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LES AMBIVALENCES DU MONDE MODERNE |
A suivre cette thèse, le terrorisme pourrait relayer la guerre traditionnelle et la perspective d'un échange nucléaire entre les superpuissances. Sous le couvert de l'islam radical il y a un essai de ralliement et de mobilisation des foules misérables dess pays du Sud, frustrées et victimes dans leurs rapports mimétiques avec le monde occidental. Loin de se détourner vraiment de l'Occident les peuples du tiers monde " ne peuvent pas s'empêcher de l'imiter, d'adopter des valeurs sans se l'avouer à eux-mêmes et ils sont tout aussi dévorés que nous le sommes par l'idéologie de la réussite individuelle ou collective " ( René Girard, 2001, p. 24 ).
A l'échelle de la planète, c'est le désir exacerbé de ressemblance avec l'ordre occidental qui serait à l'origine du terrorisme, la concurrence mimétique malheureuse ressortant sous forme de violence. Dans cette lecture girardienne des évènements du 11 septembre, l'islam remplirait le rôle de liant et de ferment que jouait auparavant le marxisme. Ces dramatiques évènements à la symbolique d'envergure mondiale n'ont pas fini de susciter des analyses controversées. Toutefois, mettre en avant la dimension culturelle d'un clash des civilisations ne revient-il pas à maintenir au second plan les aspects économiques et politiques de clivages Nord-Sud bien réels ?
Après les actions terroristes contre le World Trade Center le président Bush a estimé qu'il devait montrer au monde que la puissance américaine ne pouvait être contestée. L'intervention militaire " préventive " que les Etats-Unis ont menée avec leurs alliés britanniques en Irak depuis le 21 mars 2003 est aussi une conséquence du 11 septembre 2001 ; c'est également un signe de la déstabilisation stratégique de l'ordre mondial intervenue depuis la fin de la guerre froide. De ce fait, les images dramatiques d'une guerre visant à renverser le régime de Sadam Hussein se diffusent en continu sur nos écrans de télévision comme pendant la première guerre du Golfe suite à l'invasion du Koweit par l'Irak en août 1990. Le dictateur capturé, l'anarchie sanglante s'installe dans le pays. Bombes humaines et explosions de voitures piégées sèment la mort chez les GI's et les populations locales.Une guerre peut se remporter relativement facilement sans cependant qu'il en soit de même de l'après-guerre. Le terrorisme urbain peut, en effet, y faire plus de victimes. La transition d'un régime à l'autre s'effectue dans un climat de guerre civile. L'enfer sait modifier ses tableaux pour se rassasier des souffrances des naugragés de l'existence. La pandémie du sida malgré les progrès des traitements pourrait faire, au cours de la première décennie du XXIe siècle, selon certaines estimations, autant de morts que toutes les guerres du XXe siècle. D'après ONUsida, 40 millions de personnes vivent avec le virus, les femmes représentant maintenant la moitié des adultes touchés. Au cours de l'an 2004, 4,9 millions de nouveaux cas et 3,1 millions de décès ont été enregistrés dans le monde. En France, le sida ne semble plus reculer ; les trithérapies auraient-elles endormi la vigilance dans les comportements sexuels ? Le sida progresse en Asie, en Europe de l'Est et en Afrique où vivent 25,4 millions de personnes infectées. Le coût des médicaments protégés par des brevets et commercialisés par les grands laboratoires internationaux rend dissuasif leur emploi dans les pays pauvres. Seulement 300000 malades auraient accès aux thérapies appropriées dans les pays en développement, qui comptent 95 % des nouveaux cas d'infection ; auront-ils les moyens de se payer des vaccins lorsqu'ils devraient être disponibles à l'horizon d'une dizaine d'années ? Au bout du compte, le sida est devenu " la maladie la plus dévastatrice que l'humanité ait jamais connue " ainsi que le soulignait ONUsida dans son rapport de 2001. Après le sida va-t-il falloir affronter une nouvelle épidémie : le " sras "? Ce syndrome respiratoire aigu sévère est, en tout cas, déjà qualifié de " première maladie grave du XXIe siècle" par l' Organisation Mondiale de la Santé. * Un monde débordé par le vertige de sa propre puissance. Le monde moderne est marqué par l'encombrement : les automobiles s'agglutinent sur les périphériques lors des retours de week-end ; les pistes de ski et les ports de plaisance sont embouteillés ; les déchets s'accumulent. Mais au-delà de ces