Images romanes de Thomas
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Les figurations romanes de l'apôtre Thomas ne paraissent pas avoir inspiré beaucoup commanditaires et artistes des X-XIIe siècles.
- Sur les linteaux consacrés aux représentations des apôtres Thomas est au nombre des disciples directs de Jésus mais sans attribut particulier permettant de le distinguer de ses compagnons.

- Dans les représentations singulières en pied c'est la mise en scène de l'incrédulité de l'apôtre qui est soulignée.

- Enfin, le caractère de Thomas et son incrédulité apparaissent également dans l'épisode de la légende dorée consacrée à l'Assomption.



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Thomas l'incrédule.
Le Psautier enluminé de Saint-Alban réalisé vers 1125 à l'abbaye Saint Alban, Angleterre.


Thomas, apôtre parmi ses condisciples

✏︎ Sur les linteaux consacrés aux représentations des apôtres aucun signe distinctif ne permet d'identifier Thomas parmi les autres apôtres. Comme souvent c'est Pierre avec ses clefs que l'on repère.


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Tympan de l'église de Montceaux-l'Etoile, Saône-et-Loire.

Les apôtres avec saint Pierre reconnaissable comme toujours par ses clefs regardent l'Ascension du Christ entouré d'anges volant.
Le Christ dans sa mandorle tient la croix ( endommagée ) de son supplice.

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Eglise Saint-Pierre de Collonges-la-Rouge, Corrèze. Crédit :Peter Potrowl, Wikipedia

Ce tympan du XIIe siècle fait parfois débat : représentant dans sa partie supérieure soit l'Ascension, soit pour certains le retour du Christ.
Le registre inférieur comporte onze des douze apôtres ( sans Judas ) et la Vierge. Comme toujours Matthieu se distingue par le port de sa clé.


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Cathédrale Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône.


Ce portail sculpté vers 1180-1190 représente le Jugement dernier. Les apôtres sont représentés au linteau, assis, tenant chacun un livre fermé. Saint Pierre et saint Paul se tiennent au milieu; lequel est Thomas ?

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Au linteau, du tympan de la porte Miégeville à la basilique Saint-Sernin de Toulouse on observe les apôtres regardant le ciel. Ils sont encadrés par deux anges coiffés de bonnets pointus qui les encouragent à aller partout annoncer la nouvelle de la Résurrection.

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Basilique Notre-Dame des Miracles, Mauriac, Cantal.

L'Ascension. Au registre supérieur, le Christ figure entouré de deux anges. Au registre inférieur, le mont des Oliviers est représenté par un groupe de petits dômes séparant la Vierge et les apôtres en deux groupes, sept à droite du Christ, six à gauche. L'identification des personnages est difficile car toutes les têtes ont disparu. Saint Pierre se devine à la clef qu'il port.


✏︎ Des représentations d'apôtres se trouvent également sous forme de peintures murales. Malheureusement, s'ils ne sont pas nommés aucun attribut particulier ne permet d'identifier Thomas parmi ses compagnons.

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A l'église de Moncherrand, XIe siècle, canton de Vaud, Suisse, tous les apôtres entourent le Christ ; certains sont nommés, les autres non ; l'usure du temps a ainsi fait disparaître l'apôtre du Doute ainsi que certains de ses compagnons.

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Crédit photo : Mme Violaine Büchler

Dans la partie basse de l'abside les douze apôtres en demi-cercle entourent un personnage central sans doute la Vierge. Les compagnons du Christ sont représentés debout, abrités chacun sous une petite arcature. Les attributs manquent et les apôtres ne pourraient être identifiés s'ils n'étaient accompagnés de leurs noms.
Sept apôtres seulement sont encore conservés, les deux personnages de gauche, Thaddée (ou Jude) et Matthieu, et les cinq personnages de droite (en allant de gauche à droite): Jean, André, Jacques, Mathias et Philippe.
Tous les autres ont disparu à l'exception de quelques vestiges de nimbes, de la partie droite et de l'inscription de Paul.
Ils ont été simplement esquissés au trait dans l'ordre suivant par l'auteur d'une tentative de reconstitution :

* A On retrouve cette composition scénique dans une ancienne chapelle romane d'Avenches/Donatyre.
Les peintures de l’église de Donatyre sont une copie datant de 1907 de celles du 11e de l’église de Montcherand.

