LE CULTE MARIAL
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Aux premiers temps du christianisme, les évangélistes - Luc mis à part - n'ont pas accordé à Marie une place importante. La profonde lacune des écrits relatifs à la vie discrète de la Vierge fait que la Tradition de l'Eglise, la Patristique et la théologie se sont emparées des moindres bribes textuelles pour se livrer à une véritable oeuvre d'érudition débouchant sur la proclamation de Marie " mère de Dieu ". Il aura ainsi fallu attendre le Concile d'Ephèse en 431 pour que le culte de la Vierge prenne son essor, l'universalité de l'action de Marie vis-à-vis des hommes y étant soulignée.
En Occident le développement du culte rendu à Marie a été progressif, avec l'institution de fêtes mariales. La foi en l'Assomption n'a pas été manifestée officiellement dès l'origine de l'Eglise. Ce sont des écrits apocryphes qui situent l'événement entre 3 et 50 ans après la mort et la résurrection du Christ.
Mais avant d'être un dogme ( 1950 ), l'Assomption de Marie était une fête depuis quatorze siècles. Il revient à Grégoire de Tours ( mort en 594 ) d'en donner une première formulation théologique.
Cette commémoration a son origine dans la fête célébrée en Orient depuis le VIe siècle sous l'appellation de Dormition de Marie.
Le terme de Notre-Dame appliqué à la Vierge Marie apparaît en France au XIIe siècle. Le culte de Notre-Dame se répandra en demeurant fréquemment une forme de piété proche des mentalités populaires. En fait la spiritualité mariale est multiforme puisque adaptée à la ferveur populaire comme aux plus grands mystiques et théologiens.
Vierge à l'Enfant dans sa mandorle à la place d'honneur
sur la façade de l'église de Rioux, Charente-Maritime.
L'époque romane a vu une floraison d'églises, souvent consacrées à Marie et édifiées, non seulement en zones urbaines mais dans toutes les campagnes, voire dans des endroits reculés de montagne.
Devenue la mére de Dieu, la Vierge est perçue comme le Trône de la Sagesse. Elle apparaît trônant à l'entrée des sanctuaires ; elle est en majesté à l'image des statues-reliquaires.
☞MARIE SAINTE ET REINE
" Ce Mal dont Eve et le serpent ensemble
Se sont faits par le fruit de l'Arbre les auteurs,
C'est elle seule, en enfantant le Christ,
La Vierge qui le chasse tout à fait."
Quidquid creatum permanet, Zodiaque,1965, p.87
Les textes des Ecritures au sujet de Marie sont peu nombreux et les passages trouvés ne contiennent pas de fioritures merveilleuses.
Les informations relatives à la mort de la Vierge ( circonstances, lieu, moment ) font défaut.
Mais compte tenu de la façon dont la tradition chrétienne a pensé Marie, l'idée de son passage d'ici-bas à la gloire du ciel, immédiat et exempté de la corruption du tombeau, a fait rapidement son chemin.
La Dormition de Marie, écrit apocryphe attribué à un Pseudo-Jean ( entre le Ve siècle et la fin du VIe ) a largement répandu une relation de la mort de Marie, sa dormition.
Le linteau de l'église de Saint-Thibault-en-Auxois ( Côte-d'Or ) a l'intérêt de présenter une composition double :
une scène de la Dormition et une évocation de l'Assomption de Marie.
Ainsi, les premières communautés chrétiennes ont célébré le moment où la mère de Jésus a quitté cette terre. Des textes apocryphes formulent diverses hypothèses sur les modalités de sa glorification. Certains situent la mort de Marie à Ephèse ; d’autres à Jérusalem dans sa soixante-douzième année. Peu à peu, le terme d'Assomption, pour signifier l'élévation glorieuse de Marie, a supplanté, dans l'Eglise d'Occident, celui de Dormition pour évoquer la fin terrestre de Marie.
Toujours est-il que les imagiers romans ont tenté d'inscrire dans la pierre la figure de Marie exaltée dans la gloire céleste.
☞VIERGES EN MAJESTE
" Portant Celui qui porte tout,
Elle est le portail des hauteurs
Et le chemin du Paradis,
Des cieux la fenêtre et la porte."
( Quidquid creatum permanet, Zodiaque,1965, p.88
Le regard de la Vierge du Mont-Cornadore, Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme.
Si un thème est largement représenté dans l'art roman c'est celui de la Vierge à l'Enfant. Hiératique, assise sur une cathèdre, en majesté, la tête droite, le regard lointain, fixant un Ailleurs, elle tient sur son genou gauche l'Enfant à tête d'homme qui bénit et tient le Livre. Le type de vêtement dissimule la féminité.