difficultés banales qui planent sur nos sociétés, il y a des catastrophes et des drames: les mines antipersonnel qui continuent à tuer ou à handicaper après la fin des combats, la pollution industrielle, les drames AZF et les sites à hauts risques classés " Seveso ", la pollution de l'eau et des forêts, les marées noires. Du péril nucléaire à l'effet de serre en passant par la lente élévation du niveau des océans, l'activité humaine mal maîtrisée fait peser toutes sortes de risques sur l'écosystème. Les politiques de développement ont longtemps été conduites indépendamment de la question de la disponibilité des ressources énergétiques et de la neutralité environnementale de leur utilisation. Les progrès des sciences et des techniques ont permis à l'homme de mieux dominer le monde ; corrélativement, les responsabilités à l'égard de ce dernier s'en trouvent accrues ; ne suffit-il pas d'un virus informatique pour que des économies entières soient perturbées ? Il est vrai que le bogue tant annoncé des ordinateurs pour le passage du nouveau millénaire ne s'est pas produit. En France, ce sont plutôt les tempêtes et les marées qui ont mis en difficulté un certain orgueil technique en décembre 1999. Plus fondamentalement, en intervenant sur les génomes, en modifiant génétiquement des organismes qui réagiront de façon différente avec l'environnement l'homme inaugure un autre temps. La découverte de trois milliards de bases azotées qui entrent dans la composition de la centaine de milliers de gènes de l'être humain, c'est-à-dire, en bref, la cartographie du génome humain est, comme tout progrès scientifique fondamental, à la fois exaltante et effrayante. Les progrès de la connaissance du vivant ouvrent la perspective de changements vertigineux dans ce qui pouvait paraître immuable dans l'humanité. Le problème du clonage, par exemple, offre des perspectives aussi enthousiasmantes qu'angoissantes ; au-delà de l'éventuelle fourniture de pièces de rechange pour le corps il pose la question de la nature de l'homme. L'annonce par la secte raelienne de la naissance d' Eve - premier bébé cloné - est apparue à beaucoup comme une violaion vertigineuse de l'ordre de la reproduction humaine. Au-delà des bruits médiatiques la question est toujours de savoir distinguer pour chaque prouesse de la bio médecine ce qui ressort d'une véritable avancée scientifique ou de la dérive d'une recherche étourdie par sa propre puissance.
D'une façon générale, le développement des biotechnologies ne va pas sans soulever de nombreuses interrogations tant sur le génie génétique lui-même que sur le contrôle des firmes transnationales sur les organismes ainsi modifiés. Ce qui ressortait naguère de la gratuité de la nature devient actuellement objet de privatisation. Sur la base de la brevetabilité du vivant une compétition génique se livre à l'échelle planétaire. N'attendant plus tout du ciel comme jadis, les hommes d' Occident ont escompté le bonheur sur la terre par la voie politique. L'avènement d'un monde économique et politique meilleur se faisant de plus en plus attendre, c'est vers la voie de la science que se reportent les espérances humaines. Les avancées scientifiques, pour considérables qu'elles soient, n'adviennent pas seules, le mal survenant en même temps. L'application que les hommes peuvent faire des savoirs qu'ils acquièrent peut conduire à la destruction de l'humanité aussi bien qu'à une production de l'homme comme objet. Devant de telles ambiguïtés certains, pour le moins s'interrogent, d'autres, à la recherche de sens, se tournent vers d'autres sources de félicité. * Une double fracture. Dans nos sociétés une grande part des richesses reste concentrée entre les mains d'une petite minorité. Il y a les banlieues défavorisées et les quartiers privilégiés des grandes villes américaines protégés par de puissants systèmes de protection. Il y a ceux des ghettos et les bastions de la bourgeoisie blanche riche de Central Park Est, un monde où l'on reste entre soi, le dernier rempart de l'Amérique Wasp ( White anglo-saxon protestant ). Il y a les communautés fermées de Californie vivant derrière de véritables enclos qui sont coupés du reste du monder environnant et sont protégés par des circuits de télévision et des gardes ; certains essaient d'implanter, dans nos pays européens, ces villages fermés sur eux-mêmes, d'où il est plus facile d'entrer en relation avec le monde entier qu'avec les villages alentour.
