Une femme du nom de Marie,
figure médiévale majeure
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A partir des XI-XIIe siècles s'étend le culte de la Vierge Marie. De nombreuses églises sont consacrées à Notre-Dame ; des hymnes à son honneur sont composées.
Les moines blancs de Cîteaux se placent sous le patronage de la Vierge et lui dédient leurs monastères. Le culte marial se développera vigoureusement au XIIIe siècle.
Marie est considérée comme médiatrice entre le Ciel et la Terre et est perçue comme consolatrice. La fin du Moyen Âge étant présentée par les historiens comme une période de crise, de troubles, d'épidémies, de sorte que " tous ces malheurs font que les hommes et les femmes sont de plus en plus sensibles au Dieu souffrant, au Christ de la Passion. Et en même temps, ils recherchent une protection. D'où le développement du rôle du Saint-Esprit et la promotion de la Vierge " ( Jacques Le Goff, 2003, p.49 )
Et pourtant le contraste est frappant entre le culte marial qui se développe et la place somme toute discrète qu'occupe Marie dans le Nouveau Testament. Parmi les évangélistes, seul Luc lui accorde une place notoire. Les Pères de l'Eglise se consacraient à la christologie et à l'ecclesiologie. Le christianisme des premiers siècles s'attachait principalement à la vénération des martyrs.
La mysogynie des Pères de l'Eglise et le courant ordinaire antiféminin du monachisme peuvent sans doute être également avancés pour comprendre la place limitée qu'occupait la dévotion à Marie avant l'an mil ; faut-il rappeler, qu'à l'ère médiévale, Eve fut perçue comme le symbole d'un dangereux naturel féminin et du péché de luxure.
Toujours est-il qu'à la période romane Marie va être reconnue comme médiatrice privilégiée, avocate du genre humain. En 431, au concile d'Ephèse, la définition dogmatique de Marie mère de Dieu est proclamée.
L'Eglise multipliant les dévotions à la Vierge ce n'est plus seulement une sainte comme une autre. C'est la " nouvelle Eve " qui met fin au péché originel en mettant au monde le Christ. Les auteurs médiévaux ont chanté Marie qui changeait en Ave le nom d'Eva. Ainsi, " A Eve le deuil, à Marie la liesse. Eve, dans son sein, portait les larmes, Marie la joie, puisque l'une mettait au monde l'homme pécheur, et l'autre l'homme innocent. La malédiction qui pesait sur Eve cède la place à la bénédiction de Marie " ( Ave gratia plena, Zodiaque, 1961, p. 140 ).
Il aura fallu mille ans de tradition chrétienne pour que Marie occupe une position de premier plan. Seule la réforme protestante mettra en sourdine le culte intense dont elle est l'objet.
L'iconographie romane nous montre que Marie est étroitement liée, d'une part, aux scènes de la vie du Christ et, de l'autre, à une dévotion spécifique à la mère du Sauveur. Alors, en majesté, avec l'Enfant sur les genoux tenant le Livre, Marie est proposée comme modèle de perfection spirituelle ; elle sera le " Trône de la Sagesse " et fera figure de " Reine des Cieux ".
☞ Repères préalables : origines et scènes de l'enfance de MARIE.
Les images de Marie dans le développement du christianisme prennent leur origine dans le fait qu'un jour du temps, dans l'épaisseur de l'histoire d'un peuple, une femme d'Israël nommée Marie a donné naissance à un fils que la foi chrétienne a reconnu envoyé de Dieu.
Marie est présentée dans les Ecritures comme une jeune fille de Nazareth, fiancée à un homme de la tribu de David ( Joseph ) et parente d'Elizabeth, épouse d'un grand prêtre ( Zacharie ).
Les ascendants de Joseph sont longuement énumérés dans la généalogie du Seigneur, mais celle de Marie, en revanche, n'est pas donnée par les évangélistes Matthieu et Luc.
