Chapiteau encadrant la porte de la chapelle Saint-Michel d'Aiguilhe, Haute-Loire
Entrelacs et rinceaux constituent des dispositifs ornementaux très fréquents à l'âge roman dont les origines remontent à la nuit des temps. Dans l'Antiquité de nombreux peuples utilisèrent l'entrelacs.
Sans remonter très avant dans la mémoire de plusieurs peuples et en restant près de nos frontières les impostes de l'arc triomphal de l'église Sainte-Marie de Quintanilla de las Viñas, Espagne offrent au regard de magnifiques oeuvres wisigothiques figurant des motifs décoratifs datant sans doute du VIIe siècle.
La frise comporte des motifs végétaux, des grappes de raisins, des oiseaux (pintades) qui s'inscrivent dans les cercles que dessinent les rinceaux stylisés.
Église Sainte-Marie de Quintanilla de las Viñas, Espagne.
Les imagiers médiévaux utiliseront fréquemment un décor de type végétal recourant ainsi à un procédé artistique plus que millénaire aux origines plurielles. Les moines irlandais réalisèrent de nombreuses oeuvres d'art ; le livre de Kells en est un des plus fameux exemples.
Des représentations luxuriantes et peuplées de créatures diverses enrichiront progressivement les formulations élémentaires primitives. Les maîtres tailleurs finiront par ciseler de ces motifs archivoltes, linteaux, bases de colonnes, chapiteaux et frises.
☞DES MOTIFS ORNEMENTAUX : ENTRELACS ET RINCEAUX
**LES DISPOSITIFS D'ENTRELACS
Les entrelacs sont des éléments de décoration, produits par l'enchevêtrement ordonné d'un ou plusieurs brins continus n'ayant ni début ni fin, qui forment des dessins variés en se croisant ou bien en se nouant en passant alternativement les uns au-dessus des autres. Ils ont été très répandus au cours du Haut Moyen Âge, notamment dans les manuscrits.
Des plaques décoratives à entrelacs complexes sont exposées. Eglise de Vaison-la-Romaine, Vaucluse.
Au cours de la période romane les imagiers briseront la rigueur primitive des schémas de composition par l'insertion d'éléments végétaux.
Lorsque les rubans sont métamorphosés en tiges végétales luxuriantes stylisées le système classiquement fermé sur lui-même tend à éclater.
Eglise Saint-Pierre, Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.
Le système d'entrelacs apparaît ainsi tout à la fois abondamment modifié et métamorphosé par une impulsion nouvelle générée par l'emprunt au monde végétal.
** LES DISPOSITIFS DE RINCEAUX
Les rinceaux sont des motifs ornementaux constitués de tiges végétales sinueuses desquelles se détachent de part et d'autre des rameaux portant des feuilles stylisées ; différents de forme et de caractère ils peuvent être habités par des figures diverses appartenant tant au monde réel que relevant de l' imaginaire.
Eglise de Saint-Révérien, Nièvre.
Sauf rares exceptions, on chercherait en vain à relier les proliférations végétales des rinceaux à la botanique régionale ; le plus souvent, tiges, feuilles et fleurs sont exclusivement l'objet de stylisation.
Détail de la façade de Saint-Trophime, Arles, bouches-du-Rhône.
A l'instar des entrelacs on remarque les rinceaux purement décoratifs et les rinceaux peuplés de créatures animalières, humaines ou fantastiques.
Basilique San Isidoro de Leon, Espagne
☞Motifs d'entrelacs, de rinceaux et présence de figures
Connaissant, depuis leurs formulations premières, des évolutions majeures, entrelacs foliés et rinceaux aux rameaux entrecroisés finissent par gagner en ressemblance, les caractéristiques séparant les deux décors sculptés s'estompent ; la distinction tend à devenir moins manifeste.
Tailloir d'un chapiteau du cloître de l'abbaye Saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne
**A L'EPOQUE ROMANE, LE DECOR SCULPTE, PAR-DELA SA VALEUR ORNEMENTALE, PRESENTAIT-IL AUSSI UNE DIMENSION SYMBOLIQUE ?
Pour certaines formes décoratives, tels les ornements géométriques, les entrelacs élémentaires et les rinceaux classiques
la réponse est sans doute assez simple ; il ne convient pas de leur attribuer de sens caché.