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Avenches/Donatyre, chapelle romane Sainte Thècle, Canton de Vaud, Suisse.

Crédit photo :
Mme Violaine Büchler

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* Au réfectoire de l'ancienne abbaye de Lavaudieu, Haute-Loire on observe une fresque d'influence byzantine, remontant au XIIe siècle,

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C'est sur le mur Est du réfectoire que la fresque retenant notre intérêt est observable. Le registre supérieur représente le Christ en majesté entouré des symboles des évangélistes.


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Le registre inférieur comporte une Vierge en majesté, couronnée accompagnée de deux anges et encadrée par les apôtres.

Les images de l'incrédulité de Thomas
Les œuvres de pierre consacrées au doute de l'apôtre Thomas qui sont parvenues jusqu'à nous semblent peu nombreuses ; en revanche celles que l'on peut observer sont magnifiques.

✏︎ Les représentations sculptées.
Un chapiteau de l'ancienne abbaye de la Daurade et un pilier du cloître de Silos sont particulièrement remarquables; des représentations de l'apôtre Thomas en pied existent aussi à Saint-Trophime et à Saint-Gilles-du-Gard.

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L'incrédulité de saint Thomas. Chapiteau de colonnes jumelles. Cloître du prieuré de la Daurade. 1120-1130.
Sculptures romanes, Musée des Augustins, Toulouse.


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Cloître Santo Domingo de Silos, premier maître haut-lieu de l'art roman espagnol


Le Doute de saint Thomas se dresse, comme un grand commentaire de pierre à l'angle Nord-Ouest du cloître. Ce n'est pas une illustration, mais une pensée de l'Evangile selon saint Jean pourra dire Michel Claveyrolas à propos de ce magnifique relief où tout se joue dans les regards.

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Thomas fixe la blessure, il veut s'assurer et comprendre. Il est encore de ce monde et dans ce monde.
Le Christ se prête au geste de Thomas et il tend même le bras pour lui faciliter les choses. Mais par cette disposition, le bras et le corps du Christ séparent le monde du doute, le monde sensible, du monde de la vérité.
Une certaine impatience se manifesterait-elle sur le visage de Jésus? Il attend, simplement. Il sait que pour certains le chemin est plus malaisé que pour d'autres. Et puis il se souvient que lorsque les autres avaient peur de l'accompagner en Judée auprès de Lazare, Thomas leur avait dit "Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!"
Il est possible, alors, que ce bras tendu au dessus de celui qui n'a pas la chance d'avoir la même foi que les autres soit un geste de protection: "Ne jugez pas Thomas". Les onze apôtres ne pensent même pas à leur compagnon: leurs grands yeux sont ouverts sur un ailleurs stupéfiant. D'un mouvement impératif, le Christ impose silence à ceux qui pourraient se flatter d'être meilleurs croyants que Thomas.
Michel Claveyrolas



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Il faut aussi suivre le regard des autres apôtres. Ils ne lui en veulent pas, la scène ne semble pas les intéresser. Ils sont hallucinés par le monde que la Résurrection vient de leur dévoiler.
Ils redescendront sur terre, il connaîtront des conflits, certains subiront le martyre, mais pour le moment leurs yeux montrent qu'ils ne sont pas présents au monde dans lequel Thomas approche craintivement sa main d'une blessure mortelle.



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Cloître de la cathédrale Saint-Trophime, Arles
Le Christ montrant ses plaies au côté et aux mains. Saint Thomas sur le côté gauche.

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Cloître de la cathédrale Saint-Trophime, Arles
Plan rapproché sur saint Thomas.

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açade de l'abbaye Saint-Gilles-du-Gard

Saint Thomas et saint Jacques le Mineur, par le maître de saint Thomas, le plus "roman" des sculpteurs de la façade de l'abbaye.
Avec bien des abréviations, sur le livre, se trouve inscrite la déclaration de Thomas NISI VIDERO IN MANIBVS EJVS FIXVRAM CLAVORVM ET MITTAM DIGITVM MEVM IN LOCO CLAVORVM ET MITTAM MANVM MEAM IN LATVS EJVS NON CREDAM ("Je ne le croirai pas à moins de voir à ses mains la marque des clous, de mettre ma main à la place des clous et de mettre ma main dans son côté") .