La tendance à se construire un cadre de vie fondé sur la seule composante affinitaire constitue une " forme d'endogamie sociale ou d'apartheid volontaire " qui " contient en elle-même le principe de toute décomposition sociale future " par le fait d'atrophier toute capacité de vivre avec ceux pour qui nous n'éprouvons pas forcément de sympathie " ( Jean-Claude Michéa, 2002, p. 113 ). Or, vivre avec des personnes que nous ne choisissons pas est la définition même d'une société... Il y a les luxueux quartiers d'affaires, les fameuses artères célèbres dans le monde entier et les quartiers de misère aux squats immondes. Sauf à accepter une dérive profondément inégalitaire, à l'américaine, les problèmes des cités-ghettos constituent un défi majeur pour les sociétés occidentales. En effet, dans leurs manières de vivre ou plutôt de survivre, une fraction de la jeunesse des cités n'attend plus rien du reste de la société. En témoignent, les violences meurtrières entre adolescents dans certains quartiers populaires. Souvent issus de familles éclatées, en situation de rupture avec le monde éducatif, les jeunes les plus en difficulté génèrent leur propre mode de socialisation. Ils se forgent une échelle de valeurs à part, où les frontières des normes sociales disparaissent et où la violence prévaut. Il n'y avait plus d'emplois pour tous. Aux années optimistes marquées par une croissance soutenue et un faible sous-emploi succédaient les années de crise, caractérisées par le doute, la montée du chômage. Chaque franchissement d'un seuil symbolique ( le million, les deux millions, les trois millions de chômeurs ) accroissait davantage le pessimisme ambiant. Et lorsque l'embellie revient, au tournant du siècle, elle est inégalement partagée entre les pays, les régions et les secteurs d'activités. Les laissés-pour-compte de la reprise et les salariés en détresse victimes de nouvelles vagues de restructurations industrielles lors d'un nouveau ralentissement économique ne supportent plus les plans sociaux et sont prêts à tout pour se faire entendre des patrons et des pouvoirs publics. Alors que par culture les salariés se sont toujours interdits de toucher à l'outil de travail les employés d'entreprises dont les activités traditionnelles - textile, acier, bière - sont menacées n'hésitent plus à menacer de transformer l'usine en bombe chimique, à provoquer des pollutions afin d'attirer l'attention sur leurs revendications. Parce qu'ils ont perdu toute illusion sur leur avenir, ces salariés de la "vieille économie " travaillant dans des sites anciens, souvent dans des bassins d'emploi sinistrés, n'hésitent plus à recourir au chantage ou à la violence. La nouvelle économie elle-même n'a pas tenu ses promesses. Surévaluées, les valeurs technologiques se sont effondrées, les débouchés escomptés ne s'étant, en définitive, pas matérialisés.
L'espoir est bien à la base du dynamisme de l'homme. En ce sens la misère se ramène à la perte d'espoir ; l'existence est ramenée au niveau de la seule subsistance. L'homme ne pouvant développer ses potentialités est incapable de se réaliser en tant qu'homme. Nos sociétés sont marquées par les coups d'accordéon de l'économie et en matière de traitement social du chômage. Dans les prochaines années, à la fracture sociale va s'ajouter le fossé numérique entre les nations, les populations, les strates sociales et les individus. A la mi- 2000 le Réseau touche à peine 6 % de la population mondiale. Etats-Unis et Canada abritent la moitié des internautes et l'Afrique moins de 1 %.
Il y a les internautes accrocs qui ne peuvent vivre que par le Web et ceux qui ne prendront pas en marche le train de la nouvelle communication. Il existe un fossé socioculturel, voire intergénérationnel dans les pays industrialisés. Mais, à la base de la fracture numérique il y a simplement les disparités économiques et sociales. Si l'âge est, en effet, un facteur discriminant, le pouvoir d'achat et la qualité des infrastructures interviennent également. Aussi, ce fossé se rencontre-t-il tant dans les pays riches que dans les pays pauvres. Alors que plus de la moitié des Américains utilisent la Toile, seulement 18 % des Français se connectent au Réseau. En France, les ouvriers ne représentent que 2,7 % des internautes contre 35,8 % des cadres et professions libérales. Fin 2003, les foyers français étaient 29 % à disposer d'un accès à internet à domicile contre 24 % un an plus tôt ( Institut gfk pour le magazine SVM ) ; ils devraient être 33 % un an plus tard. Selon l'ART, au 30 septembre 2004, le nombre d'accès à haut débit atteint presque la moitié des accès à internet en France avec 5,5 millions de lignes sur un total de 11,3. L'expression de fracture numérique ne doit pas faire oublier la fracture économique qui sépare pays du Nord et du Sud.
Dans la mesure où il sera difficile de vivre sans Internet au XXIe siècle, le Réseau étant l'un des vecteurs de l'évolution de l'économie, de la société et de la culture, " l'Internet au service de tous " apparaît un défi mondial majeur. Les hommes ne pourront vivre dans le monde réel que s'ils maîtrisent le monde virtuel.
