Eléments iconographiques
directement inspirés des seuls textes apocryphes
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Compte tenu de l’accueil chaleureux qu’ont reçu historiquement les textes apocryphes il convient de s’intéresser particulièrement au traitement qu’ils ont réservé à Joseph et à ses conséquences dans l’iconographie à l’époque romane.
Certains textes apocryphes constituent l’unique source de certaines images à l’exemple des représentations de la vie d’Anne et de Joachim, parents de Marie. Ils ont inspiré des images que les textes canoniques peu prolixes n’évoquaient pas en eux-mêmes.
Parmi les thèmes ignorés des évangélistes Matthieu et Luc et que les artistes médiévaux ont peu abordés on remarque les
scènes de la désignation de Joseph comme époux de Marie et du Doute.
C’est pourquoi il ne paraît pas sans intérêt d’évoquer d’abord deux rares compositions scéniques directement inspirées des écrits apocryphes.

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Portail Sainte Anne, Notre-Dame de Paris
Cycle narratif de la vie d’Anne et de Joachim.


La scène de la désignation de Joseph comme époux de Marie est essentielle à la compréhension du message diffusé par les écrits apocryphes. Loin des écrits de Mathieu et de Luc, dans ces textes l’image de Marie a été façonnée de toutes pièces et celle de Joseph a été transformée : l’homme est un vieillard face à une très jeune vierge.

Le récit du
Pseudo Matthieu rapporte qu’un jour au Temple de Jérusalem devait être désigné parmi quelques jeunes gens l’époux de la Vierge Marie, laquelle avait été consacrée à Dieu dès son plus jeune âge.
Chacun apporta une petite branche que le grand prêtre posa sur l’autel. Or, c’est Joseph, plus âgé que les autres et qui se tenait à l’écart qui vit sa branche fleurir et une colombe sortit du sommet de la branche. Joseph qui ne se trouvait là que parce que le Seigneur l’y avait conduit, fut ainsi désigné par cette branche fleurie pour devenir l’époux très pur de Marie.

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Portail Sainte Anne, Notre-Dame de Paris

Sur le linteau inférieur, à gauche, le rameau fleuri de Joseph attire le regard de jeunes hommes imberbes venus solliciter la main de Marie.
Au centre de la composition, lors de la cérémonie de mariage, le prêtre prend les deux mains droites de Joseph, vieillard barbu, coiffé d’un chapeau pointu et de la jeune Marie. Derrière cette dernière se tiennent ses parents Anne et Joachim ; le père tenant la main de sa fille.


Le récit de l’Evangile du Pseudo Matthieu mérite d’être rapporté dans son intégralité.
« 1 Mais il arriva qu'elle eut quatorze ans, et pour les Pharisiens c'était l'occasion de dire qu'à cause de son état de femme Marie ne pouvait pas demeurer dans le Temple de Dieu. On prit alors la résolution d'envoyer un héraut dans toutes les tribus d'Israël afin que toutes se réunissent trois jours après dans le Temple du Seigneur. Et, quand tout le monde fut réuni, le grand prêtre Isachar se leva et monta jusqu'aux dernières marches pour être vu et entendu de tout le peuple. Après qu'un grand silence se fut fait, il dit: "Écoutez-moi, fils d'Israël, et ouvrez vos oreilles à mes paroles. Depuis que ce Temple a été construit par Salomon, des filles de rois et de prophètes et de grands prêtres et de pontifes y ont demeuré et se sont montrées grandes et admirables. Cependant, arrivées à l'âge légal, elles ont obtenu des hommes en mariage, et, en se conformant à l'usage des générations précédentes, elles ont plu à Dieu. Seule Marie a trouvé une nouvelle manière d'agir, celle de vivre à l'écart des autres, car elle a fait à Dieu le voeu de rester vierge. Il me semble donc que nous devons chercher à connaître, par notre questionnement et par la réponse de Dieu, à qui elle doit être donnée à garder."
2 Toute la synagogue acquiesça à ces paroles, et les prêtres tirèrent au sort entre les douze tribus, et le sort tomba sur la tribu de Juda. Et tous exhortèrent la tribu de Juda, disant que le lendemain ceux qui étaient sans épouse devaient venir un rameau à la main. C'est pourquoi Joseph, bien qu'âgé au milieu des jeunes gens, apporta son rameau. Après qu'ils eurent remis leurs rameaux dans les mains du grand prêtre, celui-ci présenta une offrande à Dieu et interrogea le Seigneur, et le Seigneur lui dit: "Mets les rameaux de tous dans le Saint des saints et qu'ils y demeurent. Et dis aux gens de revenir demain matin pour les reprendre. Du sommet d'un rameau sortira une colombe, et elle s'envolera vers les cieux. Celui qui aura en main le rameau dont sortira ce prodige, c'est à lui que tu confieras la garde de Marie."
3 Ainsi donc, le lendemain de bonne heure, ils vinrent tous. Et, ayant présenté l'offrande d'encens, le grand prêtre entra dans le Saint des saints et en sortit les rameaux. Après qu'il les eut distribués à chacun et que d'aucune branche ne fut sortie de colombe, le grand prêtre Abiathar se revêtit des douze clochettes du sacerdoce et, entré dans le Saint des saints, il alluma le feu du sacrifice et y exhala une prière. Alors, un ange lui apparut et dit: "Il y a ici un rameau tout petit que tu as négligé et que tu n'as pas sorti avec les autres. Quand tu l'auras sorti et donné, il manifestera le signe dont je t'ai parlé." Or c'était le rameau de Joseph qu'on avait négligé, parce qu'il était vieux et ne pouvait prendre Marie. Mais lui-même ne voulait pas réclamer son rameau. Et, comme il était là, au dernier rang, tout humble, le grand prêtre Abiathar l'appela à haute voix et dit: "Viens et prends ton rameau, car tu es attendu." Et Joseph s'approcha tout apeuré, car le chef des prêtres l'avait appelé à haute voix. Mais, dès qu'il eut tendu la main et pris son rameau, soudain une colombe sortit du sommet de la branche, plus blanche que la neige, extrêmement belle, et, après avoir volé un moment sous la voûte du Temple, elle gagna les cieux. »

