Le Tricastin
******

Saint-Restitut
Cette étrange église est située sur une large place, entourée de ruelles et de maisons anciennes. Tout le village, d'ailleurs, mérite qu'on prenne le temps de s'y promener.


De Sidoine à Charlemagne

On raconte, en Provence, que Sidoine est cet aveugle de naissance guéri par le Christ, et à qui saint Jean consacre tout ce magnifique chapitre IX de son Evangile. Certes, l'aveugle n'est pas nommé, ce qui est sans importance puisque les Provençaux en ont pris la responsabilité.
Il s'appelait donc Sidoine, mendiait pour vivre et ne demandait rien de plus. Le Christ croise son chemin rembarre ceux qui associent la cécité de cet homme à un péché commis. Cet aveugle est là parce qu'il y a quelque chose qui doit être compris. « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». Sidoine ne parle toujours pas. Le Christ crache à terre et applique sur les yeux de Sidoine la boue ainsi formée. « Va te laver à la piscine de Siloé ». Lorsque Sidoine revient, il voit. On l'interroge. Il répond de façon laconique mais toujours précise. C'est un homme courageux; il n'est pas de ceux qui se taisent et disparaissent après avoir été miraculés. C'est un homme fier, qui estime qu'il a un devoir de vérité.
Il méprise les petits inquisiteurs braillards qui mettent en doute son identité, sa cécité, sa guérison miraculeuse. « C'est moi ». « Ce que je sais, c'est que j'étais aveugle et qu'à présent je vois ». « Si celui-là n'était de Dieu, il ne pourrait rien faire ».
Et jusqu'à l'ironie cinglante et pleine de dignité par laquelle il met fin à la discussion avec des gens trop mesquins: « Je vous l'ai déjà dit et vous n'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous l'entendre encore? Voulez-vous aussi devenir ses disciples? » 
Les chiens ont projet de mordre. Soit. Mais qu'ils n'aboient pas en plus. Sidoine a besoin de silence pour méditer sur ce qui lui est arrivé. Une vie n'y suffira pas. Il n'a pas de temps à perdre avec ceux qui préfèrent le rassurant séjour des taupes à « la lumière du monde ».
Sidoine se sait l'égal de tout homme, et il ne se prosterne devant le Christ qu'au moment où il en comprend la divinité.
Exilé après la décapitation de Jacques le Majeur sous Hérode Agrippa, on le retrouve sur l'embarcation « sans voiles ni rames », en compagnie de dix ou onze saintes et saints, persécutés comme lui: Marie Salomé, Marie Jacobé, Lazare et ses deux soeurs – Marthe et Marie –, Maximin, Marcelle et Suzanne, Joseph d'Arimathie (avec le Saint Graal), Amadour, Sara l'Egyptienne, et d'autres encore...
Accueilli par Trophime, le groupe se disperse ensuite. Sidoine est devenu Restitut (
Restitutus est ei visus, « La vue lui a été rendue »).
Il devient le premier évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, puis le successeur et second évêque d'Aix. Il meurt en Italie, près d'Albe. Ses reliques sont rapportées dans le Tricastin, dans ce beau village qui lui doit son nom, et où Charlemagne fera bâtir en son honneur une basilique qui deviendra un lieu de pèlerinage.

Repères chronologiques

993: Le village et l'église sont mentionnés dans des textes. L'évêque de Saint-Paul en est le seigneur.

XIe siècle: Construction de la tour funéraire, détachée de tout autre édifice (ce que montre la frise qui l'orne sur ses quatre côtés).

Première moitié du XIIe siècle: Construction de la nef, d'une l'abside et de la partie haute de la tour. La tour a peut-être alors été ouverte sur une abside occidentale. Les nefs à deux absides opposées ne sont pas une exception: on peut en voir à La Garde-Adhémar, à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), etc. La cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nevers a deux choeurs: l'un, roman, à l'ouest, et l'autre, gothique, à l'est.

Seconde moitié du XIIe siècle: Nouvelle campagne de travaux pour reconstruire le mur ouest de la tour, de la coupole intérieure de celle-ci et de l'abside de l'église. Le travail du porche aurait alors été confié à l'artiste qui avait composé celui de Saint-Gabriel et sculpté les deux façades de Saint-Paul-Trois-Châteaux.

1249: Un évêque fait transporter les reliques de saint Restitut de la tour funéraire à l'église.

Début du XIVe siècle: Bernard Gui (1261-1331), dominicain qui devint évêque de Lodève, parle de Sidoine/Restitut sous ces deux noms, dans Le Miroir des Saints et dans une Vie de Maximin.
« Le bienheureux Sidoine qui naquit aveugle et à qui le Christ donna la vue... »
« Restitut, l'aveugle à qui le Seigneur donna la vue... »

1465: Deuxième translation à l'intérieur de l'église.

1516: L'évêque Guillaume Adhémar procède à une troisième translation, toujours à l'intérieur de l'église.

1561: Les calvinistes brûlent les reliques et dispersent les cendres.

Révolution: la tour est vendue comme Bien National.

