Evocations gothiques
de la vie légendaire de l'apôtre Thomas
_____________

A la différence de saint Pierre fréquemment représenté avec ses clefs, saint Thomas est peu figuré sur les édifices. On le trouve sur quelques tympans tels ceux de la cathédrale de Strasbourg et de Poitiers de même que sur un tympan de la collégiale de Semur-en-Auxois.
De plus,
des vitraux et des éléments sculptés isolés relatifs à Thomas peuvent êtres repérés ici ou là.


Semur-en-Auxois7
Crédit photo : Pierre Boucaud
Portail des Bleds (v. 1250-1260) : le tympan de la Collégiale de Semur-en-Auxois, Côte-d'Or

Pour saisir pleinement ces rares représentations sculptées il est nécessaire de rappeler certains passages que Jacques de Voragine a consacré à l'Assomption de la Vierge dans sa " Légende dorée ".
Les termes en caractères gras correspondent aux épisodes de la vie légendaire de Thomas retenus par les commanditaires et les tailleurs de pierre dans leurs compositions sculptées.

L'apôtre Thomas était à Césarée quand le Seigneur lui apparut et lui dit : « Le roi des Indes Gondoforus a envoyé son ministre Abanès à la recherche d'un habile architecte. 

Indes. Dieu dit à Thomas : « Va sans aucune appréhension, car je serai ton gardien. Quand tu auras converti les Indiens, tu viendras à moi avec la palme du martyre. » Et Thomas lui répondit: « Vous êtes mon maître, Seigneur, et moi votre serviteur : que votre volonté soit faite. »
Comme le prévôt ou l’intendant se promenait sur la place, le, Seigneur lui dit : « Que vous faut-il, jeune homme? » « Mon maître, dit celui-ci,  m’a envoyé pour lui ramener des
ouvriers habiles en architecture, qui lui construisent un palais à la romaine. » Alors le Seigneur lui offrit Thomas comme un homme très capable en cet art.
Ils s'embarquèrent, et arrivèrent à une ville où l
e roi célébrait le mariage de sa fille. Il avait fait annoncer que tous prissent part à la noce, sous peine d'encourir sa colère. Abanès et l’apôtre s'y rendirent.
Or, une jeune fille juive, qui tenait une flûte à la main, adressait quelques paroles flatteuses à chacun. Quand elle vit l’apôtre, elle reconnut qu'il était juif parce qu'il ne mangeait point et qu'il tenait les yeux fixés vers le ciel. Alors elle se mit à chanter en hébreu devant lui: « C'est le Dieu des Hébreux qui seul a créé l’univers, et creusé les mers », et l’apôtre voulait lui faire répéter ces mêmes paroles.
L'échanson remarquant qu'il ne mangeait ni ne buvait, mais tenait constamment les yeux vers le ciel, donna un soufflet à l’apôtre de Dieu. « Mieux vaudrait pour toi d'être épargné plus tard, lui dit l’apôtre, et d'être puni ici-bas d'un châtiment passager. Je ne me lèverai point que là main qui  m’a frappé n'ait été ici même apportée par les chiens. » Or, l’échanson étant allé puiser de l’eau à la, fontaine, un lion l’étrangla et but son (55) sang. Les chiens déchirèrent son cadavre, et l’un d'eux, qui était noir, en apporta la main droite au milieu du festin. A cette vue toute la foule fut saisie, et la pucelle se rappelant les paroles, jeta sa flûte et vint se prosterner aux pieds de l’apôtre…..
Alors l’apôtre, sur la demande du roi, bénit l’époux et (57) l’épouse en disant : « Accordez, Seigneur, la bénédiction de votre droite à ces jeunes gens, et semez au fond de leurs coeurs les germes féconds de la vie. » Quand l’apôtre se retira, l’époux se trouva tenir une branche chargée de dattes. Les époux après avoir mangé de ces fruits s'endormirent tous deux et eurent le même songe. Il leur semblait qu'un roi couvert de pierreries les embrassait en disant : « Mon apôtre vous a bénis pour que vous ayez part à la vie éternelle. » S'étant éveillés ils se racontaient l’un à l’autre leur songe, quand l’apôtre se présenta, il leur dit : « Mon roi vient de vous apparaître, il  m’a introduit ici les portes fermées, pour que ma bénédiction vous profitàt. Gardez la pureté du corps, c'est la reine de toutes les vertus et le salut éternel en est le fruit. La virginité est la sueur des Anges, comble de biens, elle donne la victoire sur les passions mauvaises, c'est le trophée de la foi, la fuite des démons et le gage des joies éternelles. La luxure engendre la corruption, de la corruption naît la souillure, de la souillure vient la culpabilité, et la culpabilité produit la confusion. »
