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Extrait du zodiaque partiel de l’église d’Aubeterre-sur-Dronne, Charente.
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Nul n’ignore que la zone zodiacale, divisée en douze parties, une pour chaque mois, dès la plus haute antiquité, porte en chacune de ces parties un signe qu’on appelle les signes du zodiaque.
Ces figures correspondant aux mois de l’année sont souvent représentées sur nos monuments du moyen âge, et en regard sont figurés les travaux ou occupations de l’homme pendant chacun de ces mois.

L'homme roman et les rythmes du temps.
C'est une temporalité totalement différente de celle du monde moderne qui imprégnait la vie de l'homme du Moyen Âge. Le temps de la période médiévale n'est point unifié et strictement quantitatif.
Le temps prévalent est un temps cyclique lié à la nature et aux activités agricoles qui dépendent de ses rythmes ; encore faut-il ajouter avec
Jérôme Baschet que " le temps dominant de la chrétienté est assurément le temps liturgique...qui est une manière d'assumer un temps cyclique qui se superpose au temps naturel et agricole, mais le reformule et transfère le contrôle à l'Eglise " (La civilisation féodale, Flammarion, 2006, p.439 ).
On peut donc dire que l'immense majorité de la population de l'époque médiévale a avant tout une expérience concrète du temps, le temps cyclique des rythmes de vie liés à la nature, aux saisons. Un signe manifeste en est la multiplication des figures iconographiques des travaux des mois.
Peut-être peut-on aller jusqu'à dire que, pour les femmes et les hommes de l'époque romane, le temps qu'il fait l'emporte sur le temps qui passe qu'ils savent difficilement apprécier et puis, le temps n'appartient-il pas à l'institution ecclésiale qui règle les grands moments de leur existence ?
Pour l'Eglise le temps a un sens : depuis la Création jusqu'au Jugement dernier. Le temps de l'Eglise est d'abord celui de la liturgie qui impose ses repères à tous. Faut-il rappeler qu'on parle plus volontiers du jour de la saint Jean que du 24 juin, de la saint Michel que du 29 septembre ou de la saint Martin plus que du 11 novembre.

Le Zodiaque et les travaux des saisons.
Depuis toujours, les hommes ont cherché à mesurer le temps. Au Moyen Âge les travaux ruraux rendaient perceptibles la durée du temps qui passe.
L'idée de temps est représentée dans l'imagerie romane notamment par les saisons et les signes du zodiaque. Les saisons succèdent aux saisons et les occupations humaines ( labours, semailles, récoltes, repos des sols... ) sont la forme la plus visible de l'écoulement du temps. Les travaux des saisons relient ainsi la vie céleste et les activités terrestres.

Si le thème zodiacal évoque l'idée du temps qui passe en même temps que la correspondance céleste avec les activités saisonnières, il peut être soutenu aussi que les calendriers agraires médiévaux expriment implicitement une spiritualité associée à la quotidienneté vécue et peuvent être lus alors comme une glorification du travail qui permet d'obtenir le pain et le vin.
La culture céréalière est représentée par la moisson en juillet et le battage en août ; l'activité viticole avec la taille de la vigne en mars et les vendanges en septembre.
Sur un plan spirituel, le travail permet d'obtenir le pain et le vin " fruits de la terre et du travail des hommes, nécessaires à l'accomplissement de l'Eucharistie et donc à la rédemption.
Les calendriers figurés dans les églises conservent ainsi le souvenir d'une spiritualité intimement liée aux gestes les plus quotidiens de l'homme médiéval.
Les grandes fêtes religieuses scandent la vie du paysan médiéval ( l'Annonciation et la saint Michel suivent les équinoxes, la saint Jean et Noël coïncident avec les solstices ).
En fait, des fêtes païennes célébraient l'évènement bien avant que le christianisme ne leur eût substitué les siennes propres ; elles n'ont été supprimées que pour être remplacées par les fêtes chrétiennes.
Les activités saisonnières sont représentées sur des enluminures de quelques manuscrits de l'époque carolingienne. Vers 900 le moine Wandalbert de Prüm écrit un poème consacré aux douze mois de l'année évoquant le zodiaque et les occupations agricoles.


