AU SOIR DE L'EXISTENCE
LE DERNIER APPAREILLAGE


" Nous vivons peu d'années. Quelques dizaines au plus. Et nous serons tous morts pour toujours. Il m'a toujours paru surprenant que nous nous occupions autant de notre vie si brève et si peu de notre mort éternelle. Peut-être par paresse - car il n'y a rien à savoir et donc rien à apprendre -, j'ai beaucoup rêvé à la mort et à notre sortie hors du temps.
On peut en dire n'importe quoi puisqu'on ne peut rien en dire. C'est pourquoi j'avance avec lenteur et prudence, avec crainte et tremblement. Je ne sais rien. Je n'affirme rien. Mais cette histoire du temps n'en finit pas de me turlupiner."

Jean d'ORMESSON " Qu'ai-je donc fait ", Robert Laffont, Paris, 2008, p. 324.


Extrait d'un tombeau d'archevêque cathédrale gothique St Just et st Pasteur de Narbonne ( Aude ).

Lors des fêtes de fin d'année, le clinquant des lumières de la ville invite à une frénésie de consommation : lingerie fine, parfums, téléphones mobiles, matériels high tech envahissent les panneaux et écrans publicitaires ; en bref, s'exhibe la luxueuse insouciance d'un monde où la mort n'a pas sa place. Pourtant, elle rôde à la sortie des discothèques, sur la route, au travail ou derrière les persiennes closes des chambres sous les toits. La mort est au coin de la rue ou dans le crash d'un avion aussi bien que dans le calme feutré des hôpitaux et des maisons de retraite. Il y a des morts médiatisées relevant de l'accident ou du drame ; il y a des morts " ordinaires " qui se produisent derrière les murs des établissements de soins, soustraites au regard des vivants.

L'homme naît, est de son temps et subit les outrages du temps ; un jour le temps lui redemande sa vie, et il finit par passer un jour du temps. Il sait qu'il doit mourir et, pourtant, il se comporte quotidiennement comme s'il ne devait jamais trépasser. Sa vie est faite d'ans qui succèdent aux ans, d'ombres et de lumières; il marche sur une route incertaine, harcelé par le doute, un halo de mystère entourant sa destination finale et c'est difficilement soutenable. La sortie de l'existence est, toutefois, si certaine que pour essayer de l'oublier l'être humain se passionne pour les détails les plus superficiels de son existence. Arrogant quand il s'estime fort, pitoyable lorsqu'il est faible, cruel souvent, généreux parfois, l'homme vit davantage pour la bouffe et le sexe que pour l'esprit, pour le paraître plus que pour l'être. La vie, aujourd'hui, comme hier, comme demain, qu'elle soit bénédiction pour les uns ou affliction pour les autres, s'achève irrémédiablement par la mort.
L'existence individuelle ne peut être pensée sans la mort ; cette fin tant redoutée, rupture inévitable toujours ressentie comme prématurée, doit être mise en perspective : elle ne peut être pensée sans donner du sens à la vie. L'idée que chacun se fait de la mort informe sa vision du monde. Les conceptions de la mort, à une époque donnée, dépendent étroitement de l'évolution générale de la société qui les tient. Alors qu'en est-il de la mort dans un monde régi par le progrès technico-scientifique et un individualisme de plus en plus poussé ?

Le chemin de découverte que nous proposons d'emprunter ici sera balisé par les travaux fondamentaux d'un anthropologue comme
Louis-Vincent Thomas, d'historiens comme Philippe Ariès et Michel Vovelle, de philosophes comme Jacques Schlanger et Roland Quillot.
Trois jalons permettront de cerner la condition humaine face à la mort : le grand départ, les formes du mourir et les attitudes existentielles devant la finitude et la mort. Absurdité de la condition humaine ou sortie de l'ombre pour aller à la rencontre de la lumière ? A chacune, à chacun de se situer selon qu'il est incroyant ou croyant qui pense à l'existence d'une réalité transcendante !