Les Evangiles, tournés essentiellement vers l'annonce de la Bonne Nouvelle du Christ, ne parlent ainsi pas directement des parents de la Vierge Marie. C'est la tradition chrétienne qui, dès les premiers siècles, nommera les parents de Marie : Anne et Joachim. C'est ainsi que ces derniers ont participé au mystère de l'Incarnation.
L'histoire d'Anne et de Joachim apparaît dans le Protoévangile de Jacques, évangile apocryphe du deuxième siècle de notre ère. La Légende dorée de Jacques de Voragine ( XIIIe siècle ) rapporte la rencontre d'Anne et de Joachim à la Porte dorée, à Jérusalem.
* L'arbre de Jessé ou arbre généalogique de Jésus
Jessé tient fermement les branches de l’arbre qui prend racine en lui, image de la filiation humaine de Jésus.
Au registre supérieur on peut remarquer la colombe de l’Esprit.
Notre-Dame-la-Grande, Poitiers, Vienne.
Les Evangiles de Matthieu et de Luc présentent une longue généalogie du Christ. Comme il est impossible de figurer sous forme imagée tous les personnages de ces généalogies, les artistes ont adopté le modèle de l'arbre de Jessé. Il manifeste l'enracinement de Jésus dans l'histoire humaine. Jésus est issu d'une longue lignée de personnages dont Jessé, le père du roi David est le premier.
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* Détail de peintures murales de l'église Saint-Genest, fin XIIe siècle, Lavardin, Loir-et-Cher.
** L'arbre de Jessé, enluminure du Moyen Âge.Miniatur aus dem Scherenberg-Psalter, Pergamenthandscrift, 158 Blätter, vers 1260.
Dans les deux représentations, de la poitrine de Jessé, dormant, s'élève le tronc de l'arbre généalogique, plus ramifié dans le cas de l'enluminure, et réduit seulement à deux personnages, avec au registre inférieur le roi David et au-dessus Marie, dans le cas de la fresque.
Ces oeuvres reposent sur la prophétie d'Isaïe ( 11, 1-2 ) selon laquelle : " Un rameau sortira du tronc de Jessé, et de ses racines croîtra un rejeton. Sur lui reposera l'Esprit de Yahweh esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Yahweh; Il mettra ses délices dans la crainte de Yahweh."
La prophétie d'Isaïe est accomplie par le Christ comme en témoigne Paul dans sa lettre aux Romains ( 15, 12 ) : " Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se lève pour régner sur les nations; en lui les nations mettront leur espérance."
** Scènes de l'histoire d'Anne et de Joachim, les parents de MARIE
Il faut aller puiser dans les écrits apocryphes pour trouver des textes faisant allusion à la naissance de Marie, à sa présentation au Temple, voire à son mariage. Les imagiers romans ont peu abordé ces sujets.
* La rencontre d'Anne et de Joachim à la Porte dorée rapportée par Jacques de Voragine ( tome III de " la légende dorée ").
" Tous les deux justes et marchant avec droiture dans l’accomplissement des commandements du Seigneur...Pendant vingt ans de mariage, ils n'eurent point d'enfants, et ils firent voeu à Dieu, s'il leur accordait un rejeton, de le consacrer au service du Seigneur. Pour obtenir cette faveur, chaque année, ils allaient à Jérusalem aux trois fêtes principales. Or, à la fête de la Dédicace, Joachim alla à Jérusalem avec ceux de sa tribu, et quand il voulut présenter son offrande, il s'approcha de l’autel avec les, autres. Mais le prêtre, en le voyant, le repoussa avec une grande indignation ; il lui reprocha sa présomption de s'approcher de l’autel en ajoutant qu'il était inconvenant pour un homme, sous le coup de la malédiction de la loi, de faire des offrandes au Seigneur... Alors Joachim tout confus, fut honteux de revenir chez lui,... Il se retira donc auprès de ses bergers, et après avoir passé quelque temps avec eux, un jour qu'il était seul, un ange tout resplendissant lui' apparut et l’avertit de ne pas craindre : « Je suis, lui dit-il, un ange du Seigneur envoyé vers vous pour vous annoncer que vos prières ont été exaucées, et que vos aumônes sont montées jusqu'en la. présence de Dieu ... Anne, Votre femme, vous enfantera une fille et vous l’appellerez Marie. Dès son enfance, elle sera, comme vous en avez fait Voeu, consacrée au Seigneur; dès le sein de sa mère, elle sera remplie du Saint-Esprit ; elle ne restera point avec le commun du peuple, mais elle demeurera toujours dans le temple du Seigneur, afin d'éviter le moindre mauvais soupçon. Or, de même qu'elle naîtra d'une mère stérile, de même elle deviendra, par un prodige merveilleux, la mère du Fils du Très-haut, qui se nommera Jésus, et qui sera le salut de toutes les nations.