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Au XIIIe siècle, Barthélemy l'Anglais et Matfre Ermengaud relatent à leur tour ces scènes d'activités saisonnières dans leurs compilations encyclopédiques.

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 Enluminure des Notices astronomiques de Vienne, manuscrit composé à Salzbourg, début du IXe siècle ( entre 809 et 818 ?) 


Des zodiaques ont été historiquement représentés sur des pavements avant de l'être plus tard sur des vitraux.

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Tournus, Saint-Philibert, Saône-et-Loire.
Détail du médaillon du signe des Gémeaux (cl. A. Ferrand).Mosaïque de pavement du déambulatoire, vers 1200.

Ils ont été également fréquemment figurés en peinture. Dans les chapelles et églises rurales les calendriers sont peints sur l'arc doubleau qui sépare le choeur de la nef : il en est ainsi à la petite église rurale Saint Aignan de Brinay ( 18 ).

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Un paysan travaille la terre à la houe ( Mars ).
Un personnage assis se chauffe devant un feu de bois ( Février ).
( Crédit photo : Michel Claveyrolas )

On les trouve également représentés sur des fresques murales comme sur le mur nord de la nef de Notre-Dame du Vieux-Pouzauges, XIe siècle, Vendée.

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La moisson du mois de Juillet et le battage du blé au fléau du mois d'Août.


Les calendriers agraires, couplés ou non avec les signes du zodiaque font irruption dans le décor sculpté au XIIe siècle notamment sur les archivoltes des portails de certaines églises ; dans la région Poitou-Charentes - qui retiendra seule notre attention ici - on trouve les plus complets à Aulnay-de-Saintonge, Civray, Cognac, Fenioux.
Ces scènes ont fréquemment souffert de l'usure du temps, par exemple à l’église Saint-Gilles d’
Argenton les Vallées ou à Saint-Hilaire de Melle.
L’évocation des douze signes zodiacaux combinés aux douze scènes rurales imposant aux sculpteurs un espace important c’est généralement sur la
voussure externe des tympans des portails qu’ils sont représentés. C’est aussi en cette place qu’ils sont visibles par les fidèles qui abandonnent le temps profane/extérieur en entrant dans le lieu sacré/intérieur.
Cependant il arrive, quoique beaucoup plus rarement, que certaines de ces scènes incomplètes soient sculptées dans une
frise sous une arcade ou sous une corniche.

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La voussure extérieure du portail central de la façade de Saint-Nicolas de Civray ( Vienne ) est consacrée aux occupations des mois et aux signes du zodiaque.
Franchissant le portail le fidèle entre dans la maison de Dieu en quittant le monde des hommes représenté par les travaux des mois sur la voussure externe. Ces petites scènes vécues permettent de retrouver, avant d'entrer dans le temple sacré, un univers familier.
Sur une autre voussure, le Christ, Verbe de Dieu, représenté par son buste, est déjà signe d'un autre monde. Sur une voussure intermédiaire, la présence des Vierges sages et folles rappelle à celui qui entre qu'il doit, s'il veut être sauvé, être prêt à chaque instant et pour cela combattre contre le péché toujours présent en lui et dans le monde.


Faut-il rappeler que l'homme roman, sa vie en société, ses croyances et ses actes ne peuvent être pleinement saisis sans la considération de l'au-delà. L'attente du Jugement Dernier reste un bruit de fond sans cesse rappelé à l'homme médiéval par les représentations sculptées aux portails des édifices.