Pendant qu'il exposait ces maximes, apparurent deux anges qui leur dirent : « Nous sommes envoyés pour être vos anges gardiens : si vous mettez en pratique les avis de l’apôtre avec fidélité, nous offrirons tous vos souhaits à Dieu. » Alors Thomas les baptisa et leur enseigna chacune des vérités de la foi. Longtemps après, l’épouse, nommée Pélage, se consacra à Dieu en prenant le voile, et l’époux, qui s'appelait Denys, fut ordonné évêque de cette ville.
Après cela, Thomas et Abanès allèrent chez le roi des Indes. L'apôtre traça le plan d'un palais (58) magnifique : le roi, après lui avoir remis de considérables trésors, partit pour une autre province. L'apôtre distribua aux pauvres le trésor tout entier.
Pendant les deux ans que dura l’absence du roi, Thomas se livra avec ardeur à la prédication et convertit à la foi un monde innombrable.
A son retour,
le roi s'étant informé de ce qu'avait fait Thomas, l’enferma avec Abanès au fond d'un cachot, en attendant qu'on les fit écorcher et livrer aux flammes.
Sur ces entrefaites,
Gab, frère du roi, meurt. On se préparait à lui élever un tombeau magnifique, quand le quatrième jour, le mort ressuscita; tout le monde effrayé fuyait sur ses pas; alors il dit à son frère : « Cet homme, mon frère, que tu te disposais à faire écorcher et brûler, c'est un ami de Dieu et tous les anges lui obéissent. Ceux qui me conduisaient en paradis me montrèrent un palais admirable bâti d'or, d'argent et, de pierres précieuses; j'en admirais la beauté, quand ils me dirent : « C'est le palais que Thomas avait construit pour ton frère, » et comme je disais : « Que n'en suis-je le portier! » Ils ajoutèrent alors : « Ton frère s'en est rendu indigne; si donc tu veux y demeurer, nous prierons le Seigneur de vouloir bien te ressusciter afin que tu puisses l’acheter à ton frère en lui remboursant l’argent qu'il pense avoir perdu. »
En parlant ainsi, il courut à la prison de l’apôtre, le
priant d'avoir de l’indulgence pour son frère. Il délia ses chaînes et le pria de recevoir un vêtement précieux. « Ignores-tu, lui répondit l’apôtre, que rien de charnel, rien de terrestre n'est estimé de ceux qui désirent avoir puissance en choses célestes? Il sortait de la prison quand le roi, qui venait (59) au-devant de lui, se jeta à ses pieds en lui demandant pardon. Alors l’apôtre dit : « Dieu t'a accordé une grande faveur que de te révéler ses secrets. Crois en J.-C. et reçois le baptême pour participer au royaume éternel. » Le frère du roi lui dit : « J'ai vu le palais que tu avais bâti pour mon frère et il me ferait plaisir de l’acheter. » L'apôtre repartit : « Cela est au pouvoir de ton frère. » Et le roi lui dit : « Je le garde pour moi : que l’apôtre t'en bâtisse un autre, ou bien s'il ne le peut, nous le posséderons en commun. » L'apôtre répondit : « Ils sont innombrables dans le ciel, les palais préparés aux élus depuis le commencement du monde; on les achète par les prières et au prix de la foi et des aumônes. Vos richesses peuvent vous y précéder, mais elles né sauraient. vous y suivre. »
Un mois après, l’apôtre ordonna de rassembler tous les pauvres de cette province, et quand ils furent réunis, il en sépara les malades et les infirmes, fit une prière sur eux. Et après que ceux qui avaient été instruits eurent répondu : Amen, un éclair parti du ciel éblouit aussi bien l’apôtre que les assistants pendant une demi-heure, au point que tous se croyaient tués par la foudre; mais Thomas se leva et dit : « Levez-vous, car mon Seigneur est venu comme la foudre et vous a guéris. » Tous se levèrent alors guéris et rendirent gloire à Dieu et à l’apôtre. Thomas s'empressa de les instruire et leur démontra les douze degrés des vertus. Après cette prédication furent baptisés neuf mille hommes, sans compter les enfants et les femmes..
De là Thomas alla dans l’Inde supérieure, où il se rendit célèbre par un grand nombre de miracles. …."


Saint Augustin avait condamné ces aventures légendaires de saint Thomas dans l'Inde ; cela n'empêcha pas cette légende d'inspirer toutefois bien des artistes.