Le remords de Joseph.
Le Pseudo-Matthieu précise que pendant les neuf mois suivants  Joseph était occupé par son travail de charpentier sur un chantier éloigné. A son retour, constatant la grossesse de son épouse, il se lamente et songe à la répudier.
Eclairé par un ange il fait amende honorable auprès de Marie. C’est ce que l’artiste sculpte dans la composition suivante.

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Portail Sainte Anne, Notre-Dame de Paris.

En présence de l’ange qui vient de le rassurer, Joseph, à genoux, prie Marie de l’avoir soupçonnée. Marie se penche alors vers son époux pour le relever et lui signifier qu’elle lui accorde son pardon.

Tous deux sont accusés devant le grand prêtre d’avoir eu des relations sexuelles, mais ils sont soumis à une ordalie qui les innocente. Lorsque Marie devient enceinte après la visite de l'ange de l'Annonciation, et que Joseph, après neuf mois d'absence sur un chantier à Capharnaüm, s'en aperçoit, le récit détaille là encore comment on s'assura que ni Joseph ni la Vierge n'avaient fauté, par l'épreuve rituelle de l'eau amère qu'il faut boire en faisant sept fois le tour de l'autel. Aucune marque n'apparaissant sur leur visage après cette épreuve - ce qui atteste de leur innocence-. Joseph et Marie sont blanchis et renvoyés puisqu’aucun signe de péché n’était apparu. Et Marie renouvelle alors, devant la foule encore sceptique, son vœu de virginité.
En revanche, cette épreuve rituelle de l’eau amère chargée de confondre les menteurs suspectés par le grand prêtre d’avoir furtivement consommé le mariage n’est pas représentée.

Le trouble de Joseph devant le constat de la grossesse de Marie à son retour à la maison est évoqué parfois également par les
peintres.

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Eglise de Nohant-Vicq, Cher. XIIe siècle.

Parmi les personnages entourant Marie on peut voir Joseph, désemparé, pointant ses deux index vers cette dernière ; lui reproche-t-il sa grossesse ?


Les écrits apocryphes relatent ainsi des détails dont les Ecritures canoniques ne font pas mention. Ils avaient le mérite de répondre aux questions des premières populations chrétiennes désireuses d’en savoir davantage sur Jésus et Marie.


Mais le portrait de Joseph tel qu’il se dégage des apocryphes ne présente plus la mêmes note de sobriété qui caractérisait l’homme des Ecrits canoniques : un homme de la maison et de la lignée de David.

Celui qui deviendra l’époux de Marie est désormais un homme âgé surpris d’être désigné pour épouser une jeune vierge distinguée par la grâce de Dieu.
Les chercheurs et artistes des siècles suivants ne se poseront plus la question de l’âge de Joseph, mais il ne sera plus imaginable de le penser sous les traits d’un fringant jeune homme.

Malgré les mises en garde des Pères de l’Eglise, ces récits apocryphes, peu ou prou fantaisistes, continuèrent à vivre dans l’imaginaire populaire chrétien au point de devenir une source d’inspiration de l’iconographie médiévale se mêlant aux textes sacrés reconnus.

Au-delà des thèmes rarement abordés évoqués ci-dessus,
l’influence des écrits apocryphes sur les premiers « ymagiers » sera, en revanche, fortement perceptible dans les scènes de la Nativité avec Marie sous les traits d’une frêle jeune femme, l’âne et le bœuf auprès de l’enfant dans la crèche, la présence de deux sages-femmes et Joseph âgé pensif devant le mystère.
Cette représentation sera reprise par tous les tailleurs de pierre et peintres au cours des siècles.



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