En bref, le XXe siècle a été marqué par les progrès de la chimie et de la physique induisant de nouvelles avancées techniques. Nombre de ces progès provoquent tout à la fois l'émerveillement et l'effroi.
On peut penser que le XXIe siècle sera déterminé par les TI, la biotechnologie et une certaine prise en compte de l'environnement.
LE DESENCHANTEMENT DE L'EST ET DU SUD
La condition de l'homme n'est pas analogue d'un bout à l'autre de la planète. Au cours du siècle précédent on a cru que le monde séparé par des idéologies contraires, se partageaut en deux ; l'Ouest et l'Est avec une entité périphérique le Tiers Monde. * Est : virement de bord.
Dans sa globalité l'Ouest développé disposait de tout y compris du doute. Les valeurs initiées par le monde occidental tendent à se diffuser et à s'imposer au reste de la planète.
Le marxisme-léninisme se présentait comme une alternative économique, sociale et politique au capitalisme libéral. Il laissait espérer la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme et l'instauration de nouveaux rapports humains à tous les niveaux de la société y compris les relations internationales. L'Est communiste voulait rattraper et dépasser son grand rival occidental. Après 1956- notamment avec l'automne hongrois - et 1968 - avec le printemps de Prague - le modèle sovietique centralisateur et de planification impérative a connu une lente et irréversible désagrégation. Les démocraties populaires de l'Europe de l'Est amorcent une politique plus libérale à l'intérieur et essaient de définir un " socialisme à visage humain ". Depuis la chute du Mur de Berlin; le 9 novembre 1989, on peut se demander si l'on n'est pas entré dans une ère nouvelle ?
A l'immense attente d'hier a fait place des déceptions à la hauteur des espérances. Pour nombre de militants communistes c'est toute une vision globale du monde qui s'effondre. Jusque-là, messianismes séculiers et religieux s'affrontaient ou cohabitaient. Idéologies et religions offraient, à leur manière, des façons de voir, de penser et d'agir.
Avec la chute des régimes communistes, c'est toute une série de références - attrayantes pour les uns, à combattre pour les autres - qui disparaissent de l'horizon collectif et individuel. Le capitalisme loin de s'effondrer l'a emporté en ce début du XXIe siècle ; l'implosion du système sovietique est apparue à beaucoup comme le signe que le cours des choses allait dans la bonne direction. L'ordre libéral laisse croire que nous serions dans la meilleure des sociétés possible.
Toutefois, le naufrage d'un rival ne signifie pas pour autant la fin des injustices, des conflits, des menaces et des violences au sein du système économique concurrent. Si la mondialisation semble irrésistiblement s'imposer, elle apporte avec elle une modification généralisée des façons d'être et des modes de vie, source de bien des inquiétudes et d'interrogations. Les anciens pays de l'Est, qualifiés aujourd'hui de nouveaux pays d'Europe centrale et orientale - les PECO - aimeraient bien adopter quasi instantanément les modes de vie de l'Ouest longtemps honni et maintenant modèle, oubliant les conditions institutionnelles de la transition vers l'économie de marché et la nécessité de prendre en compte les temps longs. * Des tiers mondes : développement, enjeux et défis. Au terme de près de cinq décennies de politiques de développement, la situation des populations du Sud ne s'est globalement guère améliorée. Entre 1960 et 1995 le revenu par habitant des 20 pays les plus pauvres a quasiement stagné. Le revenu des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres ( Banque mondiale, 2000 ). A terme, de tels écarts vont rendre la coexistence difficile. En effet, la population mondiale devrait passer de six à huit milliards ; mais les deux milliards d'individus supplémentaires naîtront au Sud. Les moyens de communication aidant, les tracas professionnels, les soucis financiers et les peines de coeur des héros de Dynastie ou d'Urgences ne sont pas ignorés à l'autre bout du monde. Les analyses savantes en termes de retard ou de domination des écarts de développement mesurés par les niveaux de PNB n'y changent rien, les disparités de niveaux de vie sont éprouvées et ressenties au plus profond des êtres. Les populations du Sud comparent leur existence à celles des populations du Nord dont le niveau de vie leut apparaît promesse d'avenir paradisiaque... mais inaccessible.
Le spectacle du capitalisme opulent fascine, séduit et provoque. L'écart grandissant entre les pauvres et les riches ne peut conduire qu'à des explosions sociales. Les pays développés doivent prendre conscience de l'unicité croissante de la planète. Dans l'esprit de maints experts et de nombreux gouvernements, la logique de développement se ramène à une logique de la croissance, laquelle étant prise comme finalité implique que la libération, la réalisation et l'épanouissement de l'individu soient donnés par surcroît. En fait, l'idée de développement n'est pas dépourvue d'ambiguïtés.