D'une conception naturelle du temps à une conception théologique ou le zodiaque antique christianisé.
Le calendrier agraire, réservé à l'illustration des manuscrits à l'époque carolingienne, fait irruption dans le décor sculpté au XIIe siècle mais rénové par rapport à l'Antiquité. Le Christ va être substitué à Annus dans l'arc de cercle des calendriers sculptés et la structure iconographique ainsi dérivée va être à la base des tympans romans.
La symbolique du temps et du calendrier héritée de l'Antiquité pouvait être mise au service du Christ maître du temps, et donc aussi du calendrier de l'année. Le symbolisme est celui de la roue de l'année. Comme l'astre du jour, symbole de la lumière, qui par sa course diurne nombre les heures, et par ses variations d'orbite scande les mois et les saisons, le Christ scande les temps de l'année liturgique. L'assimilation du Christ au soleil n’ est pas récente ; le symbolisme solaire sera ainsi christianisé.
Le motif païen du zodiaque associé aux travaux des mois a été transposé tel quel dans l’imagerie chrétienne.
Le zodiaque se déploie sur un arc de cercle ; ce dernier tient lieu de cercle complet de l'année. Cette idée de cercle est fort importante pour l'homme médiéval. Il ne manque pas d'occasions de souligner le caractère cyclique de l'annus, l'anneau, l'année.
Le personnage de l'Année, souvent identifié par une inscription, Annus, est une composante de l'iconographie traditionnelle du calendrier antique. L'art roman s’en est emparé et souvent représenté.


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Personnage accroupi représentant l’année et le temps qui passe.
Cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire.


Pour bien saisir le rôle ainsi attribué au Christ roman, il est n’est pas inutile de le replacer dans le contexte des idées générales de l'époque. Elles sont résumées et explicitées dans les enluminures représentant l'année naturelle ou le calendrier.

L'enluminure d'un manuscrit souabe d'époque romane représente le cercle de l'année inscrit dans le quaternaire des saisons. L'année commence à gauche, à l'horizontale. A remarquer que l'année commence en janvier sous le signe du capricorne, période où l'on chasse le lièvre et non sous celui du verseau comme à l'époque romane. La lecture va se faire dans le sens de rotation du soleil, celui des aiguilles d'une montre. Le sagittaire termine ici l'année associé à l'homme découpant un porc pour la nourriture de la mauvaise saison.


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D'après Gérard de Chapeaux et dom Sébastien Sterckx, Le monde des symboles, 4 édition, Zodiaque, 1989, p. 396.

En haut à gauche, le printemps montre l'éclosion des bourgeons se métamorphosant en feuillages : c'est le signe du renouveau.; à droite, la saison estivale symbolisée par un personnage nu qui brandit la faucille de la moisson. En bas à gauche, c'est le temps de la vendange, donc l'automne ; à droite, le personnage se réchauffe les pieds auprès de l'âtre : c'est la symbolisation de l'hiver.
A l'intérieur de ce quaternaire s'inscrivent les deux cercles des signes du zodiaque et des travaux des mois .
L'homme, accroupi au centre de l'image, figure Annus. Il représente le temps cyclique. Inscrit dans un cercle, il tient en main le soleil et la lune associés au jour et à la nuit. Il est le temps ; c'est lui qui fait se succéder les mois, les saisons...

A la période romane le personnage d'Annus sera remplacé par celui du Christ. La substitution de personnage va modifier fortement cette représentation naturelle et lui superposer une conception théologique du temps accompli dans et par le Christ.

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Frontispice du Cantique des Cantiques, Bible de Saint-Vaast, deuxième quart du XI e siècle, Arras, Bibliothèque municipale.

Le Christ en majesté dans la Jérusalem céleste est entouré des douze médaillons du zodiaque qui signifient l'écoulement cyclique du temps autour de la figure d'éternité.


Le solstice d'été par exemple avait l'avantage de présenter un symbolisme naturel très parlant. A ce moment le soleil passe au zénith, plus haut que jamais dans le ciel ; il est à son apogée. Il n'en fallait pas plus pour célébrer sous ce symbolisme le Christ-Soleil. Mais tandis que le dieu-soleil païen, dès le lendemain commençait à redescendre, le Christ-Soleil, lui, se maintient à jamais en sa position d'apogée.
Le Cancer était le signe du du solstice d'été parce que le crabe a la propriété originale de marcher de côté, aussi bien à droite qu'à gauche : cette aptitude au changement de sens l'habilitait à symboliser le renversement de la course du soleil qui, après une ascension continue de six mois dans le ciel jusqu'au solstice de juin, redescendait ensuite.

Les portails romans situent donc le Cancer solsticial, symbole du Christ, au-dessus de celui-ci, au point le plus haut de la voussure comme le soleil arrêté.

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Tympan de l'église de Fenioux, Charente-Maritime.