Jacques le Mineur est de même facture, mais plus statique. Il porte un lourd manteau et ses pieds sont chaussés, signe de sa dignité épiscopale (les autres apôtres ont les pieds nus ou portent de simples sandales). Sur le nimbe: JACOBVS FRATER DOMINI JEROSOLIMITANVS EPISCOPVS ("Jacques, frère du Seigneur, évêque de Jérusalem").


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açade de l'abbaye Saint-Gilles-du-Gard


Remarquons le plissé très roman des vêtements, se terminant en bas par des "s". La hanche de Thomas ressort, les jambes sont croisées, comme pour l'Isaïe de Souillac, le Christ de la fresque Noli me tangere de Saint-Sernin à Toulouse.


✏︎Le thème du Doute de Thomas a inspiré également l'artiste de cet ivoire sculpté

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Crédit photo : hodiemecum.hautefort
Ivoire sculpté XIIe siècle. Le doute de Saint Thomas.
Présentation classique avec le Christ levant le bras droit pour permettre à Thomas de reconnaître la plaie de son côté.


Thomas et la sainte ceinture de la Vierge de l'Assomption
Les évangélistes ne rapportent pas la mort de Marie. C'est seulement dans les écrits apocryphes postérieurs aux Saintes Ecritures canoniques que la dormition, les funérailles, l'assomption et le couronnement de la Vierge sont évoqués.


Ainsi, le thème de la ceinture miraculeuse de la Vierge de l'Assomption ne peut être saisi sans référence à un récit apocryphe dans lequel Marie lors de son assomption remet sa ceinture à Thomas.
Le sujet est inspiré du Livre livre du " Passage de Marie ou Transitus Mariae
" et rapporté dans la "Légende dorée " de Jacques de Voragine.
Dans un chapitre consacré à l'Assomption la montée au ciel de Marie est racontée de façon détaillée. Dans ce récit l'archange Gabriel a visité Marie lui annonçant sa mort prochaine et il lui remit une palme qui devrait être portée par Jean lors de la cérémonie funèbre. Après trois jours de prière, la Vierge désire revoir les apôtres, et Gabriel les transporte miraculeusement auprès d'elle. Thomas n'était pas là et quand il arriva, incrédule, Marie depuis le ciel lui a offert sa ceinture pour qu'il puisse dépasser son incrédulité à propos de son Assomption…