La question du développement a été longtemps posée dans le seul champ de l'univers marchand en cohérence avec la vision quasi-fétichiste de l'accroissement du PNB/tête. Cet indicateur de la croissance doit son succès à la facilité relative de l'exprimer par un agrégat unique. Notion, sans doute, utile mais insuffisante, en elle-même, si l'on se réfère aux questions auxquelles elle n'apporte pas de réponse. Quelle est la finalité de la croissance ? Croissance pour qui ? Quelles sont les conditions d'une croissance favorable à l'ensemble de la population ?
Pour les organisations internationales, la lutte contre la pauvreté se résume, pour l'essentiel, à l'accroissement des revenus monétaires. Un signe d'égalité est mis entre marché, expansion du capitalisme et développement ; tout autre critère se trouve par là même écarté . Par-delà leur diversité, les formation sculturelles, considérées sous l'angle occidentalo-centriste, se trouvent situées hiérarchiquement sur une échelle exclusivement quantitative.
Le développement en tant que performance mondiale est une notion qui évacue tout contenu social. L'existence de formes d'organisations économiques et sociales antérieures, - ou tout au moins les composantes survivantes des sociétés traditionnelles -, ne paraissent pas poser de problème. Ces surtvivances sont, implicitement, considérées comme appartenant à des stades inférieurs de l'évolution des sociétés et, de là, jugées anachroniques. Dans la mesure où le patrimoine socio-culturel de la société traditionnelle apparaît sans valeur pour le capitalisme, son dépérissement ou sa perpétuation sont largement négligés dans les opérations de lutte contre la pauvreté. Or, ce qui se produit couramment c'est que ce fonds culturel est dévalorisé par un capitalisme qui n'apporte pas, pour autant, une réelle solution au problème de la pauvreté de masse. Dissociée de l'ensemble complexe des structures sociales, l'idée de développement en tant qu'indicateur de performance internationale correspond aux seuls besoins des couches sociales intérieures et extérieures qui ont intérêt à l'accroissement de l'accumulation.
Finalement, la méconnaissance des aspirations et des besoins des divers groupes sociaux a érigé le terme de développement en promesse de transfert des modes de vie de l'Occident indépendamment du contexte économique, social, culturel et historique des pays. L'aboutissement de la domination culturelle est que la culture réceptrice s'appréhende, non plus au moyen de ses propres représentations et concepts, mais au moyen de ceux du système culturel dominant. Il n'est pas question de nier l'influence majeure de la dimension économique du développement, mais, de reconnaître que les conditions s'ordonnent mal suivant le seul critère économique. Le modèle de consommation européen se propage peu à peu l'ensemble des populations par l'intermédiaire des firmes étrangères sous couvert de l'idéologie du développement largement diffusée par l'Etat. Ce modèle de consommation existe à la fois en tant que pratique pratique réservée à une " élite " et comme aspiration diffuse de larges masses populaires frustrées. Les couches moyennes jouent un rôle décisif dans la diffusion et la généralisation des formes de consommation. L'écart entre leurs niveaux de vie réels et leurs aspirations toujours hors de leur atteinte est certainement une des caractéristiques de cette couche sociale. L'aliénation culturelle - par l'acceptation de valeurs et de normes de consommation européennes - a, concomitamment, pour effet la consolidation de l'aliénation économique. On est ici en face d'un entrecroisement significatif d'un ordre de production et d'un ordre de consommation.
L'hégémonie culturelle de l'Ouest, la capacité à rivaliser avec succès avec le monde occidental industrialisé ne se manifestent pas au niveau des seuls consommateurs, mais également au plan des méga-projets collectifs. A la fin des années 1990, la mondialisation ne concerne pas les seuls échanges, investissements et marché des capitaux ; elle touche aussi les marchés des biens de consommation. Ses conséquences sont de deux types : l'un économique, l'autre social.
L'intégration économique accélère le passage à l'économie de marché et accentue la diffusion et la pénétration des bierns de consommation nouveaux par le biais de vastes campagnes publicitaires. Au niveau social, l' intégration mondiale du marché de la consommation transgresse les limites locales, régionales et les frontières nationales. Ouverture des marchés, tourisme international, télécommunications, normes sociales et envies de consommation ont tendance à s'uniformiser.
