L'art mozarabe
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☛"Mozarabe"
Le terme "mozarabe" recouvre trois situations historiques et trois réalités culturelles qui font suite à l'invasion musulmane de 711:
- Les chrétiens de l'Espagne centrale et méridionale restés sur leurs terres et vivant sous le joug de l'islam.
- Les populations qui ont fui vers les royaumes du Nord et s'y sont fondues.
- Ceux qui participèrent à la Reconquête entre 711 et 1085 et qui luttèrent aussi pour demeurer fidèles à leur ancienne liturgie. C'est à eux que le rite wisigothique doit d'être appelé également rite mozarabe (ou encore rite hispanique, pour le distinguer du rite romain).
Sur les terres reconquises, où les souverains favorisèrent une politique de repeuplement, les chrétiens libérés ou venus du Sud ont usé, dans leurs oeuvres, de formes artistiques influencées par celles des musulmans. "C'est dans ces îlots de mozarabie, préservés au coeur des royaumes chrétiens (...) que va s'épanouir la majeure partie de l'art que nous appelons mozarabe", écrit Jacques Fontaine.
☛Quelques traits de l'architecture mozarabe
- L'arc mozarabe est plus fermé que son prédécesseur wisigothique. Généralement l'outrepassement est de 2 / 3 du rayon.
L'ajimez est une ouverture constituée de deux baies jumelles séparées par une colonne, ou fenêtre bilobée. L'ouverture est plus grande que celle que l'on voit dans les églises wisigothiques.
Comparer avec les fenêtres de San Pedro de la Nave.- L'alfiz est un encadrement rectangulaire dans lequel s'inscrit l'arc d'une baie, ou ceux de baies jumelles. On en voit des survivances dans l'art roman (par exemple le portail Sud de l'église d'Aldanueva de Guadalajara).
- Des modillons à copeaux soutiennent les toitures.
- L'espace "réticulé". L'intérieur d'une église mozarabe est constitué de parallélépipèdes. Des murs écrans s'élèvent au-dessus des colonnades, un portique semblable à l'iconostase d'une église orthodoxe sépare la nef du choeur, etc. Une archéologue, Mlle King, écrivait que "l'église hispanique, comme la byzantine, aspirait au mystère de l'espace clos, où la lumière tombe paisiblement, et où les surfaces courbes limitent la vision et la laissent en suspens".
- Le plan des absides montre souvent qu'elles suivent (mais pas toujours), au sol, la forme d'un arc mozarabe, parfois déformé.
San Miguel de Escalada
Située à une vingtaine de kilomètres à l'Est de León, sur les bords de l'Esla, San Miguel de Escalada est la plus ancienne église mozarabe de ce royaume.
Vers la fin du IXe siècle, fuyant les persécutions de l'émir Muhammad Ier, une communauté monastique venant de Cordoue et suivant sans doute la règle de saint Isidore vint s'établir en ce lieu. Une inscription latine, aujourd'hui disparue mais dont on a conservé le texte, disait qu'une église fut construite sur les ruines d'une chapelle wisigothique par l'abbé Alphonse et ses frères. Le texte ajoutait qu'en 913, l'église étant devenue trop petite, ils la reconstruisirent en un an.
C'est dans ce monastère que le moine Magius "archipictor" acheva en 950 les enluminures du Beatus conservé à la Pierpont Morgan Library.
En arrivant, on est tout de suite frappé par les douze belles arcades en fer à cheval du portique. Au XIe siècle, deux constructions furent ajoutées: la tour et la chapelle Saint-Fructueux. Délicat hommage des bâtisseurs de l'ère romane à leurs prédécesseurs mozarabes, dans le mur occidental de la tour s'ouvre une baie bilobée imitant avec quelque maladresse et sans le couronnement d'un alfiz, l'élégant ajimez du mur Ouest du portique. Les autres fenêtres de la tour sont de style roman très simple, en plein cintre.
Extérieurement, l'église est construite sur un plan basilical: c'est un rectangle parfait. Par contre, à l'intérieur, nous trouvons une abside et deux absidioles dont le tracé au sol découpe dans l'épaisseur des murs des arcs mozarabes. "Toutes trois sont inscrites dans un même massif rectangulaire qui les circonscrit: le mur extérieur esquisse ainsi autour des trois chapelles une sorte d'alfiz horizontal", écrit Jacques Fontaine.
Plan de San Miguel, avec le portique et les emplacement numérotés des plaques de chancel.
On a conservé dans l'église de très belles plaques de chancel. Un chancel est une clôture ou une balustrade, souvent décorée, séparant un choeur de l'espace où se tiennent les fidèles.
Les trois absides sont voûtées à trois pans et les deux collatéraux sont voûtés d'arêtes. Tout le reste de l'église a toujours été couvert de charpentes. L'espace sacré est séparé de la nef par un portique à trois arcs.
Les colonnades, les différences de hauteurs des chapiteaux et de largeurs des arcs, les jeux de lumière, les tons pastel des pierres et le décor plus ciselé que sculpté, font naître un sentiment de paisible étrangeté lorsqu'on pénètre en ce lieu.