S'il ne s'agit pas de rechercher une quelconque signification à ces dispositifs ornementaux on peut penser qu'il peut en être différemment pour le décor à figures.
La présence d'hommes, de représentations animalières, monstrueuses ou démoniaques dans les entrelacs végétalisés et l'enchevêtrement folié de rinceaux interpelle assurément.
Pour les personnages il faut presque toujours chercher un sens à la manière dont il est présenté.
Pour les autres créatures le sujet est plus délicat. Le problème se pose toujours de la part qui revient aux symboles ou à l'ornementation. S'ils ont un rôle esthétique, ces décors ne sont-ils pas aussi parfois chargés de symboles directs ou indirects, compréhensibles ou largement obscurs ?
** Entrelacs et rinceaux n'ont pas seulement connu une évolution au niveau de leurs formes constitutives au point de fortement se rapprocher, mais également un changement dans leur signification dans la mesure où ils surpassent le registre purement ornemental pour déboucher, lors de l'introduction de figures dans leur maillage végétalisé, sur un possible registre symbolique.
Deux décors sculptés peuvent servir de fils conducteurs à notre réflexion.
1° D'une part, la baie absidiale de l’église Saint-Pierre d’Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.
Baie axiale de l'église Saint-Pierre, Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime
Chaque côté de la fenêtre est décoré d’un réseau folié dans lequel sont inscrits de petits personnages vus de profil. Ces hommes semblent chercher à s’extraire de ce maillage végétalisé au sein duquel ils se débattent afin de progresser toujours plus haut.
Dans la mesure où ces rinceaux peuvent être considérés comme des chemins de vie semés d’épreuves, d’embûches et parcourus de tensions c’est une symbolisation de l’existence humaine médiévale en quête d’elle-même et du divin qui nous est proposée par cette « échelle du salut ». Il s’agit pour le commanditaire et l’imagier d’exalter les vertus de la vie spirituelle afin de progresser vers la cité céleste.
L'image de l'échelle entend évoquer le parcours terrestre accidenté de l'homme qui doit surmonter écueils, tentations et risques de chutes afin de tendre vers un état supérieur de conscience et maîtriser sa propre destinée.
L'homme des temps romans doit marcher sur terre en regardant vers le ciel. Son péché tend à l'attirer vers le bas alors qu'il doit être pleinement tourné vers la Lumière.
Les dimensions sensibles retenues, par la complexité des connexions, évoquent la pluralité des expériences vécues au cours d'une existence et sont susceptibles de suggérer de la pensée et de conduire vers le spirituel.
2° D'autre part, le portail trilobé de la chapelle Saint-Michel d'Aiguilhe, Le Puy-en-Velay, Haute-Loire.
* De chaque côté du lobe central consacré à l'Agneau pascal - le Christ rédempteur qui tourne le dos au démon- les lobes latéraux comportent huit des Vieillards de l'Apocalypse offrant une coupe remplie de parfums.
De part et d'autre du tympan c'est le registre symbolique du décor sculpté qui retient ici l'attention pour l'objet qui est le nôtre. C'est en effet le thème allégorique de la lutte du bien et du mal qui est repris dans la pierre.
* L'arcade supérieure entourant l'arc trilobé recèle deux masques d'où jaillit une luxuriante prolifération végétale peuplée de deux personnages saisissant des deux mains les frises végétales bruissantes d'oiseaux.
Pris dans le maillage végétal ces personnages semblent attirés par les têtes démoniaques. Faut-il voir là une évocation de la Création et de la chute de l'homme ?
Faudrait-il établir une distinction entre les attitudes des deux personnages tenant à pleines mains le maillage végétal ? L'homme ci-dessus en tenue d'Adam et enlacé entièrement par les rameaux résiste-t-il moins bien aux sollicitations du monde que celui de droite qui paraît mieux maîtriser le végétal parce qu'il écouterait les paroles de vie des deux oiseaux tournés vers lui qui l'invitent conjointement à ne pas oublier sa dimension spirituelle ? ( Faut-il rappeler que les oiseaux sont utilisés par les imagiers pour représenter la part spirituelle de l'homme, être complexe à la nature duale ).