" Marie s'adressant à Jean : " Me voici appelée par le Seigneur à payer le tribut à la condition humaine, et je te recommande d'avoir un soin particulier de mon corps. J'ai appris que les Juifs s'étaient réunis et avaient dit : « Attendons, concitoyens et frères, attendons jusqu'au moment où celle qui a porté (418) « Jésus subira la mort, aussitôt nous ravirons son corps « et nous le jetterons pour être la pâture du feu. » Tu feras porter alors cette palme devant mon cercueil, lorsque vous porterez -mon corps au tombeau. » Et Jean dit : « Oh ! plût à Dieu que tous les apôtres mes frères fussent ici, afin de pouvoir célébrer conve-nablement vos obsèques et vous rendre les honneurs dont vous êtes digne. »
Pendant qu'il parlait ainsi, tous
les apôtres sont enlevés sur des nuées, des endroits où ils prêchaient et sont déposés devant la porte de Marie. En se voyant réunis tous au même lieu, ils étaient remplis d'admiration : « Quelle est, se disaient-ils, la cause pour laquelle le Seigneur nous a rassemblés ici en même temps? » Alors Jean sortit et vint les trouver pour les prévenir que leur dame allait trépasser ; puis il ajouta: « Mes frères, quand elle sera morte, que personne ne la pleure, de crainte que le peuple témoin de cela ne se trouble et dise : « Voyez comme, ils craignent la mort, ces hommes qui prêchent aux autres
Or; les apôtres qui portaient Marie la mirent dans le tombeau, autour duquel ils s'assirent, ainsi que le Seigneur l’avait ordonné. Le troisième jour, Jésus arriva avec une multitude d'anges et les salua en disant: « La paix soit avec vous. » Ils répondirent: « Gloire à vous, ô Dieu, qui seul faites des prodiges étonnants. » Et le Seigneur dit aux apôtres: « Quelle grâce et quel, honneur vous semble-t-il que je doive conférer aujourd'hui à ma mère ? » « Il paraît juste, Seigneur, répondirent-ils, à vos serviteurs que, comme vous qui régnez dans les siècles après avoir vaincu la mort, vous ressuscitiez, ô Jésus, le corps de votre mère et que vous le placiez à votre droite pour l’éternité. » Et il l’octroya: alors l’archange Michel se présenta aussitôt et présenta l’âme de Marie devant le Seigneur. Le Sauveur lui parla ainsi: «
Levez-vous, ma mère; ma colombe, tabernacle de gloire, vase de vie, temple céleste; et de même que, lors de la conception, vous n'avez pas été souillée par la tache du crime, de même, dans le sépulcre, vous ne subirez aucune dissolution du (424) corps. »
Et aussitôt l’âme de Marie s'approcha de s
on corps qui sortit glorieux du tombeau. Ce fut ainsi qu'elle fut enlevée au palais céleste dans la compagnie d'une multitude d'anges.
Or, Thomas n'était pas là, et quand il vint, il ne voulut pas croire, quand tout à coup, tomba de l’air la ceinture qui entourait la sainte Vierge ; il la reçut tout entière afin qu'il comprît ainsi qu'elle était montée  tout entière au ciel."

Dans cette Assomption de la Vierge Marie selon le récit de Jacques de Voragine on peut effectuer un relatif rapprochement avec l'incrédulité de Thomas lors de la Résurrection du Christ.
C'est seulement sur un tympan déposé que l'on trouve une magnifique composition scénique relatant la remise à Thomas de la ceinture miraculeuse de Marie lors de sa montée au ciel.
Le remarquable tympan de l'église Notre-Dame des anges, Cabestany ( 66 ) va nous permettre de voir une illustration de ce thème. Il est l'œuvre d'un sculpteur anonyme connu sous le nom du " maître de Cabestany ".



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Le tympan se trouve aujourd'hui à l'intérieur de l'église. Cette plaque de marbre blanc des Pyrénées comportant diverses scènes en l'honneur de la Vierge Marie. Ses dimensions sont de 2,05 m de long pour 0,84 m de hauteur maximale. Son épaisseur est de 22 cm.



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Sur le côté gauche du tympan sort du tombeau à l'appel du Christ, nimbé d'une auréole crucifèreDominant la frêle silhouette de sa mère, le Christ, .
Le fils, nimbé d'une auréole crucifère, prend tendrement dans ses bras sa mère sous le regard de deux apôtres assistant à la scène. A gauche Jean représenté imberbe et Pierre plus âgé et barbu, agenouillé à droite du sarcophage.

Enfin six têtes d'anges entourent le Christ et la Vierge.


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A droite du tympan des anges accompagnent Marie les yeux clos dans son Assomption. Trois d'entre eux supportent la mandorle de Marie qui monte sereinement vers le ciel.

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Deux anges balancent des encensoirs autour de la tête de Marie.


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Au centre de la composition une scène singulière est figurée par le maître de Cabestany Thomas, toujours incrédule, doute de l'assomption de Marie comme il a douté de la même façon de la Résurrection du Christ et reçoit du ciel, pour anéantir ses doutes, la ceinture miraculeuse qui était attachée au corps de Marie.


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Thomas qui ne voulait pas croire à l'Assomption de la Vierge tient la sainte ceinture qu'elle lui a offerte en gage.


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Détails : Au centre, le Christ avec son nimbe crucifère tient dans sa main gauche le Livre et de la droite démesurée fait un geste de bénédiction.
A sa gauche, la Vierge est représentée dans une gestuelle d'oraison.
A la droite du Christ le disciple Thomas a le regard tourné vers le Maître.


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