1842: Prosper Mérimée vient dans le Tricastin et fait inscrire la tour et l'église aux Monuments Historiques.



La chapelle du Saint-Sépulcre

LIENS
Lien avec article de Wikipedia où une photo montre bien le visage qui se trouve entre les mains dans le chapiteau corinthien à droite du porche:
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_de_Saint-Restitut

Lien avec un très bon travail universitaire de Mme Séverine Fontaine sur Saint-Restitut, et notamment sur la frise de la tour funéraire:
http://medieval.mrugala.net/Architecture/St%20Restitut/St%20Restitut.htm

Saint-Paul Trois Châteaux



Gambades et cabrioles étymologiques

Il n'y a jamais eu trois châteaux à Saint-Paul-Trois-Châteaux! Le nom vient d'une confusion entre
Tricastini, les tricastins, et tri(a) castra. La ville était bien la capitale des Tricastins, qui faisaient partie de la confédération gauloise des Cavares. Elle s'appelait alors Noiomagos. Colonisée par les Romains, elle devint Augusta Tricastinorum, puis reçut le droit de cité romaine avec le titre de Colonia Flavia Tricastinorum.
Au IVe siècle, l'évêché du Tricastin est fondé par Paul, dont on disait qu'il était champenois... parce qu'on faisait la confusion entre
Trecis (Troyes) et Tricastini.
Dès le moyen-âge, la ville s'appelait Saint-Paul dans l'usage courant. Par contre, dans les cartulaires des évêques, qui commettent l'erreur dès le XIe siècle, la cité est nommée
Tricastrinus.

Les évêques légendaires

Le premier évêque du Tricastin serait Sidoine, l'aveugle-né de l'Evangile de saint Jean, qui se fit appeler Restitut car le Christ lui avait "restitué la vue". Voir à ce propos le chapitre sur Saint-Restitut dans ce même site.

Quant à saint Paul qui a donné son nom à la cité, nous l'avons déjà rencontré à propos de Saint-Paul-de-Mausole, près d'Arles. C'est lui que les habitants du Tricastin, attirés par sa réputation de sainteté, étaient venus chercher pour qu'il succède à leur évêque défunt. Ascète modeste, Paul refusa. Il fallut le miracle du bâton fleuri pour qu'il se soumette à la volonté du peuple, qui, en ce temps-là était aussi la volonté de Dieu. On l'ordonna prêtre. On le sacra évêque. Charitable, accomplissant des miracles, aimé de ses ouailles, il se consacra à sa tâche pendant quarante ans et mourut en 412. On l'inhuma dans la cathédrale qui prit son nom.

Et comme il y eut un Paul, évêque du Tricastin, qui participa effectivement au Concile de Valence en 374, les dates concordent et les historiens contemporains peuvent fraterniser avec les hagiographes médiévaux.

Mais les rêveries provençales n'étant belles que lorsque Charlemagne intervient, ajoutons que l'empereur aurait aussi fait édifier une nouvelle cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Paul. Elle fut détruite par les Hongrois dont les entreprises de massacres et démolitions concurrençaient rudement celles des Arabes au point que ceux-ci, ne sachant, dans le fond, rien faire d'autre, et ne trouvant plus deux pierres l'une sur l'autre ni âme qui vive, se trouvaient ainsi réduits au chômage. Les Hongrois, eux, était allés faire leurs démonstrations de sauvagerie jusqu'à Nîmes en 924, avaient ravagé la région du Rhône et notamment le Tricastin.



Les grandes dates de l'édifice actuel

Vers 1120: La construction commence par le chevet et le transept. Sculpture des chapiteaux de l'abside. Pose de la mosaïque. Puis construction de la nef.

Vers 1180: Modification des croisillons nord et sud. Sculpture de la frise de la nef. Mise en place des porches.

1202: Le comte de Toulouse, marié cinq fois, trouve le temps d'assiéger la ville pour arracher à l'évêque et aux habitants un serment de fidélité... ce qui était un comble car il ne semblait guère se soucier de fidélité matrimoniale ni même politique.

1214: Sans doute las de voir les évêques confectionner de faux diplômes assurant qu'ils ne devaient allégeance qu'à l'empire germanique, Frédéric II de Hohenstaufen rédige un acte – dit "acte authentique" – confirmant que l'évêque est bien le seigneur du lieu, comme il était stipulé dans les faux actes "de Lothaire" et "de Frédéric Barberousse". La situation devenait juridiquement plus nette et moralement plus acceptable.

XVe siècle: Ajout de l'avant-porche sud.

1535: Dans le contexte des différends entre Charles Quint et François Ier la cathédrale est pillée.

1561: Les Protestants prennent la ville et mettent l'église à sac, brisent le tympan du porche sud et détruisent la coupole ainsi que le clocher.

1567- 1600: Exil de l'évêque et du chapitre.

Après 1600: Restauration de l'église.

1634: l'architecte évignonnais Olivier Piedoux construit un nouveau dôme sur la coisée des transepts: on disait que c'était "un des plus beaux du royaume".