A l'échelle de la planète de nouveaux groupes tendent à se constituer. On parle d'une "élite mondiale", de " classes moyennes planétaires ", et même de " jeunesse internationale " qui entendent suivre les mêmes schémas de consommation ( habillement, films, vidéos, musiques, vacances ) et adopter les mêmes marques internationales. Dans la logique qui se met en place, consommer comme les autres ce n'est plus seulement consommer comme son voisin, c'est vouloir se calquer sur le mode de vie des individus riches et célèbres que les médias poussent sur le devant de la scène. Le système dominant ferait que les populations les plus éloignées et les plus différentes à l'origine culturellement seraient enserrées dans les mailles d'un tissu social toujours plus serrées de telle sorte que l'on parle de village mondial. Les moyens de communication sont tels que les hommes ont l'illusion qu'ils sont plus proches les uns des autres. Ainsi, les divers groupes sociaux des pays en voie de développement, en fonction de leur " capacité à payer ", cherchent à adopter les structures de consommation occidentales en acquérant des biens et des services fournis par les firmes multinationales. Le but des nouveaux riches des PECO et des nouveaux pays industrialisés, au-delà de l'accumulation classique en vue de l'investissement, est la consommation ostentatoire de produits de luxe. Cette analyse peut aussi rendre compte des méga-projets civils ou militaires, privés ou publics. Le but de nombreuses élites dirigeantes est de faire de leurs capitales politiques ou/et économiques des images urbaines flatteuses, symboles de modernité. Les édifices de Yamoussokro, comme les tours de Kuala Lampur ne s'imposent pas par leur seule efficacité fonctionnelle ; au-delà de leur justification strictement instrumentale, c'est l'ajout de leur dimension emblématique de statut qui permet de les comprendre en toute plénitude. Les pressions exercées par la progression des dépenses emblématiques de statut social génèrent des tendances inquiétantes du point de vue du développement humain : hausse de la consommation de produits de luxe par rapport aux produits de première nécessité, exclusion sociale aux dépens de l'intégration. Parce que les blocages culturels et idéologiques qui entravent le développement doivent être éliminés, au même titre que les blocages sociaux, il s'agit de d'opérer moins une restauration culturelle qu'une qualification radicale d'une culture pour un projet de société. Aller dans le sens d'un développement national, bénéficiant au plus grand nombre, impose d'allier un processus cumulatif de croissance des forces productives à des changements dans les rapports sociaux de production appuyés sur l'héritage culturel profondément enrichi et transformé. La tradition en tant que telle n'existe plus à l'époque contemporaine ; aucune région de la planète n'échappe au monde moderne. Toutefois l'apparente standardisation des pratiques et des modes de vie ne doit pas faire oublier l'absence d'uniformisation des niveaux de vie et les différenciations culturelles dans les rythmes de travail, l'usage de l'argent et les pratiques de consommation. Parallèlement à la domination homogénéisante de la culture occidentale prend place une hétérogéisation culturelle sous forme de métissages variés et de recherches d'authenticité à partir d'autres systèmes culturels. Il faut savoir prendre ce qui est estimé nécessaire dans la modernité tout en sachant se garder à distance des pièges du modèle occidental. Sans doute, faudrait-il simultanément créer les conditions d'une citoyenneté globale, pour reprendre l'expression du spécialiste d'économie écologique qu'est Wolfgang Sachs. Ce qui suppose une prise de conscience et des efforts de la part des classes aisées et moyennes tant du Nord que du Sud pour changer leurs schémas de consommation et créer des économies plus sobres, moins dévoreuses des ressources de la planète. Quel enjeu et quel défi global !
Mettre les comportements en accord avec les analyses sera une tâche rude. Le développement conventionnel qui consiste à suivre l'exemple du Nord n'est possible que parce qu'il est réservé à une minorité à l'échelle du monde. Rendre la mondialisation plus humaine et élaborer de nouveaux schémas de développement est le double défi qu'entend relever la Banque mondiale à l'entrée dans le nouveau millénaire. Sans renoncer à la primauté accordée au marché, le combat contre la pauvreté devrait redevenir une des priorités. Toutefois, faut-il rappeler que la lutte contre la pauvreté avait déjà été solennellement déclarée prioritaire en 1973 par le président de la Banque mondiale de l'époque, Robert Mac Namara... Le capitalisme est par nature dynamique ; ses formes se sont transformées au cours de l'histoire. La mondialisation est inséparable du fonctionnement même du capitalisme ; à ce titre, elle est inévitable. Ce sont ses modalités d'existence qui changent historiquement ( Charles-Albert Michalet, Qu'est-ce que la mondialisation ?; 2002 ).