Ces vierges en majesté figurent le mystère de l'Incarnation et tendent à dépasser les seules réalités terrestres. Elles ont la position de Sedes Sapientiae, c’est-à-dire qu’elles siègent en « Trônes de la Sagesse. »
Ce qui est frappant c'est que Marie figurée dans ces Majestés romanes occupe le devant de la scène alors qu'elle n'a qu'une place discrète dans les textes canoniques.
Pour l'homme roman ces statues veulent exprimer l'indicible même si, pour l'homme contemporain, sensible à une certaine forme d'esthétisme, seule demeure, le plus souvent, la seule beauté du matériau métamorphosé par la main de l'artiste.
En procession les foules suivaient ces statues de la mère de Dieu dont elles demandaient l'intercession. Aujourd'hui encore la Vierge de Vassivière, par exemple, quitte le 2 juillet au matin l'église Saint-André de Besse-Saint-Anastaise pour gagner sa chapelle dans les alpages ( la montade ) ; elle en redescend le dimanche qui suit le 21 septembre ( la dévalade ).
Le XIIe siècle, avec le développement du culte marial, voit ces représentations se multiplier un peu partout sur la terre de France, mais de façon très inégale. L'Auvergne est un de leur terroir d'élection ; chaque village veut sa Vierge. Celle-ci se retrouve même dans des oratoires isolés de montagne. Statues de bois souvent, de pierre parfois, elles sont peintes et quelquefois ornées de pierres précieuses.
La Vierge d'or de Clermont due à l'orfèvre Alleaume ( 946 ) est considérée comme la plus ancienne statue de Vierge en majesté. Détruite en 1792, elle est connue par un dessin réalisé vers l'an mil et conservé à la Bibliothèque municipale et interuniversitaire de Clermont-Ferrand.
Il est cependant possible de se faire une idée de son aspect général en regardant ci-dessous la représentation du buste-reliquaire de saint-Baudime à l'église de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme).
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* Dessin de la Vierge d'Alleaume. ** Buste de saint Baudime.
On peut penser que les Vierges en majesté auvergnates du XIIe siècle subsistantes présentent les caractéristiques générales de la Vierge d'Alleaume ( hiératisme, fixité du regard ), même si les traitements de l'allure générale ( traits nobles ou humbles ), des formes, des visages, de la gestuelle et des costumes notamment les différencient. N'oublions pas que chaque Vierge en majesté a son histoire ( offerte par un seigneur, voulue par un clerc ) ; elle illumine de sa présence un sanctuaire majeur ou trône dans un modeste édifice rural parfois édifié dans un endroit sauvage.
Rappelons également que les majestés peuvent être des vierges reliquaires ou non. Dans le premier cas elles disposent d'une petite cavité dorsale abritant à l'origine des reliques, objets de la vénération des fidèles.
Réalisées sans cavité, de nombreuses statues de la Vierge n'en sont pas moins des objets de dévotion ; si elles avaient dû être toutes de type reliquaire ces statues n'auraient pu connaître une aussi large diffusion alors que chaque sanctuaire se devait de posséder une majesté.
A titre de comparaison nous ajouterons à notre palette de Vierges d'Auvergne des majestés d'autres provinces, voire d'un autre temps.
Vous avez dit Vierges noires ?
Parmi les Vierges en majesté romanes quelques unes sont noires. Elles fascinent, mais la raison de leur existence demeure largement controversée.
Des hypothèses de nature très difverse ont été avancées.
- Pour les uns, leur noircissement serait de type accidentel dû à la fumée des cierges ou résulterait de l'oxydation de certains pigments.
- Pour d'autres, elles auraient été sculptées dans des bois trempés pendant une longue période dans l'eau des tourbières afin de se raffermir avant d'être travaillés.
- Pour d'autres encore, elles auraient été ramenées de Palestine ou d'Egypte par les croisés ou du moins ces derniers auraient pu rapporter du bois d'ébène.
- Certains évoquent une origine chthonienne ; elles seraient les descendantes de divinités liées au monde souterrain ; elles auraient ainsi une similitude avec les déesses de la Terre-Mère. Une résurgence du culte d'Isis a été avancée.
Si leur origine est controversée, la ferveur qu'elles ont suscité à travers les siècles a toujours été grande. Le mystère de leur origine n'a toujours pas véritablement été éclairci. Entre les tenants d'explications pragmatiques des historiens de l'art et les partisans d'interprétations de nature ésotérique le débat n'est pas près de s'interrompre...
On peut cependant soutenir que si elles sont noires, c'est le plus souvent par l'intervention volontaire de l'homme. Des restaurations de la deuxième moitié du XXe ont permis de retrouver sous la couche de peinture sombre une carnation claire et la polychromie originelle.
Certaines des majestés n'étaient pas donc pas noires à l'origine ; c'est délibérément qu'elles ont été noircies ; est-ce dans le but d'accroître leur ancienneté ou leur mystère? Ainsi, en est-il de la Vierge de Marsat qui a été noircie dans les annees 1830.
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