Lorsqu'on cherche davantage de précision, on remarque que le solstice tombe en fin juin, donc en fin de signe du cancer, et peu avant le début juillet dont le signe est le lion : c'est alors l'intervalle qui sépare le cancer du lion qui sera sur la verticale du Christ comme à l’église du saint-Esprit de Fenioux.

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Tympan du portail ouest d'Aulnay-de-Saintonge.

Un motif composé d’éléments disparates peut manifester ce point important s’il en est. « Le zodiaque du portail ouest d'Aulnay a été perturbé lors des travaux du XIXe siècle ; avec un détachement remarquable les restaurateurs ont par exemple inversé les deux signes du Cancer et du Lion, sans se douter de la portée de cet anachronisme ; on peut cependant penser avec une certaine vraisemblance que le claveau étroit et non sculpté qui interrompt le cercle de l'année, comme une grosse aiguille d'horloge arrêtée, est d'origine puisqu'il porte, sur sa face tournée vers le sol, une marguerite, comme tous les autres claveaux d'origine, et même qu'il est resté à sa place entre le Lion et Cancer tandis que ceux-ci échangeaient les leurs ». ( D'après Gérard de Chapeaux et dom Sébastien Sterckx, Le monde des symboles, 4e édition, Zodiaque, 1989, p. 406 ).

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La marguerite est bien visible.

Signes zodiacaux et activités des saisons.
Les sculptures se lisent en général par paire de représentations juxtaposées du signe zodiacal et des travaux du mois correspondant.
Les travaux du printemps.

  • Sous le signe du Bélier ( Aries voire Arietis en latin populaire ), les travaux des champs reprennent (mars).
  • Le signe du Taureau ( Taurus ) est mis en correspondance avec les tailles de la vigne (avril).
  • Le signe des Gémeaux ( Gemini ) correspond avec le renouveau de la végétation (mai).
  • Les travaux de l'été.
  • Au signe du Cancer ( parfois écrit Canrcer ) correspond la fenaison (juin).
  • C'est sous le signe du Lion ( Leo ) que se déroule la moisson (juillet).
  • La Vierge ( Virgo ) est mise en correspondance avec le battage des grains (août).
Les travaux de l'automne.
  • Sous le signe de la Balance ( Libra ), s'effectuent les vendanges (septembre).
  • Au signe du Scorpion ( Scorpius voire Escorpius ) correspond souvent la glandée des porcs (octobre).
  • C'est sous le signe du Sagittaire ( Sagittarius ) que les boeufs sont rentrés à l’étable (novembre).


Les travaux de l'hiver.
  • Le signe du Capricorne ( Capricornus, voire Cabricor ) correspond à des personnages attablés puisque les grands travaux sont réalisés (décembre).
  • Sous le signe du Verseau ( Aquarius, voire Acarius ) (janvier), l’eau est déversée sur un personnage.
  • Sous le signe des Poissons ( Piscis voire Pisces) (février), les hommes se chauffent en attendant la reprise des travaux des champs.
  • Ces activités rurales ne sont pas rigoureusement associées à un signe ; selon les édifices il y a des décalages d’un mois sur l’autre et pas seulement pour des raisons géographiques., semble-t-il...
  • Quelquefois ce sont seulement les travaux ou représentations des occupations de l’année ( comme dans la frise d’Aubeterre sur Dronne ) qui remplacent les signes.
  • Mais souvent ces signes, dans nos monuments, ne sont pas à leur place, comme on vient de le voir ci-dessus. Étant sculptés sur des morceaux de pierre, avant la pose, claveaux ou assises, les ouvriers ne suivaient pas toujours l’ordre dans lequel ils devaient être placés, et cet ordre était interverti.
  • Pour l’observateur contemporain se pose toujours la question du caractère fortuit ou volontaire de l’inversion?
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Pour d’autres réalisations romanes zodiacales et des activités saisonnières on peut voir dans le site «  LE TEMPS DES PIERRES ROMANES  » la page consacrée au CADRE SOCIAL avec AUTUN, MAURIAC, YDES et partiellement ISSOIRE, SOUVIGNY et VEZELAY.

http://jalladeauj.fr/images/page3/page3.html

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Signe du Taureau, Saint-Austremoine, Issoire, Puy-de-Dôme.

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