On sait qu'au-delà de sa seule dimension plastique, la mémoire des pierres médiévales exprime plus profondément comment une partie de l'humanité s'est un temps définie avec ses problèmes, sa façon de voir et ses tentatives de se perfectionner elle-même ainsi que le monde dans lequel elle se situait.
C'est dire que le monde des pierres de l'époque romane est aussi une histoire d'hommes.
Une histoire de gens vivant dans un temps et dans une société définis.
Bien sûr seules les recherches érudites des historiens et des archéologues peuvent nous dévoiler véritablement le cadre de vie des hommes d'un autre temps. Toutefois, à notre modeste niveau d'initiation du regard, la mémoire des pierres romanes peut modestement contribuer à une première connaissance des hommes et de leurs conditions d'existence.

L'imagerie romane procède d'un absolu unissant largement une population, l'objet de sa foi et un système religieux. La sculpture romane exprime certes une vision chrétienne du monde, mais elle évoque également les hommes et les femmes dans leur quotidienneté vécue, en bref le milieu dans lequel ils évoluent. A l’expression dans la pierre de scènes explicitement sacrées ou allégoriques porteuses d’une morale sont associées des images d'inspiration profane : certains sculpteurs n'ont pas hésité à représenter sur les chapiteaux des églises, seuls ou en groupes, des hommes d'armes.
Extrêmement structurée, la société médiévale française des XI et XIIe siècles est très hiérarchisée ; elle se présente comme fortement codée.

Elle s'organise autour de trois groupes inégaux :
- Ceux qui prient pour le salut de la communauté ( les " oratores " ) : les gens d'Eglise, prêtres et moines.

-
Ceux qui travaillent pour entretenir les deux autres ordres ( les" laboratores " ) : les paysans ( 90 % de la population ) et les artisans et marchands.

- Ceux qui combattent ( les " bellatores " ) .

Certains aspects de l'ordre social peuvent ainsi être entrevus.
Du point de vue des combattants u
ne forte distinction doit être opérée entre les chevaliers, guerriers professionnels d'élite montés à cheval, et les autres gens d'armes, paysans souvent considérés comme médiocres combattants, qui fournissaient la masse de l'infanterie.

Le chevalier est un guerrier de métier, contrairement aux autres gens d'armes que l'on ne recrute que de manière occasionnelle pour la guerre. Il fait partie d'abord des milites, simples guerriers professionnels bras armés des puissants, mais dont les armes deviendront peu à peu un signe de reconnaissance sociale. Lié par serment à son seigneur, sa vocation est de servir. Le miles est un combattant redouté.

Dans la deuxième moitié du XIe siècle, la cérémonie de la remise des armes devient le signe d'entrée dans une caste privilégiée:celui qui reçoit les armes est fait
chevalier.
Les spécialistes recherchés du métier de la guerre sont donc les milites et c'est par rapport à eux que se définissent les autres gens d'armes.

A ces combattants à cheval lourdement équipés s'opposent les fantassins - les
pedites - légèrement armés, nombreux et de basse origine sociale.


Dans cette perspective, ceux qui combattent tant à pied qu'à cheval peuvent parfois être figurés sur des chapiteaux, des claveaux d’archivoltes, des modillons des corniches d'édifices religieux : représentations purement profanes témoignant de l'équipement militaire de l'époque romane ou pouvant même posséder de manière sous-jacente une connotation au second degré symbolique.

Dans cette dernière optique, un auteur comme Gérald Gambier n'hésite pas à écrire que le génie des imagiers romans fut de transposer le combat spirituel dans la pierre en termes militaires à la suite d'Isaïe ou de saint Paul.
Isaïe dans son psaume de pénitence ( 59/17 ) écrit que le Seigneur se présente comme un guerrier avec les armes de son règne " il a fait ( de la justice ) un vêtement, une cuirasse ; il avait sur la tête le casque du salut, et la vengeance lui servait de tunique".

Saint Paul emploiera les mêmes images militaires pour évoquer le combat spirituel : " Vous tiendrez bon si vous avez la vérité pour ceinturon, la droiture pour cuirasse…Ne lâchez jamais le bouclier de la foi avec lequel vous éteindrez les flèches incendiaires du Mauvais. Portez le casque du salut et l'épée de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu " ( Ephésiens, 6/13-17 ).

De façon générale il faut parfois aller au-delà de l'apparence de certaines images de pierres romanes et voir les activités ou les positions des hommes mises en scène pour évoquer, à l'aide de correspondances appropriées, les comportements intérieurs de ces mêmes hommes. (A. et R. Blanc ).

Pour les sculptures romanes qui nous retiennent ici il convient de distinguer parmi les guerriers deux grands types :

1° les combattants d'élite montés à cheval…


Eglise de Champniers, Charente.

…et 2° la piétaille qui fournissait la masse des combattants à pied.


Eglise Saint-Hilaire, Foussais, Vendée.

    • 3° On peut même trouver dans l'imagerie romane des thèmes singuliers figurant des personnages en armes dans des scènes pourtant explicitement religieuses.

Fragment d'un chapiteau représentant les Saintes Femmes au tombeau.
Cloître de l'ancienne abbaye de Saint-Pons-de-Thomières, Hérault. Musée du Louvre.



Plutôt qu’à une promenade dans une famille d'églises, c’est à un voyage dans la diversité romane régionale française ainsi que dans certains foyers extérieurs ibériques ( Asturies, Cantabrie, Castille, Galice, Leon, Navarre ) que nous convions le lecteur :
1° Les chevaliers
2° Les guerriers à pied
3° Images singulières de personnages en armes dans des scènes explicitement religieuses.

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