
    Somptueusement vêtue, Marie se tient face à nous, immobile, trônant sur un cheval en mouvement. Ses pieds reposent sur un tabouret, pour que sa dignité soit manifeste. Une étoile brille à hauteur de sa tête. Est-ce seulement la Fuite en Egypte? Ne sommes-nous pas déjà dans l'Apocalypse, au moment où vient de se taire la septième trompette. « Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap XII 1). Le chapiteau nous offre une audacieuse synthèse. La Femme accouche d'un enfant mâle. Le Dragon la menace et l'Archange Michel le foule aux pieds et lui enfonce dans la gueule une lance à la pointe cruciforme, – cette même lance que le Christ aux Enfers enfonce dans la gueule de Satan tout en l'écrasant, selon l'Evangile apocryphe de Nicodème. Dans les bras de sa mère, l'enfant Jésus bénit le monde de sa main droite, parallèle à la main droite de Dieu le Père qui apparaît dans le ciel au-dessus de la Sainte Famille.

    Les grandes images romanes, fontaines infinies de pensées et de joies esthétiques, s'offrent à nos regards émerveillés, engendrant une délectation sans satiété. Nous quittons ce fragment de fresque et ce chapiteau, un peu effrayés et en même temps avides de ce que peut nous réserver la contemplation d'oeuvres comme les tympans de Moissac et de Conques.

    Le soir tombe.
    La vieille femme qui ne peut même plus s'agenouiller regarde une dernière fois l'autel, tente de lever la tête vers les images à la fois familières et toujours étranges. Mais trop meurtrie par les travaux, et plus encore peut-être par la mort d'un fils, elle s'éloigne dans la nef de l'abbatiale en murmurant d'une voix brisée ces vers qui, pour elle résument toutes les prières et disent toute l'espérance:

    Femme je suis, pauvrette et ancienne,
    Qui rien ne sais ; oncques lettre ne lus.
    Au moutier vois dont suis paroissienne
    Paradis peint, où sont harpes et luths,
    Et un enfer où damnés sont bouillus
    L’un me fait peur, l’autre joie et liesse.
    La joie avoir me fais, haute Déesse,
    À qui pécheurs doivent tous recourir,
    Comblés de foi, sans feinte ni paresse :
    En cette foi je veux vivre et mourir.

    François Villon, " Ballade pour prier Notre-Dame".


    Dans l'ombre de l'abbatiale,
    le vieux moine qui vient d'éteindre les cierges s'agenouille et prie. Sa vie s'est passée dans le scriptorium où il a lu et copié tant de livres. Il se souvient que son orgueil l'a conduit, au temps où il enseignait, à écrire quelques traités. « Oncques lettre ne lus ». Certes, il faut lire les Ecritures. Il faut en faire lecture aux fidèles. Et après? Le moine se souvient de son traité sur un Psaume, et de cet autre sur les visions d'un Prophète... « Vois Paradis peint, où sont harpes et luths, et un enfer où damnés sont boullus »... Qu'y a-t-il d'autre? Le vieux moine regarde Daniel, les lions, Habacuc transporté par les cheveux qui apporte des pains. Sur cet autre chapiteau, le Christ repousse le diable. Et là, dans le choeur, les aigles triomphent. En face, Judas embrasse Jésus. Qui ai-je trahi? On m'a loué pour mes cours, pour mes sermons, pour mes écrits. Mais je n'avais rien à ajouter à la tendresse de saint Luc qui réchauffe mon coeur usé, à l'insondable océan de saint Jean qui me submerge et me terrifie et pourtant s'achève avec la plus immense et la plus douce des paroles: Dieu est amour. Je n'avais rien à dire de plus, mes livres sont inutiles.« Femme qui rien ne sais ». Mais qu'est-ce que je sais, moi qui ai passé une vie à lire tant d'ouvrages? « En cette foi je veux vivre et mourir ». Ne sait-elle pas tout ce qu'il faut savoir, cette vieille femme dont on dit que le fils a été pendu? Y a-t-il une vérité des pierres? Et si, à côté de nos lourdes Bibles, ces images étaient la vraie pensée de Dieu, se demande le moine. Avec mes traités, suis-je un faussaire?Il regarde les lions réunis par une seule tête, et cette Visitation... Qu'elles sont belles! Serai-je accueilli, moi aussi, dans le sein d'Abraham? La vieille femme reviendra peut-être demain. Je lui demanderai si elle souhaite que je lui décrive ces sculptures qu'elle ne peut plus voir. Il referme la porte de l'abbatiale le plus silencieusement possible, laissant les pierres rêver à l'infini sur les grands récits. Et tandis qu'il marche lentement vers sa cellule, il voudrait prier, mais ne parvient plus qu'à murmurer encore et encore « En cette foi, je veux vivre et mourir ».

    Michel Claveyrolas

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    Première Alliance et Nouvelle Alliance

    Aimer les formes est une chose, les apprécier pleinement suppose d'entrer dans le monde qui en a autorisé la création.


    La doctrine de l’Alliance traverse tout l’Ancien Testament, de Noé à Moïse, en passant par Abraham. L'avènement de Jésus-Christ inaugure, quant à lui, le passage de la Première Alliance à la Nouvelle Alliance.

    Au terme du parcours imagé proposé chacun pourra se faire une idée plus précise du degré de pertinence de l'expression " Bible de pierre " à propos des images romanes qui transmettent explicitement un message chrétien ou, au contraire, du degré de validité de l'expression " Bible imaginaire ".

    Les oeuvres romanes sculptées que nous présenterons seront complétées par des fresques, d'une part, parce que c'est à la peinture que revenait largement le rôle de transmettre les images des Saintes Ecritures avant le XIIe siècle et, d'autre part, parce qu'elles permettent souvent de se substituer à l'absence de certains thèmes historiés apparemment peu prisés par les maîtres-sculpteurs.


    Les auteurs

    Michel Claveyrolas - Joël Jalladeau