* L'arcade inférieure comporte des frises végétales bruissantes d'oiseaux picorant des grappes : les " paroles " qui jaillissent sous forme de rinceaux de deux 
masques humains opposés évoquent la vie spirituelle qui doit animer tout homme qui veut dépasser sa part purement animale. On a pu voir dans cette composition des symboles de la Création renouvelée par la Rédemption, prête à trouver sa place dans la cité céleste où le Christ va lui permettre l'accès.
Ici la scène historiée présenterait une connotation positive telle que tout maillage végétal ne saurait être totalement décrié a priori ( Jean Wirth en donne d'autres exemples dans son ouvrage si dense de 2008, p. 278 ).
Au final, isolés, entrelacs et rinceaux, présentent incontestablement un caractère purement décoratif. C'est lorsqu'ils sont habités par des créatures animales, humaines et démoniaques qu'ils invitent à se poser la question de l'existence d'un registre symbolique par-delà leur seul effet décoratif ?
* Rinceaux et entrelacs fonctionnent souvent comme des évocations iconographiques du Mal. L'existence fréquente de masques démoniaques émettant des tiges foliées semble aller dans ce sens.
D'une façon générale, il semble qu'imagiers et commanditaires aient désiré mettre en avant la crainte que doivent inspirer les forces du mal.
Mais il faut reconnaître que bien souvent, le sens général, s'il existe, demeure vague ou obscur. Il restera toujours difficile de cerner en toute certitude la part qu'il faut attribuer à l'ornementation ou au symbolisme tout comme le sens de la lecture allégorique que l'on peut en faire aujourd'hui. Il suffit de voir les différences d'interprétation des commentateurs à proposz d'une même composition scénique.
** Dans les compositions avec des êtres humains le foisonnement végétal apparaît souvent comme retenant captif le personnage empêtré dans des ramifications enlaçantes. C'est l'aspiration de l'homme médiéval à la béatitude céleste à conquérir par le dépassement de soi et une vie spirituelle adaptée pour celui qui ne veut pas se laisser accaparer par les seules préoccupations d'ordre matériel qui se trouve compromise par les tentations, apparences trompeuses et séductrices, entraves et chaînes du monde d'ici-bas où il doit affronter sans cesse les forces du Mal.
Sous les traits manifestes, visibles, séducteurs les images de maillages peuvent tendanciellement signifier un milieu hostile à l'homme qui s'y débat comme pris au piège. Ce qui amène Pierre-Yves Le Prisé, à écrire que ce type de décor sculpté paraît " au moins dans les scènes historiées, symboliser le mal sous une apparence à la fois séduisante et captatrice" ( 2010, p. 148 ).
Cependant, il faut se garder, comme toujours, de conclusions trop péremptoires. Il est des cas où l'alliance entre les créatures et le végétal peuvent ne pas revêtir de façon univoque une dimension négative.
Détails d'archivoltes de l'abbaye aux Dames, Saintes, Charente Maritime
Il en est ainsi des créatures spirituelles progressant dans un environnement de rinceaux comme ci-dessus à l'abbaye aux Dames de Saintes: oiseaux buvant dans une coupe, ange vénérant l'Agneau pascal ; leurs actes et les thèmes abordés les affranchissent de leur environnement végétal ornemental.
De plus, faut-il rappeler, comme on l’a vu dans des sites précédents, que les niveaux de lecture des images romanes peuvent-être pluriels...A défaut de document laissant entendre le sens exact qu'il convient de leur donner, l'interprétation de certaines images romanes restera toujours délicate. Compte tenu qu'on ne sait pas parfaitement ce qu'ont voulu exprimer les imagiers romans, il est difficile de donner une signification univoque à des figures médiévales qui resteront par définition ambivalentes, polysémiques.
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Le " curieux " , pointant son nez entre les rinceaux d'une archivolte de l'église de Parçay-sur-Vienne, Indre-et-Loire, n'a sans doute pas la célébrité de son cousin de Conques, mais si vous le suivez il vous fera découvrir une partie du foisonnant univers des entrelacs et des rinceaux tant à registre décoratif qu'à registre potentiellement symbolique.
Bon parcours virtuel !
☞ Partie I. Entrelacs et figures
☞ Partie II. Rinceaux et figures
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