La configuration globale aujourd'hui dominante se caractérise par le primat accordé à la rentabilité financière, l'affaiblissement des acteurs publics au profit des acteurs privés, le jeu de la déréglementation, la prééminence des détenteurs du patrimoine et des actionnaires sur les salariés. Face aux décideurs réunis en forum économique à Davos, les opposants au libéralisme ont institué depuis janvier 2001 un forum social à Porto Alegre au Brésil. Les tenants d'une autre mondialisation ( ONG, mouvements de consommateurs, paysans du Nord et du Sud, associations militantes...) essaient de se structurer afin de passer du stade de la protestation à celui de la proposition. La définition d'un projet sera une tâche ardue et longue compte tenu de la difficulté à harmoniser les revendications des pays du Sud en faveur de débouchés plus importants et les préoccupations éthiques des consommateurs des pays du Nord ou les préoccupations environnementales des pays riches et les exigences des organisations de développement des pays pauvres. Toutefois, les altermondialistes ont lancé un mouvement et c'est déjà un premier pas vers une autre mondialisation.
Une autre société mondiale ne peut se construire, à horizon long, que sur la base de valeurs de solidarité et de responsabilité des différents acteurs : Etats, entreprises, banques et société civile. Etant donné la mondialisation des échanges, il faudra bien envisager, sous une forme ou sous une autre, une mondialisation d'une certaine dose de solidarité afin d'en combattre les effes inégalitaires les plus criants entre les pays comme entre les différentes strates sociales d'un même pays. C'est la remise en question d'un modèle global de développement qu'il s'agit d'envisager. Cela suppose la capacité de surmonter tout un sentiment de colère légitime et une aspiration à la vengeance à la suite de la tragédie terroriste vécue par l'Amérique afin d'étudier les raisons profondes de tels attentats. Cela suppose aussi de se débarrasser d'une optique occidentalocentriste pour appréhender toute la violence diffuse sur la planète générée par l'excès de puissance des Etats-Unis, les inégalités criantes et les dysfonctionnements du système international. A l'évidence ce ne sera pas une tâche facile comme en témognent, suite aux attentats, les réactions immédiates de l'opinion publique et des élus qui demandent le durcissement de l'immigration.
Le succès du mouvement " anti-mondialisation" vient de la diversité de ses groupes constitutifs manifestant contre la " marchandisation du monde " sur tous les registres. Si rien n'est fait, le processus de mondialisation avec son mélange de chances et de risques entraînerait un danger de marginalisation des pays les plus pauvres. Au-delà de son rôle d'agitateur d'idées favorisant une prise de conscience mondiale, il faudra bien un jour esquisser un début de structuration et élaborer quelques pistes menant vers une " civilisation de la solidarité ", organiser des contre-pouvoirs, ouvrir aux pays les plus pauvres l'accès aux marchés des pays riches, revoir le problème de la dette, se poser la question de l'existence des pardis fiscaux... L'ancien ouvrier métallo devenu président du Brésil ose souscrire au " renforcement du libre commerce mondial" pour sortir du sous-développement mais sous réserve que les conditions de la concurrence soient moins inégales qu'elles ne le sont lorsque le Nord fixe seul les règles du jeu. Le rétablissement des conditions de la concurrence supposerait alors une sorte de dicrimination positive (principe qui veut que que l'on donne plus à ceux qui ont moins ) en faveur des pays du Sud afin que ces derniers profitent davantage de la mondialisation.
Après l'effondrement du système communiste qui représentait, à tort ou à raison, une espérance pour les plus défavorisés, le néolibéralisme apparaît triomphant; on voit mal d'où peut venir aujourd'hui l'utopie porteuse d'espérance auprès des plus démunis. A l'orée du troisième millénaire, devant les périls d'une mondialisation sans gouvernance, les populations se considèrent comme les passagers d'un navire pris dans la tempête et qui se demandent s'il y a un timonier à la barre. Un ordre de justice mondial reste à construire. L'époque est plutôt celle du doute que celle des enthousiasmes générés par de précédentes perceptions du monde. Cependant, ne peut-on pas voir dans les forums et manifestations de Porto Alegre, Seattle, Gênes, Bombay... l'esquisse confuse d'une forme de citoyenneté planétaire ? Telle est la lecture de ces débats d'opinion transnationaux face au Fonds monétaire international que fait, par exemple, l'ethnologue Marc Augé. "Dans cette planète utopique, mais qui est la nôtre, chacun appartiendrait effectivement à sa région, à son pays, à sa planète. C'est une utopie, car, dans l'état actuel du monde, ni les pays ni les individus ne pèsent le même poids et l'écart ne fait que croître ; c'est une utopie, car les relais institutionnels qui permettraient à une opinion publique mondiale, transnationale, de s'exprimer effectivement ne sont pas près de fonctionner ; mais c'est une utopie nécessaire dont quelques ébauches laissent percevoir qu'elle sera peut-être un jour possible. Ce jour-là, les repères de l'identité, de la relation et de l'histoire existeraient à l'échelle de la planète. Celle-ci deviendrait à la fois un espace public et un lieu" (2003, pp. 152-153 ).