Révolution française: Désastres plus limités qu'en d'autres endroits.

1840: L'église est classée Monument Historique par Mérimée. L'année suivante, la construction d'une nouvelle coupole est entreprise.

1850: Restauration par Questel.

1889: Restauration par Revoil.

1897: Abaissement du sol de l'abside à son premier niveau et découverte de la mosaïque.

Saint-Michel de La Garde-Adhémar

Superbe site que celui de La Garde-Adhémar, que l'on découvre en venant de Saint-Paul-Trois-Châteaux au sud.



Et, comme en tant d'endroits élevés, il n'est pas étonnant d'y découvrir une église Saint-Michel. L'archange dédicataire aime les hauteurs: le Mont-Saint-Michel, la chapelle haute de Rocamadour, Saint-Michel-d'Aiguilhe au Puy-en-Velay... L'archange dédicataire préfère visiblement les sommets aux cryptes.
Mais qui sont ces Adhémar que l'on rencontre souvent entre Rhône et Alpes et dont le nom vient préciser celui du bourg?

Venant du Velay, ou bien du Valentinois (région de Valence), ou encore du Vercors (vers Royans), rêvant parfois d'un mythique Lambert Adhémar, parent de Charlemagne, ou d'autres fois d'une non moins mythique ascendance wisigothique, les Adhémar – la chose est cette fois certaine – sont présents en Provence et Dauphiné dans la période du Moyen Age qui nous intéresse.

Il semblerait qu'Adhémar devint un nom de famille en l'honneur d'Adhémar de Monteil, évêque du Puy en Velay, pélerin en Terre Sainte, enfin légat du Pape et chef spirituel de la première Croisade, mort à Antioche en 1098. Plutôt que de généalogie, d'aucuns, rêvant plus noblement de foi et de poésie, eussent aimé qu'il fût l'auteur du
Salve Regina, pour cette raison nommé aussi "Antienne du Puy". C'est le cas du moine Albéric des Trois-Fontaines, qui au XIIIe siècle, soutenait cette thèse dans sa Chronique qui va depuis la création jusqu'en 1241. Suivant l'usage, nous laisserons la paternité de ce beau poème à Herman de Reichenau (1013-1054).

Pour revenir aux Adhémar, leur ascension fut rapide, puisqu'au XIIe siècle ils détiennent plus de trente châteaux dans la région... et notamment Montélimar (
Montilium Adhemarii, Monteil Adhémar), où l'on peut visiter la chapelle et le château romans. En fait, les choses n'étant jamais simples dans les familles nombreuses, il y avait même deux châteaux, car il y avait les Adhémar de La Garde et les Adhémar de Roquemaure. Mais en 1426 on a édifié une courtine pour relier la Tour de Narbonne au château proprement dit des Adhémar. Cette décision était moralement louable, stratégiquement nécessaire, et elle permet aujourd'hui de faire la visite avec un seul ticket.



Quelques dates

En
1059, le roi de France Henri Ier stipule, dans une charte, que Notre-Dame-du-Val-des Nymphes – qui se trouve à 2 km à l'est de La Garde-Adhémar – appartient à l'abbaye Saint-Philibert de Tournus. Or Saint-Michel dépendait de ce prieuré, ce que confirme une bulle de Pascal II en 1105.

Au
XIIe siècle, plusieurs autres bulles pontificales rappellent le rattachement de Saint-Michel et du Val-des-Nymphes à Tournus.

Sans doute ne s'agissait-il pas de l'édifice actuel, dont le style rappelle celui de la cathédrale Saint-Paul, et qui date donc de la
seconde moitié du XIIe siècle.

En
1365, une partie de la ville passe sous l'autorité du pape.

1365, le Dauphin Louis (futur Louis XI) se rend maître de la ville.

En
1540, Louis Adhémar de Monteil, comte de Grignan, ambassadeur de France auprès du pape, obtient de Paul III que Saint-Michel-de-La Garde soit rattaché à la collégiale Saint-Sauveur de Grignan (à une quinzaine de km de La Garde).

1562: le sinistre baron des Adrets s'empare de la Garde-Adhémar, et, comme il en avait pris l'habitude, la pille et fait tuer la garnison. Un rien l'amusait: à Montbrison il avait fait sauter les défenseurs de la ville du haut des remparts sur les piques de ses soldats, à Montrond il avait jeté du haut du clocher le curé trop lent à lui apporter l'argenterie sacrée. La liste est immense, Calvin lui-même et quelques autres Protestants finissent par manifester leur désaccord. François de Beaumont s'en va bouder chez les Catholiques et se convertit. Pensant être lavé de ses péchés antérieurs, il entreprend alors, sous une autre bannière, une nouvelle carrière de capitaine expérimentateur en atrocités diverses. Mais la morale et la justice finissent par l'emporter car en 1587, il meurt paisiblement dans son lit.

A partir du
XVIIe siècle, le Val-des-Nymphes tombe en ruines, et Saint-Michel ne vaut guère mieux.

En
1849, Mérimée en fera entreprendre la restauration par l'architecte Questel.