Echos post-romans :
Une évolution de l’image de Joseph
à la période médiévale ?
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On a rappelé précédemment que les évangélistes parlent fort peu de Joseph ; ce n'est que dans les premiers chapitres de saint Matthieu et de saint Luc qu'il en est fait mention et encore en peu de mots.
Il n'en est plus reparlé après le voyage à Jérusalem avec Jésus et Marie ; il était sans doute déjà mort lorsque Jésus-Christ commença à enseigner.
A la différence de cette figure médiévale majeure qu’était Marie, Joseph, homme juste et discret, occupe une place seconde dans l’iconographie romane.
En revanche, les imagiers des siècles suivants semblent lui accorder une place plus grande ;
il apparaît alors moins étranger à l’histoire qui se déroule.


De l’ombre de Marie à une visibilité plus grande.
Les écrits apocryphes avaient répondu à l’attente des fidèles désireux d’en savoir davantage sur la vie de la Vierge, de Joseph et de l’Enfant et permis aux clercs commanditaires de combler les Evangiles plutôt peu prolixes sur cette question. Au fil du temps ces textes avaient sans doute fini par imprégner tous les esprits de telle sorte qu’is exercèrent une influence majeure dans la création des images.
Le rôle limité de Joseph dans les Evangiles canoniques et apocryphes était peu propice à la création d’une identité forte du personnage. Homme âgé, mal assorti à son épouse, souvent en retrait par rapport à celle-ci, il paraissait participer de très loin à l’aventure de l’Incarnation, relégué dans un angle de la composition.
Annick Lavaure dans sa thèse montre un début de reconnaissance chez Bernard de Clairvaux,
lequel estima que Dieu ne pouvait avoir choisi pour Marie et l’Enfant à naître un compagnon médiocre.
Fortement inspiré par Bernard qui reconnut en lui le «confident de Dieu » et par François d’Assise, le texte des Meditationes Vitae Christi présenta ensuite Joseph comme un modèle pour les hommes soucieux de vivre selon les principes du Poverello.
Des représentations le figurèrent près des réalités quotidiennes amenant les fidèles à se rapprocher d’un personnage proche d’eux. Ainsi, la Fuite en Egypte ci-dessous, avec Marie allaitant l’Enfant et Joseph conduisant traditionnellement l’âne mais avec un tonnelet pendu à sa ceinture ne peut que rendre le personnage sympathique et proche des populations…

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Détail d’une stalle du XIVe siècle. Collégiale Saint-Andoche de Saulieu, Côte-d’Or.

C’est réellement dans les siècles ultérieurs, XIV, XV et XVIe siècles, lorsque ses qualités paternelles furent reconnues que Joseph le nourricier et protecteur de Jésus devint un saint plus visible. Sur ce point, on consultera avec profit le travail très documenté de Annick Lavaure «  L’image de Joseph au Moyen Âge ».

Joseph reste « dans l’ombre de la Vierge » : un retrait nécessaire pour valoriser l’incarnation du Christ qui s’est faite par Marie et non par lui. C'est à partir du XIIIè siècle qu'il sort de l’ombre, en lien avec une plus forte humanisation du Christ et des représentations de plus en plus nombreuses de la Nativité.
La mise en relief par l’Eglise du thème de l’Incarnation et l’accroissement du culte marial par l’Eglise se sont traduits par une augmentation considérable de la représentation de Joseph dans les scènes de l’enfance du Christ ou de la vie de la Vierge, mais parallèlement l’omniprésence de Marie n’a guère laissé de place à son discret époux.

Bien que nous sortions des limites de notre période d’étude, faire un saut vers le XVé siècle ne paraît pas inutile pour confirmer notre hypothèse d’
amorces de changement (?) dans le statut iconographique du personnage de Joseph dans l’œuvre de certains artistes déjà aux temps romans.
Si la personnalité de Joseph semble s’esquisser lentement au fil du temps et si son rôle de protecteur de la Sainte Famille tend à être davantage reconnu, il n’est pas sans intérêt, pour percevoir l’évolution de la place occupée par Joseph dans l’art du Moyen Âge, de découvrir à la suite d’Annick Lavaure  ce «chaînon très important dans l’iconographie de Joseph » (2013 p. 246 ).