De leur côté, dans une réflexion à trois voix, Michel Albert, Jean Boissonnat et Michel Camdessus invitent à rechercher, à partir de leur connaissance du terrain, non pas la grande Utopie mais de "modestes utopies à réalisation vérifiable " ( 2002, p. 66 ). Ils proposent ainsi une vingtaine d'initiatives qui peuvent être lancées sans délais : la mise en place d'une écotaxe européenne, la fin des paradis fiscaux, la priorité au développement humain, la préparation de l'Europe à l'immigration, la taxation des ventes d'armes, l'eau potable pour tous... Il s'agit de prendre en main la mondialisation car ce qui définit les premières années du XXIe siècle c'est le surgissement continuel de problèmes de dimension mondiale qui outrepassent les frontières de l'état-nation. Pour le dire au final d'une manière synthétique, cette brève évocation du dernier siècle, qui aura été celui du changement ( René Rémond, 2000, p. 22 ), souligne à nouveau le caractère ambivalent des réalisations humaines. Les splendeurs de la planète ne peuvent pas dissimuler les zones d'ombre que les différentes générations humaines auront pour tâche de réduire toujours plus.
Si le XXe siècle a été ainsi le siècle du changement quand a-t-il réellement pris fin ? Dans l'opinion et chez nombre d'historiens le sentiment a prévalu jusqu'à il y a peu que le 9 novembre 1989 marquait un réel changement d'époque en raison des espoirs nés de la chute du Mur de Berlin et de l'avènement d'un ordre démocratique international sans violence.
Toutefois, n'est-ce pas plutôt le 11 septembre 2001 qui marque les débuts du XXIe siècle ? Le drame qui s'est déroulé en direct sous le regard de tous a fait surgir le sentiment partagé que la paix du monde était à nouveau fortement mise en question et qu'en tout cas rien ne serait plus comme avant. Alors 2001 annule-t-il le message de 1989 convient-il de se demander avec René Rémond ? ( Du mur de Berlin aux tours de New-York, 2002 )
Pour aller plus loin dans la réflexion
ALBERT Michel, BOISSONNAT Jean, CAMDESSUS Michel - Notre foi dans ce siècle, Paris, Arlea, 2002.
BANQUE MONDIALE - Rapport sur le développement dans le monde, 2000.
BOYER Robert - La croissance, début de siècle, Paris, Albin Michel, 2002.
CASTEL Robert - L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, Seuil, 2003.
CHAUVEL Louis - Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, Paris, PUF, 2002.
DESPORTES Gérard et MAUDUIT Laurent - L'adieu au socialisme, Paris, Grasset, 2002.
D'ORMESSON Jean - Le rapport Gabriel, Paris, Editions Gallimard, 1999.
GIRARD René - Celui par qui le scandale arrive, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.
GLUCKSMANN André - Dostoïevski à Manhattan, Paris, Robert Laffont, 2002.
GUILLEBAUD Jean-Claude - Le principe d'humanité, Paris, Seuil, 2001.
LA RECHERCHE, 2000.
LEPOUTRE David - Coeur de banlieue, Paris, Odile Jacob, 1997.
LINDENBERG Daniel - Le rappel à l'ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Editions du Seuil et la République des Idées, 2002.
MARCHADIER Bernard - Notes claires pour une époque fumeuse, Genève, Ad Solem, 2000.
MEYER Philippe - Leçons sur la vie, la mort et la maladie, Paris, Hachette, 1998.
MICHALET Charles-Albert - Qu'est-ce que la mondialisation ?, Paris, Editions La Découverte, 2002.
MICHEA Jean-Claude - Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l'impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Castelnau-le-Lez, Editions Climat, 2002.
REMOND René - Regard sur le siècle, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.
REMOND René - Du Mur de Berlin aux tours de New-York. Douze ans pour changer de siècle, Paris, Bayard, 2002.
RIVERO Osvaldo ( de ) - Le mythe du développement, Paris, Editions de l'Atelier, 2003.
SERRES Michel - Hominescence, Paris, Editions Le Pommier, 2001.
SICARD Didier - La médecine sans le corps. Une nouvelle réflexion critique, Paris, Plon, 2002.
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