Maintenant voici le signe auquel vous reconnaîtrez la vérité de mes paroles ; quand vous serez arrivé à Jérusalem à la porte Dorée, vous rencontrerez Anne, votre femme; et en vous voyant elle éprouvera fine joie égale à l’inquiétude qu'elle a ressentie de votre absence prolongée. »
Quand fange eut parlé ainsi il quitta Joachim. Or, Anne tout en pleurant dans l’ignorance de l’endroit où était allé son mari, vit lui apparaître le même ange qu'avait vu Joachim ; et il lui déclara les mêmes choses qu'il avait dites à celui-ci, en ajoutant que, pour marque de la vérité de sa parole, elle allât à Jérusalem, à la porte Dorée où elle rencontrerait son mari qui revenait.
D'après l’ordre de l’ange, tous deux vont au-devant l’un de l’autre, enchantés de la vision qu'ils avaient eue, et assurés d'avoir l’enfant qui leur avait été promise. Après avoir adoré le Seigneur, ils revinrent chez eux, attendant joyeusement la réalisation de la promesse divine. Anne conçut donc, enfanta une fille et lui donna le nom de Marie."
** L'artiste qui a peint les fresques murales de l'église du Vieux-Pouzauges ( Vendée ) a représenté ces épisodes de la rencontre d'Anne et de Joachim ainsi que l'enfance de Marie.
A gauche de l'arbre, l' apparition de l'ange à Joachim (le personnage avec sa calotte pointue ). L'ange annonce à Joachim que sa femme Anne va concevoir Marie.
A droite de l'arbre, on discerne - malgré l'état de la peinture - la rencontre d'Anne et de Joachim à la Porte dorée.
" Dieu m'a comblée de bénédictions " dira Anne à son mari. Conception "sans péché" de Marie, qui serait née d'un baiser échangé entre ses parents, Anne et Joachim, à la Porte d'or.
La Présentation de Marie au Temple.
Joachim, Anne et Marie marchent les mains tendues dans un geste d'offrande.
Marie devant l'autel du Temple.
Marie a grandi en taille et en sainteté ( présence de l'auréole ).
Ces repères textuels et imagés rappelés, l'imagerie mariale des temps romans peut être vue, d'abord, en étroite relation avec les événements clés de la Nouvelle Alliance ( naissance et jeunesse de Jésus, début dans la vie publique, crucifixion et montée au ciel ) avant de s'expliquer ensuite par le développement progressif du culte marial.
☞ Partie I. MARIE : de l'Incarnation du Fils de Dieu à l'Ascension en passant par la Croix : cycles narratifs de l'histoire sainte.
* Cycle de la Nativité
* Cycle de la petite enfance de Jésus
* Marie et Jésus, des noces de Cana à la Croix. Marie au coeur de l'Eglise après la Résurrection et l'Ascension
☞ Partie II. Représentations isolées de la Vierge mère : le culte marial.
* Marie, Trône de la Sagesse.
* Les Vierges en majesté.
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