Le retable de l’église d’Hoogstraten ou tout un cycle consacré à la vie de Joseph.
Il semble que l’on puisse dire que les sept scènes composant le panneau d’Hoogstraten accordent à Joseph la première place : l’iconographie commencerait-elle à s’emparer du personnage ? Par ailleurs, l’influence des textes apocryphes se fait encore fortement sentir ; on retrouve ici les thèmes entrevus précédemment au linteau inférieur du portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris .

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Le panneau peint - copie probable de l’œuvre de Robert Campin - artiste de la première moitié du XVè siècle - est composé de scènes pour la compréhension desquelles l’observateur est invité à cheminer sur un sentier partant de la gauche du panneau ( rameau fleuri et mariage pour s’élever au second plan ( constat de la grossesse et premier songe ), avant de redescendre vers la Nativité occupant l’emplacement central de la composition pour terminer vers l’extrême droite ( le deuxième songe ).

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Détail. Le Miracle du rameau fleuri.

A l’extrémité gauche de la composition, un personnage richement vêtu conduit Joseph et son rameau fleuri vers l’officiant, d’un geste ferme, la main accrochée à son bras, sous le regard peu sympathique des prétendants malheureux. L’élu, Joseph, petit et râblé, est présenté de trois-quarts dos, comme pourrait l’être un personnage secondaire.

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Détail. Le Mariage.

Le décor architectural montre l’intérieur d’un édifice tandis qu’un portail ornementé sert de cadre au mariage célébré dans la scène contigüe. Joseph nettement plus petit que Marie, voire quelque peu voûté, la tête découverte et non nimbé, fait face à Marie auréolée. L’un et l’autre portent des tenues modestes par rapport aux riches habits de leur entourage.

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Entre le Mariage et la Nativité s’intercalent
l’épisode du Doute et le premier songe.

A gauche, Joseph revient de ses chantiers et découvre la grossesse de Marie ; auréolée, elle est assise sur un banc devant sa maison, dans une attitude d’oraison.
Suivant le chemin contournant l’étable de la Nativité on parvient à un paysage sommaire où Joseph est couché au pied d’un arbre, la tête reposant comme souvent dans sa main. Derrière lui un ange debout tient un phylactère qui proclame la parole de Matthieu.

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Détail. Le Remords.

Joseph, à genoux, implore le pardon de Marie ; on remarque ses outils de charpentier étalés à ses pieds.
La tribulation de Joseph n’est pas spécialement valorisée ; en effet, la découverte de la grossesse de Marie et le songe sont représentés en petit format au second plan, et l’accent est davantage mis au premier plan où, à genoux devant son épouse, il implore son pardon et confirme l’origine divine de l’Enfant à naître.

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Détail. La Nativité.

Joseph - toujours en habits rouges - est à l’entrée de l ’étable. Son genou gauche esquisse une génuflexion ; son regard est dirigé vers l’Enfant tandis que ses mains protègent la flamme d’une bougie.
Au centre de l’ensemble du panneau peint, le nouveau-né-, nu, repose sur le manteau de sa mère étalé sur le sol. Marie auréolée et quatre angelots sont agenouillés, les mains jointes.
il participe désormais pleinement à l’histoire et assume son rôle si particulier.


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Détail. Le deuxième songe.

L’œuvre se termine, non pas par la représentation bien établie de la Fuite en Egypte, mais par le deuxième songe, destiné à éloigner l’Enfant des massacres de Hérode.
Dans cette composition les outils du charpentier sont disposés au premier plan. Endormi sur un siège, celui-ci reçoit le message divin rappelé sur le phylactère.

Les deux songes sont donc, de façon identique, représentés sur ce panneau et complétés par des inscriptions ; ces illustrations montrent qu’il est bien le confident de Dieu.

L’absence d’évocation du cycle iconographique de l’Enfance du Christ incarné - Adoration des Mages, Présentation au Temple - pas plus que la Fuite en Egypte - tend à montrer que l’auteur du retable a mis l’accent davantage sur le rôle personnel de Joseph dans l’Incarnation ainsi que ses relations avec Marie, que sur l’Enfance du Christ. Ce qui fait dire à Annick Lavaure qu’à ce titre l’œuvre constitue une exception dans l’iconographie de Joseph telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous.
Le retable met bien en évidence l’humble charpentier présenté comme un personnage essentiel de l’Incarnation autant par son mariage avec Marie que par l’acceptation de l’Enfant dont il n’est pas le père biologique. Il est l’homme discret qui s’est laissé emporté dans une histoire qui le dépassait : il a reçu de Dieu une mission qu’il assume avec humilité et courage.

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